Intervention de Olivier Becht

Séance en hémicycle du mardi 22 février 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à l'engagement de la france au sahel

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Becht :

Avant d'entamer mon propos, je souhaite, au nom du groupe Agir ensemble, rendre un hommage appuyé à nos militaires engagés au Sahel depuis neuf ans, dont cinquante-neuf ont perdu la vie. Je pense à leurs familles, à leurs frères d'armes qui souvent ont aussi été blessés dans les combats. Leur détermination, leur savoir-faire, leur volonté ont permis de sauver le Sahel à deux reprises, en 2013 puis à nouveau en 2020 lorsque la pression se faisait intenable sur les États locaux. Ces soldats sont l'honneur de la France.

Mes pensées vont également aux populations de ces régions qui, de Mopti à N'Djamena, vivent sous la terrible pression des islamistes. Si aujourd'hui nous nous désengageons du Mali, nous n'abandonnons pas son peuple, riche de son histoire, de Soundiata Keïta, fondateur de l'empire du Mali, à Mansa Moussa, roi de l'or et du pèlerinage. C'est parce que les liens qui unissent nos pays sont si forts qu'en janvier 2013 nous avons répondu à l'appel à l'aide des autorités maliennes en déployant en un temps record une opération aussi audacieuse que foudroyante, Serval, et que nous y avons tant investi durant neuf ans.

Durant ces neuf années, les armées françaises ont inlassablement traqué les groupes armés à travers un territoire vaste comme l'Europe, pour assurer deux missions : déstructurer les groupes djihadistes et prévenir toute attaque contre la France. Que se serait-il passé si nous ne l'avions pas fait ? Nous en connaissons la réponse : la naissance au Sahel d'un califat islamiste, comme nous avons eu Daech en Irak et en Syrie. Pour éviter cela, alors que la situation s'était gravement détériorée à la fin de l'année 2019, le Président de la République a redonné une impulsion courageuse après le sommet de Pau et réorganisé la stratégie autour de quatre piliers : lutte contre le terrorisme ; remontée en puissance des armées locales ; retour de l'État dans les zones libérées ; réforme de la gouvernance ainsi que l'aide au développement.

Deux ans après Pau, et neuf ans après notre engagement au Mali, quel bilan dressons-nous ? L'humilité nous impose de reconnaître que la menace s'est déplacée du nord du Mali vers le centre, puis aujourd'hui vers les pays du golfe de Guinée. Mais il faut aussi constater les avancées positives et concrètes de cet engagement, et ce sur chaque pilier de la stratégie.

En matière de lutte contre le terrorisme, en deux ans, la task force Sabre a pisté, traqué et neutralisé les chefs djihadistes. Les émirs d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et de l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont successivement été neutralisés.

Malgré des problèmes d'emploi et de corruption en leur sein, les forces armées maliennes sont remontées en puissance. En janvier 2013, elles ne comptaient que 10 000 soldats. Neuf ans plus tard, profondément restructurées, elles atteignent 40 000 hommes. Cette armée opérait à l'époque en autarcie. Aujourd'hui, les armées sahéliennes communiquent chaque jour au sein du G5 Sahel, créé en 2014. Enfin, les opérations EUTM et Takuba ont forcé les Européens à intégrer que le Sahel n'était pas un territoire lointain mais bien une aire stratégique de l'Europe. Nous y avons bâti une nouvelle brique de l'Europe de la défense en combattant ensemble sans la présence des Américains.

La gouvernance demeure à l'évidence le point noir de ce bilan, essentiellement car les cartes n'étaient pas dans nos mains mais dans celles de nos partenaires, que nous venions aider. Il demeure qu'au Niger l'élection démocratique du Président Bazoum a pu se réaliser en 2021 sans entraves ou fraudes.

Enfin, en matière d'aide au développement, rappelons que l'électricité de Bamako a été sécurisée par un prêt de 36 milliards de francs CFA accordé par la France en octobre 2020.

Mais ces efforts sont aujourd'hui menacés, et pour le Mali rendus caducs par la vague de coups d'État dans la zone. À l'évolution du paysage politique s'ajoutent sur le théâtre malien trois ruptures stratégiques remettant profondément en cause l'engagement de la France.

La première de ces ruptures, c'est le non-respect du calendrier démocratique. Après le premier coup d'État, la junte s'était engagée à mener une transition démocratique. Mais elle a mené un coup dans le coup pour affermir son emprise sur le pays et a utilisé les assises nationales de la réconciliation pour imposer un calendrier intenable de cinq ans.

La deuxième de ces ruptures, c'est l'apparition de mercenaires de Wagner qui compromet la parole de la junte. Leur utilisation, ne répondant pas au droit de la guerre, risque d'alimenter la spirale des violences. Il faut aussi souligner la décision malienne d'entraver les capacités militaires des Européens. La junte a souhaité revoir le traité de défense sans expliquer réellement ses attentes. Elle a également interdit son espace aérien aux forces occidentales dans la région centre, zone de déploiement de Wagner, mais également le survol de son territoire national par les appareils de la MINUSMA. Enfin, le contingent danois de la task force Takuba a été renvoyé dès son arrivée.

