Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Dénonciation du coup d'État militaire en birmanie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Le 1er février 2021, en quelques heures, les principales figures du gouvernement légitimement élu et 150 personnalités politiques, au premier rang desquels Aung San Suu Kyi, cheffe du gouvernement et U Win Myint, Président de la République, ont été mis aux arrêts, avant d'être condamnés à de lourdes peines de prison ; les pouvoirs ont été transférés au commandement militaire, qui a immédiatement repris sa politique de répression féroce des minorités. La junte a noyé dans le sang l'espoir d'une transition démocratique à l'œuvre depuis 2012.

Souvenons-nous des centaines de milliers de manifestants qui ont défilé contre ce coup d'État, de la répression qui s'est ensuivie pendant des semaines, conduisant à la mort de plus d'un millier de civils, dont des enfants, et à de très nombreuses arrestations. Les exactions se poursuivent encore, avec des centaines de raids aériens et des dizaines de villages brûlés, comme il y a quinze jours à peine dans la région de Sagaïng. Au-delà de ces chiffres sinistres, ce sont les espoirs d'un peuple qui se sont heurtés à la violence aveugle d'une armée birmane qui confisque le pouvoir depuis 1962.

Autant le dire clairement : notre groupe La France insoumise condamne fermement ce putsch. C'est l'objet de cette proposition de résolution et voilà pourquoi nous la voterons. Cependant, je déplore que le texte ne soit pas plus ambitieux dans ses condamnations ni dans ses propositions, et qu'il passe notamment sous silence un drame qui frappe la Birmanie depuis des années : les massacres de masse qui ciblent les Rohingyas. La Birmanie est un véritable patchwork qui réunit plus d'une centaine d'ethnies, et cela fait des années que les minorités sont malmenées par une dictature qui use systématiquement contre elles de la force armée, et l'appartenance à une minorité ou la pratique d'une autre religion que celle de l'État peut conduire à la mort.

Mais, à la différence d'autres persécutions, les massacres perpétrés contre les Rohingyas, avérés depuis l'été 2017, sont cautionnés et encouragés par le tout-puissant clergé bouddhiste, comme, en son temps, par le pouvoir civil : prêches haineux et islamophobes, négation de l'existence des Rohingyas, propagande ultranationaliste, lynchages, trafics humains… ce qui se déroule est dramatique ! J'en veux pour preuve certains chiffres : plus de 1 million de Rohingyas ont dû fuir vers le Bangladesh voisin, près de 400 villages ont été rayés de la carte, et l'ONU estime que les 600 000 Rohingyas qui résident encore sur le territoire birman vivent sous la menace d'un génocide. Pesons ces derniers mots, mes chers collègues, car ils soulignent la violence et les dangers auquel ce peuple est confronté. Dès lors, si nous nous exprimons sur la Birmanie, nous ne pouvons pas passer sous silence la situation des Rohingyas.

Ne perdons pas de vue non plus la responsabilité du gouvernement civil dans ces exactions : il n'a rien fait pour les empêcher et, lorsque la Cour internationale de justice a ouvert une procédure à ce sujet en 2019, Aung San Suu Kyi a continué à nier la réalité de ces massacres. La longue cécité des chancelleries n'a fait qu'aggraver la situation, alors qu'il faut rappeler la continuité dans laquelle s'inscrit la répression, entre la période du pouvoir civil et la nouvelle phase ouverte par le coup d'État.

Pour autant les responsabilités ne sont pas que politiques, et je tiens ici à dire un mot sur le rôle de la multinationale Total, qui a contribué au financement de la junte pendant des années, avant de se retirer il y a peu, suite aux révélations de ses montages financiers.

La proposition de résolution que nous avions pour notre part déposée il y a quelques jours prenait en compte les 855 000 Rohingyas vivant aujourd'hui au Bangladesh, dans le plus grand camp de réfugiés au monde. Leur sort nous oblige à une parole forte et engageante. Condamnant « ces crimes contre l'humanité au caractère potentiellement génocidaire », notre texte invitait le Gouvernement à renforcer les sanctions internationales contre la junte birmane, en ciblant les revenus du gaz, à conditionner le retour de multinationales françaises à la fin des exactions ciblant les Rohingyas et à rendre contraignant dans le droit français les principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises.

Mes chers collègues, en faisant l'impasse sur la situation des Rohingyas, la présente proposition de résolution est profondément décevante. Nous la voterons pour le signal qu'elle envoie en direction de la junte, mais nous regrettons qu'elle ne prenne pas position en faveur d'un peuple opprimé, sur lequel pèse un risque de génocide. Sur la scène internationale, nous ne devons pas suivre la logique du « deux poids, deux mesures » ; il nous faut être conséquents et condamner tous les crimes contre l'humanité.

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