Intervention de Raphaël Schellenberger

Séance en hémicycle du mercredi 31 janvier 2018 à 15h00
Sureté et sécurité des installations nucléaires — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Schellenberger :

Ben voyons ! Notre règlement ne se prêterait-il donc pas à une interprétation littérale de ses articles ? La formule interroge, mes chers collègues.

À moins de vouloir sciemment ouvrir un dangereux précédent, il est inconcevable de défendre ce point vue. L'article 139 de notre règlement est clair et fixe des règles qui s'appliquent à toutes les propositions de résolution visant à créer des commissions d'enquête.

Pour illustrer encore plus en détail les contradictions portées par ce texte et par la défense qui en est faite, permettez-moi de rappeler les débats en commission au sujet d'un amendement, déposé par notre groupe, qui visait à expliciter l'intégration au champ de cette commission d'enquête de l'environnement juridique applicable aux installations nucléaires.

En effet, il nous semblait évident de prendre en compte, au vu des enjeux posés, la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, dite loi de Ganay, qui a renforcé les sanctions en cas d'intrusion sur les sites nucléaires – soit la loi qui devra être appliquée dans le cadre du jugement de deux militants de Greenpeace le mois prochain. En rejetant notre amendement, jugé inutile au motif, selon ce qui nous a été répondu, que la commission d'enquête se penchera évidemment sur l'environnement juridique s'appliquant aux centrales, il est ainsi admis que cette commission d'enquête ne pourra pas éviter d'empiéter sur la procédure judiciaire en cours.

Le champ de cette commission d'enquête pose donc de grandes et de graves difficultés. Un renvoi en commission devrait permettre de clarifier les contours de cette commission pour s'assurer du plein respect de l'article 139 de notre règlement, avec l'exclusion des faits actuellement concernés par des procédures judiciaires.

Si ce n'est pas sur ces faits-là que repose la création de la commission d'enquête, lesquels faut-il alors prendre en considération ? Si la proposition de résolution ne le précise pas, comment, encore une fois, justifier sa création ? Quand on initie une enquête, il est déterminant de se demander ce que l'on cherche ; le cadre imprécis de la proposition de résolution ne répond pas à cette exigence de rigueur.

Ce manquement au règlement de notre assemblée suffirait largement à justifier un renvoi en commission. Mais en plus de cela, l'article unique, tout comme l'intitulé de cette proposition de résolution, inscrit une surprenante confusion entre les notions de « sûreté » et de « sécurité » des installations nucléaires. Souvent, dans le débat public, ces deux notions sont mêlées, interverties, confondues. Pourtant, elles revêtent deux dimensions bien différentes, engageant des acteurs, des enjeux et des réalités différents.

La présente proposition de résolution et la commission d'enquête qu'elle entend créer ne doivent pas entretenir cette confusion qui alimente une défiance à l'égard du parc nucléaire français et des travaux menés par l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN. Notre responsabilité, en notre qualité de parlementaires, est au contraire de clarifier la différence entre « sûreté » et « sécurité », dans l'intérêt des débats relatifs à la place du nucléaire dans notre politique énergétique.

La sûreté des installations nucléaires renvoie aux standards que nous nous fixons dans la conception, la construction, le fonctionnement et l'entretien de nos centrales nucléaires. En France, un seul exploitant – EDF – est responsable des questions de sûreté. Ce même exploitant unique est contrôlé par une autorité indépendante, l'ASN, qui peut lui imposer des mesures. La sûreté relève donc de la responsabilité de l'exploitant, qui est contrôlé par l'ASN.

Dans notre pays, les choses sont particulièrement claires, avec, je le répète, un seul exploitant et un outil indépendant de contrôle. Ce n'est pas le cas partout, le Japon comptant par exemple onze exploitants nucléaires, avec, on le comprend bien, des défis en matière de coordination et de contrôle, qui sont de facto plus difficiles à maîtriser en matière de sûreté.

Le contrôle de la sûreté des installations nucléaires est rigoureusement conduit par l'Autorité de sûreté de nucléaire, comme l'attestent les récentes déclarations de son président, lundi 29 janvier dernier, à l'occasion de ses voeux à la presse, rappelant que la sûreté du réacteur pressurisé européen – EPR – de Flamanville était le préalable indispensable à la mise en réseau de cette installation nucléaire. C'est du bon sens et c'est rassurant : le calendrier de la sûreté primera donc sur le calendrier politique, contrairement à ce que souhaitait le Gouvernement.

Ce calendrier, plus réaliste, repousserait ainsi la fermeture de Fessenheim à 2021, 2022, voire 2023, permettrait de revenir sur cette incompréhensible précipitation et donnerait ainsi du temps, ce temps si précieux et nécessaire au développement d'un projet à même de répondre aux défis économiques et sociaux posés par la décision de fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Distinguons donc le champ de la sûreté de celui qui est relatif à la sécurité, mentionné dans l'exposé des motifs de cette proposition de résolution lorsque sont rappelées les opérations menées par Greenpeace, à l'automne 2017, dans les centrales de Cattenom et de Cruas-Meysse. Ici, on le voit bien, l'enjeu est l'accès aux centrales et donc la sécurité des sites, non sur la sûreté des installations. La sécurité est assurée par l'État à travers des pelotons de gendarmerie spécialisés.

Cette distinction a du sens ; elle est même porteuse de performance. En effet, c'est peut-être précisément parce que nous faisons la distinction entre les deux notions que la sûreté n'est nulle part ailleurs aussi élevée qu'en France.

Pourtant, cette proposition de résolution porte la confusion avec panache, comme l'atteste de manière éclatante son exposé des motifs, que je cite : « Au-delà même de la polémique créée par le recours à de tels procédés par l'organisation Greenpeace, il faut reconnaître que ces incursions ont contribué à démontrer qu'il était nécessaire que la représentation nationale s'empare des questions de sûreté et de sécurité nucléaires. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.