La troisième de ces ruptures, c'est l'hystérisation du débat. Afin de légitimer son pouvoir auprès de la population, la junte s'est livrée à une surenchère populiste. Le discours anti-Français, très largement amplifié par la désinformation russe, a atteint un paroxysme avec le renvoi de l'ambassadeur français, dont je souhaite ici saluer le courage et l'abnégation.

Si la désinvolture, la condescendance et les insultes ne sont pas tolérables, surtout à l'égard d'un pays venu aider après un appel à l'aide, le constat stratégique était nécessairement celui d'une impasse.

Premièrement, si la junte est illégitime au regard du droit international, le Mali demeure un État souverain, et nous ne pouvons poursuivre un combat sans l'accord et le soutien des autorités locales.

Deuxièmement, le cœur du problème malien demeure le contrat social. Tant que le jeune berger peul ou touareg ne se verra pas offrir un modèle de société inclusif, où la corruption sera combattue, la justice appliquée, et avec une perspective économique, il n'aura aucun intérêt à se revendiquer Malien, et donc à s'engager pour son pays. Tant que l'État malien demeure perçu comme prédateur par les populations du centre et du nord, aucune paix n'est possible. L'assurance d'un parapluie sécuritaire devient alors contre-productive dans la résolution de crise, et les aides budgétaires et au développement ne sont que dévoyées pour servir à financer des réseaux clientélistes et des paix ponctuelles.

Les décisions du Président de la République sont donc les bonnes, et nous les soutenons. Le danger aurait été de se borner à conserver la même stratégie en continuant à exposer la vie de nos soldats. C'était là tout le sens du « rester autrement » pour lequel mon groupe, par la voix notamment de mon collègue Thomas Gassilloud, plaide depuis maintenant plusieurs mois.

Cette réorganisation du dispositif français dans la zone s'inscrit dans une évolution plus large qui, selon les mots du Président de la République, jette les bases d'un engagement renouvelé, d'un partenariat sérieux et respecté. Cette décision s'appuie sur un débat parlementaire dense auquel le groupe Agir ensemble a largement contribué par ses nombreuses questions au Gouvernement – je pense notamment à celles des députés M'jid El Guerrab, Vincent Ledoux ou Aina Kuric – et lors de la mise à l'ordre du jour des débats sur la stratégie française au Sahel ou sur la feuille de route de l'influence de la diplomatie française.

Nous souhaitons donc tirer tous les enseignements stratégiques de notre engagement au Sahel.

Le premier est que nos objectifs doivent avant tout être définis en fonction de nos intérêts, en y consacrant le juste volume de moyens et de temps. Le deuxième est que nous devons disposer d'un calendrier de repli clairement défini pour donner de la lisibilité à notre action, notamment auprès des populations. Le troisième est que notre présence militaire doit mieux répondre aux attentes de nos partenaires et à la sensibilité des opinions publiques. La solution viendra des locaux, et nous ne pourrons qu'y apporter des moyens de soutien. Le quatrième est que nous devons changer notre regard sur les populations locales. Elles sont le premier rempart contre les groupes terroristes ; elles ne doivent pas être uniquement perçues comme des victimes mais aussi comme des acteurs du terrain. Enfin, le cinquième est que notre diplomatie doit continuer à explorer les bons leviers de puissance. L'action commune avec les Européens nous rend plus forts, et si le bilatéral classique entre chefs d'État est nécessaire, il doit être mieux réinventé, notamment grâce aux diasporas.

Si la France réorganise son dispositif dans la zone, notre destin demeure fermement imbriqué avec celui du Mali. La prospérité de l'Afrique est dans l'intérêt de l'Europe. En ce sens, le plan Global Gateway fait figure de plan Marshall pour l'Afrique que notre groupe appelait de ses vœux.

Enfin, au-delà des questions de défense, nous devons nous interroger sur la relation globale entre l'Europe et l'Afrique. Une mer nous sépare mais nos destins sont intimement liés : alimentation, matières premières, technologies, santé, stabilité et donc paix dépendent de la coopération entre l'Europe et l'Afrique. Nous ne pouvons pas réécrire le passé, mais nous pouvons construire l'avenir en inventant une nouvelle donne, une relation gagnant-gagnant faite de confiance, d'amitié, de solidarité et de prospérité. C'est le chemin que devra emprunter l'Afrique si elle veut être ce grand continent de la croissance au XXIe siècle. C'est le chemin que devra emprunter l'Europe si elle veut quitter celui des interventions militaires. C'est le chemin que le groupe Agir ensemble souhaite résolument voir emprunter pour le bien de tous.

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