Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

« Elle [la loi] était partout. Dans les euphémismes et les litotes de mon agenda, les yeux protubérants de Jean T., les mariages dits forcés, Les Parapluies de Cherbourg, la honte de celles qui avortaient et la réprobation des autres. Dans l'impossibilité absolue d'imaginer qu'un jour les femmes puissent décider d'avorter librement. Et, comme d'habitude, il était impossible de déterminer si l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi. » Ces mots sont ceux d'Annie Ernaux qui relate, dans L'Événement, une nuit de janvier 1964. Depuis cette nuit, traversée par des centaines de milliers de femmes, l'avortement est devenu un droit fondamental conquis de haute lutte.

Alors, collègues, vos résistances durant l'examen de ce texte n'ont rien d'original, tant le contrôle du corps des femmes s'inscrit dans une histoire millénaire. En 1920, une loi interdisait toute propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité et empêchait jusqu'aux médecins de donner aux femmes des conseils en matière de contraception. En 1942, une loi vichyste considérait l'avortement comme un crime d'État puni par la peine de mort. C'est ce qui a entraîné, le matin du 30 juillet 1943, l'exécution de Marie-Louise Giraud, dite la faiseuse d'anges.

Cependant, même lorsque ces lois funestes étaient en vigueur, les femmes avortaient. Elles ingurgitaient de l'eau oxygénée, du détergent, du vinaigre, s'introduisaient dans l'utérus une aiguille à tricoter, un épi de blé, une brosse à dents, de l'eau savonneuse. Elles partaient à l'étranger lorsqu'elles en avaient les moyens. À défaut, elles se blessaient dans l'espoir de subir un curetage à l'hôpital : les médecins pouvaient alors les cureter à vif pour les punir.

La lutte pour la liberté et la fin de la clandestinité a été portée par les femmes elles-mêmes, à l'image de Madeleine Pelletier, première femme psychiatre, qui, dès la fin du XIXe siècle, menait le combat en faveur de la dépénalisation de l'avortement. Elle fut suivie, à travers l'histoire, par une cohorte de militantes et d'associations telles que le Planning familial, par des vagues de milliers de femmes criant dans les rues, au cours des années soixante : « La politique sur notre ventre ne se fera pas dans notre dos ! »

Je pense aux 343 femmes qui ont signé le manifeste publié dans Le Nouvel Observateur en avril 1971, ou encore à la loi Veil de 1975, jalon du droit des femmes à disposer de leur corps, qui est venue mettre fin à des décennies de tabou et d'hypocrisie, de répression, de départs à l'étranger, de curetages à vif, d'humiliations et de morts.

La proposition de loi que nous examinons suscite elle-même des contestations de la part, ici, de bigots à courte vue, là-bas, de nostalgiques des femmes condamnées. Rien d'original, non. Vous pensez appartenir à vos convictions, quand vos convictions n'appartiennent qu'à la longue histoire de la domination masculine.

Vous n'avez pas souhaité supprimer la clause de conscience spécifique à l'IVG, alors même qu'il en existe une s'appliquant de manière générale à tous les actes médicaux. Vous faites ainsi de l'avortement un acte médical à part, alors qu'il fait partie de la vie des femmes. Or le sort des femmes n'a pas à dépendre des conservatismes ni des croyances religieuses des professionnels de santé.

Parce que ce droit à disposer de son corps reste à conquérir, le groupe La France insoumise souhaite l'inscrire dans la Constitution. Il s'agit d'un droit fondamental, qui renvoie chaque personne à sa libre appréciation personnelle lorsque les circonstances d'un tel choix se présentent. Il nous faut l'inscrire, parce que la lenteur en matière de droits des femmes a assez duré. Les débats polémiques, réactivés sans cesse à la faveur de l'agenda conservateur des uns, de l'opportunisme crasse des autres, sont insupportables. Nous savons que les droits des femmes ont toujours été les premières victimes des assauts réactionnaires.

Que n'avons-nous pas entendu à propos de cette proposition de loi dans l'hémicycle, voire au sommet de l'État ? Emmanuel Macron lui-même s'est illustré en parlant de l'avortement comme d'un « traumatisme », ou en assénant que consentir des délais supplémentaires n'était pas neutre. Qu'il ait cédé à cette proposition de loi, après deux ans de bataille parlementaire, sous l'impulsion de notre collègue Albane Gaillot, voilà qui n'est pas neutre !

Bien entendu, je réaffirme ici notre soutien sans faille à la présente proposition de loi, qui trouve en outre aujourd'hui un écho particulier. En effet, lundi dernier, la Colombie a autorisé la pratique de l'avortement jusqu'à vingt-quatre semaines de grossesse, alors qu'il y a peu, en dehors de quelques exceptions, les femmes qui y avaient recours étaient passibles d'une peine allant jusqu'à cinq ans de prison.

Nous devons ces avancées à la mobilisation historique des féministes, sans qui elles n'auraient pas lieu. Derrière une loi, il y a toujours une foule, un déferlement de femmes vêtues de foulards violets ou verts comme celui que je porte aujourd'hui. Bravo à ces femmes, ici ou ailleurs, qui défendent l'émancipation ! Je me joins à leur voix pour rappeler que notre corps n'appartient ni aux hommes, ni à l'État, ni à la patrie, ni à la famille. Ne vous en déplaise, collègues, il n'appartient qu'aux femmes et à elles seules.

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