Intervention de Jean François Mbaye

Séance en hémicycle du vendredi 4 février 2022 à 21h30
Accorder l'asile politique à julian assange et faciliter l'accès au statut de réfugié pour les lanceurs d'alerte étrangers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean François Mbaye :

La proposition de résolution du groupe Libertés et territoires soulève opportunément la question de la protection des lanceurs d'alerte en général et, plus singulièrement, de la situation de Julian Assange, figure emblématique.

Aujourd'hui incarcéré en Grande-Bretagne après avoir été confronté à l'exil et avoir subi des traitements inhumains, sa liberté demeure compromise et son avenir incertain. Aucun défenseur des droits de l'homme ne saurait supporter une situation si disproportionnée. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants nous le rappelle d'ailleurs dans son avis.

Les travaux récents ont prouvé que, parmi l'ensemble des groupes politiques présents dans l'hémicycle, aucun n'était insensible au sort des lanceurs d'alerte. Si notre assemblée ne saurait rester indifférente, il convient néanmoins qu'elle s'exprime, afin de faire évoluer de manière tangible la situation de Julien Assange et de tous les autres lanceurs d'alerte. Or la présente proposition de résolution comporte un certain nombre de points litigieux qu'il est difficile d'ignorer, eu égard aux enjeux qu'elle entend défendre.

Le premier point tient à ce qu'elle présente la décision d'accorder le statut de réfugié comme relevant de la seule volonté politique de l'exécutif. Or le droit d'asile répond à un cadre juridique qui suppose la réunion de conditions et le respect de procédures objectivement établies. Aussi, ce n'est pas le gouvernement français qui accorde le statut de réfugié, mais bien l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dont les décisions sont prises à la lumière de la jurisprudence de la Cour nationale du droit d'asile – CNDA. Rappelons, par ailleurs, qu'en vertu de l'article L. 121-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – CESEDA –, l'Office statue en toute indépendance et de manière impartiale. Il en ressort que l'obtention du statut de réfugié repose sur des règles assurant la sécurité juridique et l'égalité de traitement des demandes, ce qui, vous en conviendrez, peut difficilement être déploré par le législateur.

Dès lors et quelle que soit l'appréciation que chacun est libre de porter sur les actions de Julian Assange, l'asile ne saurait en aucun cas être considéré comme une contrepartie à un service rendu, qu'il soit avéré ou supposé, car cela risquerait de déstabiliser tout un pan de notre droit et, avec lui, notre politique d'asile. Néanmoins, une réforme n'est-elle pas envisageable, voire souhaitable ? Sans doute. Toutefois, une telle entreprise nécessiterait un minutieux travail de fond afin d'apprécier les conséquences qu'elle pourrait directement avoir pour les demandeurs.

Au surplus, madame la rapporteure, vous avez vous-même concédé dans un article de presse publié mercredi dernier que l'adoption de votre proposition de résolution ne permettrait pas à Julian Assange de recouvrer la liberté.

L'intention est noble et nous devons adopter une position qui nous permette de faire avancer concrètement la situation.

Par ailleurs, cette proposition de résolution contient deux citations de membres de l'exécutif, l'une du Président de la République et l'autre de l'actuel garde des sceaux. Toutes deux ont été sorties de leur contexte et desservent la pertinence du propos. Celle du chef de l'État est tirée d'un entretien donné au vidéaste Hugo Travers en 2019 et concerne une situation sans rapport avec celle de Julian Assange. En évoquant « la liberté des individus », le président faisait en fait référence à un membre des forces spéciales, dont le nom avait été divulgué dans la presse et qui avait agi en justice en son nom propre contre une journaliste. Lorsque Éric Dupond-Moretti a tenu les propos cités, il n'était pas encore garde des sceaux, mais, effectivement, l'avocat de Julian Assange.

Vous l'aurez compris, telle qu'elle est rédigée, nous ne pouvons pas souscrire à cette proposition de résolution. En revanche, dans le prolongement de la proposition de loi de notre collègue Sylvain Waserman dont nous examinerons la semaine prochaine le texte issu de la commission mixte paritaire conclusive, nous sommes intimement convaincus qu'il est nécessaire et pertinent de poursuivre le travail entrepris en faveur de la protection des lanceurs d'alerte.

Ainsi que le suggère la proposition de résolution, nous devons nous tourner vers l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, afin d'élaborer avec nos partenaires un régime à même de répondre aux insuffisances systémiques préjudiciables à tous les lanceurs d'alerte, sans exception. À l'aune de ce point de convergence, nous sommes donc déterminés et prêts à entreprendre à vos côtés, madame la rapporteure, toutes les démarches nécessaires pour œuvrer effectivement au renforcement des mesures de protection de l'ensemble des lanceurs d'alerte. Pour l'ensemble de ces raisons, et convaincu qu'il est pertinent d'avancer collectivement sur ces questions, le groupe La République en marche invite la rapporteure à retirer sa proposition de résolution. Le cas échéant, nous serions donc amenés à la rejeter.

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