Intervention de Ramlati Ali

Séance en hémicycle du jeudi 27 janvier 2022 à 9h00
Convention du conseil de l'europe contre le trafic d'organes humains — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRamlati Ali, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Notre assemblée débat aujourd'hui du projet de loi autorisant la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe contre le trafic d'organes humains du 25 mars 2015, dite convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, entrée en vigueur en mars 2018 et signée par la France en novembre 2019. Cette convention a pour principal objectif de contribuer à l'éradication du trafic d'organes humains, en prévenant et en combattant ce crime qui se joue des frontières. Elle prévoit l'incrimination d'une série d'actes et comporte un important volet consacré à la protection des victimes des trafics. Elle vise également à faciliter la coopération internationale pour lutter contre ce fléau mondial.

Si l'ampleur et la portée exactes des trafics d'organes restent très difficiles à estimer, l'OMS estime que 5 % à 10 % des greffes d'organes réalisées dans le monde résultent de trafics, soit environ 15 000 greffes par an. Les estimations les plus hautes s'élevant à 4 millions de greffes par an, il est vraisemblable que la réalité se situe quelque part entre ces deux paliers. Dans la majorité des cas, les trafics d'organes concernent le rein. Toutes voies confondues, ils dégageraient entre 600 millions et 1,2 milliard de dollars de profits par an, ce qui en fait une activité particulièrement lucrative et par là même difficile à combattre. Par ailleurs, si le trafic d'organes peut résulter du trafic d'êtres humains, le lien n'est pas systématique.

Les pays les plus touchés par les trafics d'organes sont ceux dans lesquels le système de transplantation repose essentiellement sur le prélèvement sur donneurs vivants ou dans lesquels le dispositif de prélèvement sur donneurs décédés n'est pas suffisamment élaboré. On peut citer l'Inde, le Pakistan, les Philippines, le Bangladesh, l'Égypte, le Mexique, le Cambodge ou le Sri Lanka. La présence d'importants flux migratoires peut aussi être un facteur déterminant, comme dans le cas de l'Égypte, de l'Irak ou de la Syrie. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la majorité des personnes victimes des trafics d'organes seraient des migrants de sexe masculin, un nombre croissant de victimes étant originaires de pays marqués par des conflits, tels que la Syrie, l'Irak ou la Somalie.

Vous l'aurez compris, les trafics d'organes sont un fléau d'autant plus répréhensible qu'ils s'attaquent aux plus vulnérables. De nombreux abus ont également été dénoncés en Chine ces dernières années : ils concernent des prélèvements illicites visant en particulier des minorités et des prisonniers politiques et impliquant les autorités et non des réseaux de type mafieux, comme cela est majoritairement le cas ailleurs dans le monde. En effet, les voies de redistribution d'organes illicitement prélevés suivent celles de la criminalité organisée transfrontalière, notamment celles de la traite des êtres humains.

Depuis les années 1980, on constate aussi le développement d'un tourisme de transplantation, qui concerne généralement des ressortissants de pays développés se rendant dans un pays étranger pour acheter un organe et bénéficier d'une greffe. Ce phénomène a été condamné par l'OMS au début des années 2000, ainsi que dans la déclaration d'Istanbul de 2008. Cette dernière est l'un des éléments de l'arsenal juridique progressivement mis en place par la communauté internationale pour lutter contre les trafics d'organes.

En effet, si la convention qui nous intéresse aujourd'hui est le tout premier instrument juridique international spécifiquement consacré aux trafics d'organes, elle vient parachever un édifice préexistant. On peut notamment citer la Convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, ou encore la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine de 1997 et son protocole additionnel de 2007 relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine. En 2010, l'Assemblée générale de l'OMS a adopté des principes directeurs sur la transplantation de cellules, de tissus et d'organes humains, et souligné que les gouvernements sont responsables du développement de l'accès à la greffe dans des conditions éthiques satisfaisantes.

