Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du jeudi 3 février 2022 à 9h00
Représentation plus juste des français à l'assemblée nationale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Je veux en premier lieu remercier Patrick Mignola et l'ensemble du groupe Dem d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution : nous avons bien cru qu'il ne serait jamais question dans cet hémicycle, au cours de cette législature, de scrutin proportionnel. Il avait pourtant fait l'objet d'une promesse du Président de la République : elle a été abandonnée, et l'échec de la révision constitutionnelle de 2018 n'est rien d'autre qu'un prétexte, puisqu'une telle révision n'était pas nécessaire pour instaurer une forme de proportionnelle.

C'est donc une promesse trahie du président Macron – une de plus.

Ce débat me permet de revenir sur plusieurs idées fausses et sur le constat que nous devons dresser ensemble de l'état de la représentation politique en France.

La première chose à dire, c'est que ce constat est triste : on parle souvent de crise de la représentation ; en réalité, cette représentation est faussée par un système qui ne vise pas à représenter le peuple français, mais à dégager une majorité au service de l'exécutif. C'est l'équilibre trouvé dans la Ve République, dont je pense qu'il est de plus en plus déséquilibré.

Il est vrai qu'avec 32 % des voix, la majorité actuelle a obtenu près de 350 députés ; il est vrai que le Rassemblement national, avec 13 % des voix, en a 8, quand La France insoumise, avec 11 %, en a 17. Voilà qui peut éloigner nos concitoyens des urnes, quand ils ne se reconnaissent pas dans la question binaire de la Ve République : suis-je pour ou contre le Président de la République ? Voilà qui lamine les nuances qui existent chez nos concitoyens, mais que l'on retrouve très peu dans les débats de notre hémicycle.

Il est d'ailleurs paradoxal que l'on évoque souvent la nécessité de reconnaître le vote blanc, c'est-à-dire le vote de gens qui voudraient voter mais qui ont l'impression de ne pas être entendus, mais que l'on parle très peu de ceux qui ne voudraient pas voter blanc, mais qui savent que même s'ils votent, ils ne seront pas représentés sur ces bancs, et qu'ils n'auront pas de porte-parole dans cet hémicycle.

Le mécanisme électoral de la Ve République, avec le scrutin uninominal majoritaire à deux tours, aboutit en réalité à l'effacement du Parlement et à la toute-puissance de l'exécutif. Une fois la majorité acquise, le Président de la République qui est déjà, de tous les chefs d'État occidentaux, celui qui concentre entre ses mains les pouvoirs les plus étendus et qui a en face de lui le moins de contre-pouvoirs, n'a plus de contre-pouvoir parlementaire face à lui : l'Assemblée, quelles qu'aient été les majorités au cours du temps, fait toujours ce que veut le Président.

Combien de fois au cours de la Ve République l'Assemblée nationale s'est-elle opposée à la volonté de l'exécutif lorsqu'il s'égare ? Quasiment jamais.

Ce déséquilibre accentue à la fois la faiblesse de notre gouvernance et l'éloignement de nos concitoyens des urnes lorsqu'ils doivent élire leurs représentants nationaux.

Je veux combattre une autre idée fausse, celle de l'instabilité. Isabelle Florennes l'a d'ailleurs très bien fait avant moi. Les pays qui ont instauré la proportionnelle ne sont pas plus instables que le nôtre ; ils arrivent simplement à trouver ce qui est considéré comme une grossièreté en France alors que c'est la noblesse de la politique : des coalitions, des additions d'idées, des compromis, qui permettent d'avancer et souvent de faire partager plus largement par les citoyens les politiques qui sont conduites.

Nous sommes le pays où, je le répète, le chef de l'État concentre le plus de pouvoirs entre ses mains, avec des contre-pouvoirs quasiment inexistants ; et nous sommes pourtant le pays qui se réforme et se transforme le moins, quand les autres – parce qu'ils sont obligés de trouver des compromis entre différentes forces politiques – se réforment davantage et de façon plus durable. Le paradoxe de la toute-puissance du chef de l'État et de l'impuissance de la réforme devrait interpeller bien au-delà du groupe Dem – nous avons cette interrogation en partage, je le sais –, et bien au-delà de cet hémicycle.

Un mode de scrutin doit, de notre point de vue, avoir trois vertus : représenter le plus justement possible les opinions qui traversent la vie politique ; maintenir un ancrage territorial, et c'est en cela que ce que propose le groupe Dem ne me paraît pas satisfaisant, mais il y a vingt façons de faire de la proportionnelle – donc le sujet n'est pas dans le détail, si je puis me permettre ; dégager une majorité relative.

J'observe d'ailleurs que toutes les élections qui se tiennent en France, hormis les législatives et les départementales, se tiennent au scrutin proportionnel. Et on nous dit qu'il empêche de gouverner ! Cela a été vrai pour les régions, mais l'on a modifié le mode de scrutin et les modalités de renversement d'une majorité régionale, et alors qu'il n'y a pas de majorité absolue dans la plupart des régions, elles sont gouvernées, elles fonctionnent. Ce n'est donc pas le mode de scrutin qui détermine exclusivement la majorité – à moins de soumettre entièrement celle-ci au chef de l'État, phénomène qui s'est encore aggravé avec le quinquennat – mais l'équilibre des pouvoirs. Celui-ci peut être trouvé ailleurs que dans le mode de représentation, mais le mode de représentation ne peut pas être trouvé hors du mode d'élection.

Voilà l'équilibre que nous devrions rechercher lors de la prochaine législature, étant entendu que le Gouvernement a décidé de ne pas s'en préoccuper au cours de celle-ci. Cet équilibre nous permettrait de mieux représenter, de former des coalitions, de trouver des compromis, donc de réformer notre pays beaucoup plus profondément en rassemblant largement.

Tous les chefs de l'État qui se sont succédé ont eu la chance – mais c'est une malchance pour notre pays – de pouvoir gouverner en n'écoutant qu'eux-mêmes et en négligeant tous les autres acteurs.

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