Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 15h00
Augmentation du salaire minimum — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Il aura fallu une pandémie mondiale, des millions de morts, la menace d'un drame plus grand encore pour nous ramener à l'essentiel : le primat de la vie sur l'économie. Dans cette crise inédite qui pourrait en préfigurer bien d'autres, chacun a pu mesurer les impasses d'un modèle économique aux pieds d'argile, perclus de malfaçons, menacé par l'injustice et la démesure et, en définitive, par la précarité économique, sociale et écologique vers laquelle nous a entraînés l'ère néolibérale.

Nous avons touché du doigt les limites d'un monde tel qu'il a prévalu jusqu'à aujourd'hui.

La crise a mis au jour nos excès, nos turpitudes, nos faiblesses, mais elle a aussi révélé la force de millions de femmes et d'hommes demeurés au front, par nécessité autant que par conviction. Dans la crise, ceux-là n'étaient pas la seconde ligne, ils étaient la première : infirmières, aides-soignantes, bien sûr, mais aussi caissières, ouvriers de l'agroalimentaire ou éboueurs, tous ces métiers indispensables et pourtant si mal reconnus, si mal considérés, si mal rémunérés.

À coup sûr, nous raterions les leçons de la crise si nous ne reconsidérions pas radicalement la hiérarchie de nos priorités et de nos valeurs et laissions sans suite les promesses que portaient, pour toutes ces femmes et tous ces hommes, nos applaudissements chaque soir à 20 heures : la juste reconnaissance du travail, la prise en compte de l'utilité sociale, la lutte acharnée contre toutes les formes visibles et invisibles d'inégalités.

Selon le Gouvernement, « il faut que le travail paye ». Vous n'avez cessé de le clamer alors que le nombre des travailleurs pauvres s'est fortement multiplié sous cette législature, que le nombre d'emplois précaires en dehors du salarié n'a jamais atteint un niveau aussi haut et que vous avez conforté, que dis-je « protégé », l'injuste modèle des plateformes, visage honni du tâcheronnage moderne.

« Il faut que le travail paye », certes, mais la réalité est qu'il ne paye plus toujours ou bien peu ou encore qu'il ne paye plus pour tout le monde, à supposer qu'il ait jamais payé. Avec vous d'ailleurs, c'est moins le travail que la solidarité nationale qui paye, quand elle paye, puisque c'est dans les poches de nos grands-mères, par l'augmentation de la CSG des retraités, que vous êtes allés chercher de quoi financer la prime d'activité. Des primes plutôt qu'un salaire, sans cotisation sociale donc, sans droits à l'assurance chômage ou droits à la retraite. Vous avez diminué les uns, vous diminuerez les autres en obligeant tous les Français, sans distinction, sans prise en compte de la pénibilité, à travailler plus longtemps.

Ce faisant, vous apportez la preuve que ce que vous entendez donner d'une main, vous le reprenez toujours de l'autre.

Alors que l'inflation galope, alors que le prix du carburant explose, alors que les dépenses de logement occupent une part toujours plus importante dans le budget des ménages et que pour beaucoup de nos compatriotes, le mois se finit dès le 15, c'est au pouvoir de vivre qu'il nous faut faire droit.

Voilà dix ans que le salaire minimum n'a pas été revalorisé en valeur réelle. Pourtant, jamais autant de Françaises et de Français n'ont été rémunérés au SMIC.

Il faut que le travail paie vraiment : c'est ce que nous proposons par la voix d'Anne Hidalgo dans le cadre de la campagne présidentielle, et ici par celle de Gérard Leseul. L'augmentation de 15 % du SMIC, le salaire minimum interprofessionnel de croissance, représenterait pour ses bénéficiaires près de 200 euros supplémentaires par mois : 200 euros pour vivre dignement de son métier, 200 euros rendus aux plus modestes de nos travailleurs, alors que depuis 2008 le salaire des 10 % les plus riches a connu en France une hausse trois fois plus rapide que celui des 10 % les plus pauvres – sans parler des actionnaires des entreprises du CAC40, dont la rémunération, dans le même temps, a crû de 40 %. Si la répartition avait été équitable, les 20 % de Français les moins fortunés auraient vu leur salaire augmenter de 10 % !

Après la crise, rien ne peut plus justifier que le patron d'une enseigne de la grande distribution gagne 300 fois ce que gagne l'une de ses caissières. Rien ne peut plus justifier la captation d'une richesse toujours accrue par des mains toujours moins nombreuses, qui nous éloigne de l'idéal d'égalité sur lequel reposent nos démocraties. Si l'égalité est une valeur, la justice une aspiration, force est de constater qu'elles ne sauraient se dispenser de discipline collective, de règles du jeu auxquelles la loi d'aucun marché ne peut prétendre se substituer. Comme pour la question climatique, on pourra désormais parler d'un quinquennat perdu en matière de lutte contre les inégalités salariales. La crise nous donne de nouveau l'occasion d'agir : c'est pourquoi, avec Dominique Potier, nous plaidons pour la limitation à un facteur 12 des écarts de rémunération, pour le rétablissement de l'égalité entre la fiscalité du capital et celle du travail, pour la réforme du droit des successions que nous examinerons bientôt.

Mes chers collègues, ne faisons pas comme si les temps n'avaient pas changé, comme si nous n'étions pas appelés à davantage de justice et d'égalité, comme si nous ne devions pas prendre en compte la valeur, l'utilité sociale. Nous nous trouvons à un seuil. L'économie de demain, c'est l'économie contributive, celle où tout ce qui pollinise la société importe autant que le miel que l'on en tire à la fin du processus productif. Nous entrons dans une époque où la valeur change de nature et de camp, où doit être posée, en face de l'utilité, la juste rémunération. Alors se dessinera un nouveau modèle de développement économique fondé sur la production de l'humanité par l'humain. Défendons la valeur travail en défendant le travail de valeur, en défendant les travailleurs et leur dignité !

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