Intervention de Grégory Labille

Séance en hémicycle du lundi 31 janvier 2022 à 16h00
Avenir du secteur aéronautique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGrégory Labille :

Après avoir publié le pacte vert pour l'Europe en décembre 2019, la Commission européenne a présenté, le 14 juillet 2021, le paquet législatif Fit for 55, qui contient des propositions intéressantes et concrètes visant à garantir que l'Union européenne atteigne ses objectifs climatiques, à savoir devenir le premier continent neutre en carbone d'ici à 2050 et réduire de 55 % ses émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990 d'ici à 2030.

Selon la direction générale de l'aviation civile, rattachée au ministère de la transition écologique, le trafic aérien intérieur représentait en 2019 3,8 % des émissions de CO2 du secteur des transports et 1,5 % des émissions totales de la France. Le verdissement du secteur aérien est donc une des priorités, ce dont les acteurs concernés sont pleinement conscients. Des efforts ont déjà été consentis : entre 2000 et 2020, les émissions du transport aérien ont diminué de 49,3 % pour un nombre de passagers-kilomètre équivalent, soit une diminution de 25,6 % des émissions unitaires, correspondant à une décroissance moyenne de 1,5 % par an depuis 2000. Ces efforts doivent être salués, même s'il s'agit maintenant de les renforcer.

Dans cette optique, le paquet Fit for 55 contient plusieurs propositions qui auront une incidence directe sur le secteur aérien européen. Si la plupart vont dans le bon sens, certaines risquent de renforcer le risque de fuite de carbone, en raison d'augmentations substantielles des coûts pour les compagnies européennes et de distorsions de concurrence avec les transporteurs des pays tiers. Il est donc important que les propositions soient évaluées dans leur ensemble et comme un tout.

À ce titre, deux points sont à surveiller de très près. D'abord, l'introduction d'une taxe sur le kérosène par la révision de la directive européenne sur la taxation de l'énergie doit être rejetée : cette taxe ne constitue pas un moyen efficace de réduire les émissions de CO2 et ne renforcera pas la durabilité du secteur. Ensuite, la garantie d'une concurrence loyale et la prévention des fuites de carbone doivent être abordées.

L'introduction d'une taxe sur le kérosène causera simplement un renchérissement du coût des billets des compagnies européennes au profit des compagnies extraeuropéennes : elle n'entraînera pas un verdissement du secteur, mais une simple captation du marché au bénéfice des entreprises étrangères à cette taxation européenne. Le véritable défi est ailleurs : plutôt que de créer une nouvelle taxation, les pouvoirs publics doivent soutenir le développement d'une filière française de carburants durables d'aviation, en prenant les mesures nécessaires pour proposer aux utilisateurs un prix au plus proche de celui du kérosène.

En effet, si les biocarburants et le renouvellement des flottes constituent la principale voie de réduction des émissions du secteur, les SAF coûtent quatre à dix fois plus cher que les carburants classiques. Le kérosène représentant environ 30 % des charges d'une compagnie aérienne, une telle augmentation du prix du carburant entraînerait des coûts trop élevés pour permettre le maintien des acteurs aériens français et européens. Une filière française compétitive dans ce domaine serait donc créatrice d'emplois et favoriserait la souveraineté énergétique du pays.

Parallèlement, il est nécessaire de prévenir les fuites de carbone induites par le paquet Fit for 55 en prévoyant des mécanismes d'ajustement carbone aux frontières pour soutenir le transport aérien européen et surtout français. Les mesures fiscales prises en France pour réduire les émissions de CO2 du transport aérien, et plus encore celles qui le seront à l'échelon européen, se traduiront par des hausses de coûts significatives, qui n'affecteront que marginalement les compagnies concurrentes situées hors de l'Union européenne. Le risque est donc réel de voir le pavillon européen – et en premier lieu le pavillon français – être déclassé. Notons que, selon les chiffres de la DGAC, la France a déjà perdu près de quinze points de parts de marché au cours des quinze dernières années, soit un point par an. Il est donc nécessaire de prévoir des mesures compensatoires pour stopper l'hémorragie et éviter que le pavillon aérien français subisse le même destin que son homologue maritime.

En conclusion, ce débat doit nous permettre d'associer à l'objectif écologique de décarbonation du secteur aéronautique le pragmatisme économique nécessaire pour construire un modèle européen d'aviation durable qui inspirera le reste du monde. Pour être réellement efficace, le paquet législatif Fit For 55 doit être assorti d'une action vigoureuse des pouvoirs publics en faveur de la création d'une filière française de carburants durables d'aviation, tout en prévoyant des mesures de soutien pour le pavillon aéronautique français, menacé par les fuites de carbone. Ces mesures supposeront de faire preuve de courage politique et diplomatique et d'engager des discussions avec des partenaires bilatéraux et régionaux, pour construire une coalition diversifiée d'États s'engageant à faire preuve de davantage d'ambition et à agir dans ce domaine.

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