Intervention de Sylvia Pinel

Séance en hémicycle du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Le parcours de cette proposition de loi aura été semé d'embûches. Plus d'un an et demi après le début de son examen, je me réjouis de la voir enfin arriver en lecture définitive. Je salue une nouvelle fois les rapporteures et je les remercie chaleureusement pour la détermination sans faille dont elles ont fait preuve.

L'adoption de cette proposition de loi n'était pas gagnée d'avance. J'en veux pour preuve l'obstruction exercée par une poignée de députés, qui a conduit à en reporter l'examen, ou encore le rejet systématique et sans discussion du texte par la majorité sénatoriale, sans autre considération, alors que le sujet touche près d'une femme sur trois. Les réticences à légiférer sur l'avortement nous rappellent la fragilité de ce droit durement acquis. Elles nous obligent à redoubler de vigilance dès qu'il est question des droits des femmes.

En faisant le choix d'allonger les délais d'accès à l'avortement, ce texte apporte une solution concrète à toutes celles qui se retrouvent malgré elles hors délai, contraintes de poursuivre une grossesse non désirée ou de se rendre à l'étranger pour y mettre un terme.

Les inégalités sociales et territoriales en matière de santé expliquent en très grande partie les difficultés d'accès à l'IVG, qui pèsent toujours sur les femmes les plus vulnérables.

Comme vous le savez, je soutiens pleinement l'extension du délai légal mais je veux insister sur un point crucial : la loi ne peut pas tout. Rappelons-nous la situation au lendemain de la loi Veil ; son adoption n'a pas tout résolu d'un coup. Il a fallu lutter, longtemps encore, pour que des centres d'orthogénie puissent ouvrir dans certains établissements, réticents à les accueillir. Il a fallu du temps aussi pour que l'IVG soit totalement remboursée : l'acte a été pris en charge en 2013, et l'ensemble des examens en 2016 !

Autre aspect révélateur de la difficulté à faire avancer les droits en matière de santé sexuelle féminine : la situation des sages-femmes. La pratique de l'IVG instrumentale par les membres de cette profession avait été permise, à titre expérimental, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Néanmoins, il a fallu attendre un an pour voir le décret d'application publié. Nous insistons sur le fait que l'extension de leurs compétences doit impérativement s'accompagner d'une revalorisation de leur statut. Or la proposition de loi d'Annie Chapelier, qui prévoyait une amélioration de la formation des sages-femmes, n'est toujours pas, à la veille de la suspension de nos travaux parlementaires, inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

Ce manque de reconnaissance en dit long sur le sous-investissement – pas seulement sur le plan financier – à l'œuvre dans le champ de la santé sexuelle féminine, dont découlent le manque de gynécologues en France – leur nombre pourrait tomber à 531 en 2025 ! –, le caractère peu rentable et peu enseigné de l'acte d'IVG et les difficultés que rencontrent un grand nombre de centres de planning familial à obtenir des subventions suffisantes.

Rappelons enfin que nous ne pouvons pas aborder l'IVG par le seul angle de la santé publique. Derrière l'avortement, il est question du droit des femmes à disposer de leur corps. Le choix doit toujours être la règle : celui de mener ou non une grossesse à son terme, la possibilité de choisir le praticien, le lieu ou encore la technique utilisée. Force est de constater qu'aujourd'hui, la liberté de choisir est mise à mal.

À mon tour, je regrette notre renoncement concernant la suppression de la double clause de conscience, spécifique à l'IVG : il est révélateur du combat qu'il reste encore à mener. Oui, supprimer cette clause était symbolique : considérer l'IVG de la même façon que tout autre acte médical ne le rend pas banal ou anodin, mais contribue simplement à l'extirper des tabous qui l'entourent, des non-dits, des discours culpabilisants. Ce sont ces discours-là qui désinforment, qui traumatisent et qui sont, en définitive, les plus dangereux.

Les membres du groupe Libertés et territoires se prononceront en conscience sur ce texte. Pour ma part, comme la majorité d'entre eux, je voterai pour.

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