La lutte contre le trafic d'organes est aussi un enjeu européen. Elle est abordée dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains, tandis qu'une réglementation commune sur les transplantations d'organes a été élaborée. Une directive relative aux normes de qualité et de sécurité des organes a ainsi été adoptée en 2010. En 2015 a été lancée la plateforme Fœdus, qui permet de mettre en relation les États européens afin que les organes n'ayant pas trouvé de receveurs dans leur pays d'origine soient réorientés vers d'autres pays européens. Je tiens à mentionner l'existence de cette plateforme, qui rappelle que le développement des greffes et des transplantations constitue non seulement une remarquable prouesse scientifique et médicale, mais aussi un magnifique symbole de la solidarité humaine.

En France, un dispositif juridique et opérationnel a été élaboré il y a plusieurs années afin d'encadrer les dons, transplantations et greffes d'organes et par là même d'interdire et de sanctionner les trafics, qui contreviennent à plusieurs principes juridiques fondamentaux de notre droit, tels que la dignité humaine, la liberté individuelle ou la non-patrimonialité du corps humain. La loi du 29 juillet 1994, dite loi bioéthique, a consacré les principes fondamentaux du don d'organes : gratuité, anonymat et libre consentement du donneur.

Il ressort de ce suivi que le nombre de personnes résidant en France et greffées à l'étranger est très faible. Il s'agit le plus souvent de personnes d'origine étrangère qui bénéficient dans leur pays d'origine d'une greffe réalisée à partir d'une personne leur étant apparentée, en conformité avec les lois du pays en question. Même si les besoins d'organes enregistrés en France restent supérieurs aux quantités disponibles, les ressortissants français sont très peu incités à recourir au tourisme de transplantation, tant les garanties apportées par notre système de santé sont élevées. Au niveau européen, le constat est le même : les enquêtes réalisées par le Conseil de l'Europe en attestent.

Dans l'ensemble, le droit français est déjà conforme aux stipulations de la convention. Le code pénal punit de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues par le code de la santé publique, ainsi que le fait d'obtenir d'une personne l'un de ses organes contre un paiement ; il punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir respecté le protocole prévu par le code de la santé publique.

Comme le permet la convention et selon une procédure classique du droit international, la France a toutefois choisi d'émettre des réserves sur certains points. En première analyse, on pourrait redouter que cela n'affaiblisse la portée de la convention, mais ce risque me semble pouvoir être relativisé. Il s'agit en effet d'éviter une incompatibilité avec certaines dispositions fondamentales de notre droit pénal, à savoir le principe de la double incrimination et les règles de compétence des juridictions françaises pour les personnes ayant leur résidence habituelle en France mais ayant commis un crime à l'étranger. La France a déclaré que dans ces cas, elle n'exercerait sa compétence que de façon limitée concernant les crimes visés par la convention.

Ces réserves, qui ne viendront en rien fragiliser le dispositif national très solide qui existe déjà dans notre pays pour lutter contre les trafics d'organes, seront en revanche de nature à favoriser l'adhésion d'un nombre important d'États à la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. Celle-ci, ouverte à la signature des États non membres du Conseil de l'Europe, est susceptible de constituer une force d'entraînement mondial, en dépit de l'absence parmi les États signataires ou susceptibles de l'être de ceux qui sont considérés comme des points névralgiques du trafic international d'êtres humains.

J'ajoute que l'engagement de notre pays en matière de lutte contre les trafics d'organes passe aussi par la coopération judiciaire bilatérale en matière pénale, que la présente convention encourage, et par l'encadrement de nos partenariats scientifiques et universitaires, qui doivent se faire dans le respect des engagements internationaux souscrits par la France. L'Agence de la biomédecine travaille ainsi en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé et les postes diplomatiques pour favoriser le développement des prélèvements et transplantations d'organes éthiquement encadrés. Il s'agit d'un point sur lequel nous devons rester très vigilants.

En conclusion, je vous invite à voter en faveur du projet de loi de ratification de cette convention, qui atteste de la capacité des États à unir leurs forces pour lutter contre un fléau mondial particulièrement répréhensible.

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