Intervention de Antoine Herth

Séance en hémicycle du mercredi 26 janvier 2022 à 15h00
Compétences de la collectivité européenne d'alsace — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth :

J'ai un point commun avec Raphaël Schellenberger : nous sommes tous les deux nés un 14 février. Contrairement à lui cependant, j'étais là en 2004 pour voter l'amendement d'Yves Bur sur l'écotaxe alsacienne. Et puisqu'il a pris quelques libertés avec l'histoire, je vais à mon tour remettre les choses en perspective.

L'idée venait à l'époque d'Adrien Zeller, président du conseil régional d'Alsace, qui souhaitait apporter une réponse au report de trafic qu'avait entraîné la mise en place d'une taxation sur le réseau allemand. La taxe alsacienne, qui devait entrer en vigueur en 2007, s'est malheureusement perdue dans les méandres de l'administration, notamment à cause de la question du bénéficiaire de l'argent.

En 2009, le principe d'une écotaxe applicable à tout le territoire national est voté, à la quasi-unanimité d'ailleurs, dans le cadre du Grenelle de l'environnement – voulu par Nicolas Sarkozy, mon cher Raphaël. Sa mise en œuvre est initialement programmée pour 2010 mais cette année-là, Dominique Bussereau, alors secrétaire d'État aux transports, annonce qu'elle sera d'abord expérimentée en Alsace, début 2012. Un collectif alsacien comprenant transporteurs routiers, MEDEF (Mouvement des entreprises de France), exploitants agricoles et artisans la juge injuste et discriminatoire – preuve que rien n'est moins facile que d'appliquer ce type de dispositif.

En 2011, la justice annule l'appel d'offres remporté par l'italien Autostrade, et la mise en œuvre est désormais annoncée pour mars 2013, mais le changement de majorité en 2012 rebat les cartes et la majorité socialiste modifie en profondeur le dispositif : la nouvelle version nous vaut les bonnets rouges en Bretagne, le Gouvernement hésite, tergiverse, recule, tente d'aménager le projet et, de guerre lasse, annonce sa suspension sine die, en octobre 2014.

Les ressources attendues de cette taxe – qui, je le précise, devaient aller à l'AFITF, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, pour financer le report modal – seront remplacées par une hausse de la fiscalité du gazole. L'abandon de cette taxe coûtera à l'État 1 milliard d'euros au profit d'Écomouv', et des projets comme le canal Seine-Nord Europe attendent encore leur financement. En février 2017 la Cour des comptes juge qu'il s'agit d'un échec stratégique et d'un abandon coûteux, et conclut que l'abandon de l'écotaxe poids lourds constitue un gâchis.

Peut-être la séance d'aujourd'hui pourrait-elle être, avec un clin d'œil à Proust, une recherche du temps perdu. Je souhaite, au moins, que nous puissions remettre cette question à l'ordre du jour. D'abord, bien sûr, parce qu'il s'agit d'une demande locale alsacienne, mais aussi parce que, comme le voulait en son temps Adrien Zeller, l'Alsace peut être, pour l'ensemble du territoire national, un laboratoire permettant d'expérimenter des solutions nouvelles afin d'en mesurer les avantages, comme nous le souhaitons, mais également les inconvénients, dont Dominique Potier a cité un certain nombre – et, de fait, il faut entendre ce que disent nos voisins lorrains. Cette expérimentation sera d'autant plus facile que nous disposons aujourd'hui d'un réseau routier cohérent, avec le contournement ouest de Strasbourg, qui permet de canaliser les flux de camions beaucoup mieux que précédemment.

Je me réjouis par ailleurs que, comme l'a souligné le rapporteur, divers amendements et modifications du texte puissent faciliter cette expérimentation – je pense en particulier à la suppression de la notion de tonnage, ainsi qu'au système de dialogue prévu. À l'époque, en effet, comme je le rappelais, certains opérateurs n'étaient pas très satisfaits de participer à cette expérimentation.

Le retour d'expérience sera important et devra être analysé de près, pour ce qui concerne le report modal et le report de trafic sur les zones géographiques voisines, la régulation du trafic, à propos de laquelle j'ai quelques doutes, et l'économie générale de ce dispositif. Je suis persuadé que, dans le cadre des textes de loi que nous voterons au cours de cette législature, qu'il s'agisse de la décarbonation générale de l'économie ou des modifications que nous avons constatées, à l'occasion de la crise covid, en termes de modes de consommation et de flux de trafic, il faudra en tirer tous les enseignements et, pourquoi pas ? reprendre un jour au niveau national l'idée d'une taxation des moyens de transport de marchandises.

Je souhaite, en tout cas, que cela réussisse. Si ce n'est pas le cas, nous en serons réduits, comme l'académie des César, à juger que le meilleur scénario est celui des illusions perdues, ce que je ne souhaite pas.

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