Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du jeudi 3 février 2022 à 9h00
Parité dans le bloc communal — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Grâce à plusieurs lois successives, la parité en politique a fortement progressé dans les organes délibérants locaux. Les conseils départementaux et régionaux sont désormais paritaires et nous nous en réjouissons tous. La part des femmes s'est accrue dans les conseils communaux, avec 42,4 % de conseillères municipales.

Toutefois, comme le fait apparaître la proposition de loi, la parité est moins respectée dans les communes de moins de 1 000 habitants. Surtout, les exécutifs communaux et intercommunaux restent largement dominés par les hommes, qui représentent 80,2 % des maires et 88,6 % des présidents d'intercommunalités. Ainsi, par cette proposition de loi, vous ciblez avec justesse certains angles morts de la parité en vous intéressant aux petites communes de moins de 1 000 habitants et aux exécutifs des intercommunalités.

La question n'est pas de savoir si l'on est pour ou contre la parité, mais comment décliner cette proposition de loi sur le terrain, dans les petites communes. Je le dis d'autant plus volontiers que je suis fier d'être élu d'un territoire, la Corse, où pour la première fois en France, une femme a été élue à un conseil municipal, après l'insurrection de 1943, alors que la loi ouvrant le droit de vote des femmes n'était pas encore adoptée. En outre, la République corse est un pays qui s'est doté d'une constitution démocratique pendant l'éphémère période de l'indépendance, en 1755, qui donnait déjà le droit de vote aux femmes.

Toutefois, le groupe Libertés et territoires émet de très profondes réserves sur les dispositions proposées, qui n'auraient pas que des conséquences sur la parité mais aussi, plus largement, sur la démocratie. Appliquer le scrutin de liste aux toutes petites communes, comme vous le proposez à l'article 1er , pose plusieurs problèmes. Derrière la règle de la parité, cet article transforme totalement le mode de scrutin des élections des petites communes.

Or, l'extension du mode de scrutin de liste aux petites communes risque d'affaiblir le pluralisme et, pour cette raison, présente un risque d'inconstitutionnalité qu'ont souligné plusieurs juristes et orateurs. En effet, une telle disposition transformerait le mode de scrutin en supprimant notamment le panachage tel qu'il existe pour les communes de moins de 1 000 habitants. Les modalités actuelles de scrutin permettent pourtant de coconstruire un projet pour la commune, avec l'ensemble des citoyens souhaitant s'impliquer. Au contraire, le scrutin de liste aura pour effet de politiser des élections et créera souvent des tensions artificielles dont les villages n'ont pas besoin.

L'instauration de listes paritaires pour les toutes petites communes, parfois de quelques dizaines d'habitants, semble donc peu pertinente car elle ne tient pas compte de la répartition démographique de chacune de ces communes. Certaines d'entre elles ont une large majorité d'hommes, d'autres une large majorité de femmes, sans parler de la répartition des classes d'âge, de telle manière qu'il serait extrêmement difficile de constituer des listes paritaires. Ici, la pratique l'emporte sur la théorie, malheureusement.

Enfin, étant donné les difficultés importantes rencontrées pour susciter des vocations dans les petites communes, une telle disposition risque d'accroître le nombre de communes se retrouvant dans l'incapacité de former un conseil municipal, faute de candidats. Le passage à un scrutin de liste risque d'aggraver cette situation – qui dépasse largement la seule question de la parité –, même si la proposition de loi prévoit la baisse du nombre de conseillers municipaux à élire.

Un seuil de 500 habitants, tel que le suggère Raphaël Schellenberger dans la deuxième proposition de la mission flash, nous paraît mieux tenir compte des réalités des toutes petites communes. Nous proposerons par un amendement d'ouvrir ce débat. Cette position n'est ni figée ni partagée par l'ensemble des membres de notre groupe, mais la discussion permettrait néanmoins de faire un pas important vers la parité tout en évitant les principaux effets délétères sur le pluralisme démocratique dans les plus petites communes.

La proposition formulée à l'article 4, supprimé en commission, visant à ce que la répartition par sexe du nombre de vice-présidents des EPCI s'effectue « en miroir » de la répartition par sexe des membres de l'organe délibérant est innovante, du point de vue de la représentation des femmes. Toutefois, nous souhaitons vous alerter sur le fait qu'une telle mesure pourrait entraîner un effet négatif imprévu sur la représentation des petites communes au sein des organes délibérants.

Dans bon nombre d'intercommunalités, les petites communes ne sont représentées que par un seul élu, qui est presque systématiquement le maire – encore trop souvent un homme. Dans les EPCI, les femmes élues sont très majoritairement issues des plus grandes communes, et c'est donc dans ce vivier de communes urbaines que seront davantage sélectionnées ces vice-présidentes, au détriment de la représentation de la ruralité et de la montagne.

En outre, cette proposition de loi ne pourra pas à elle seule réduire totalement les écarts dans les organes délibérants des exécutifs des EPCI tant que les maires seront principalement des hommes – un état de fait sur lequel il n'y a pas de levier législatif possible. La revalorisation du mandat local, tant en termes de reconnaissance que d'indemnités et surtout par un transfert de compétences aux communes pour leur donner des marges d'action plus élevées, pourrait permettre de susciter davantage de vocations de femmes et d'hommes pour pallier le manque actuel de candidats.

En définitive, les membres de notre groupe se prononceront en conscience sur une proposition de loi dont nous partageons bien évidemment l'objectif, mais dont la rédaction actuelle risque de déstabiliser les toutes petites communes ; nous souhaitons qu'une large place soit faite aux adaptations.

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