Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 15h00
Augmentation du salaire minimum — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Depuis deux ans, la crise a révélé au grand public et à nous tous ce que nous pressentions – notamment au sein du groupe socialiste – depuis de nombreuses années : l'indécence des bas salaires, ceux des premiers de cordée, mais aussi notre interdépendance. En effet, sans ces premiers de cordée, sans toutes ces personnes si mal considérées parce que mal rémunérées, notre économie tout entière s'effrondrerait et notre pays ne tiendrait pas debout.

Vaincre les inégalités salariales, retrouver l'esprit d'une société où l'échelle des salaires est décente, c'est d'abord une question de saine économie. C'est aussi une question d'écologie : en France, l'empreinte carbone du décile des revenus les plus élevés est trois fois supérieure à celle du premier décile. Et c'est une question sociétale – une seule statistique, tragique, suffit à le montrer : l'écart d'espérance de vie est de plus d'une décennie entre les 5 % des Français les plus favorisés et les 5 % les plus pauvres.

Il nous faut donc réduire ces inégalités, en faisant preuve de réalisme dans le contexte d'une compétition mondiale. Là réside notre désaccord le plus profond, madame la ministre déléguée : les ressources existent, au sein même de notre économie et à compétitivité égale, pour réduire ces inégalités et faire justice pour ceux qui, comme l'a si bien dit M. Leseul, sont méprisés par la société.

L'État-providence y a pourvu depuis des années et a contribué à réduire ces écarts. Vous avez vous-mêmes pris des initiatives en ce sens, mais cet État-providence a atteint un niveau de saturation, d'embolie, d'inefficacité même, au point qu'il produit des effets pervers. La défiscalisation massive des employeurs aux niveaux les plus élevés de revenus, par exemple, ou encore l'instauration de primes d'activité, détournent les entreprises de la question fondamentale qu'est la répartition de la valeur, non seulement entre capital et travail mais aussi au sein du monde du travail.

Au fil de plusieurs propositions de loi du groupe socialiste, nous avons proposé, avec Boris Vallaud notamment, de changer d'itinéraire dans notre marche vers la justice. La face nord est celle de l'État-providence tel que nous le pratiquons, avec des hauts des bas, depuis plusieurs décennies. Mais la face sud, que nous pourrions explorer, consiste à prévenir la création des inégalités. Pour y parvenir, nous proposons un processus qui apporte des réponses pratiques, opérationnelles et efficientes à la question qu'a posée Gérard Leseul : celle de l'indignité du SMIC, en particulier dans un contexte d'inflation des prix des produits essentiels.

Ce processus tient en dix propositions que nous avons largement présentées. Je n'en retiendrai que quelques-unes ici. Le facteur 12, d'abord : nous proposons que les rémunérations supérieures à douze fois le SMIC ne soient plus déductibles du calcul de l'impôt sur les sociétés – une mesure tout à fait possible et compatible avec la Constitution. Sans la moindre baisse de compétitivité, nous pourrions ainsi redistribuer 9 milliards d'euros, soit près de 100 euros – 93 euros pour être précis – de hausse sur la fiche de paie des quelque 14 millions de travailleurs qui constituent les cinq premiers déciles de revenus, et même 233 euros de hausse pour les deux premiers déciles de revenus, ceux que vise notre rapporteur dans cette proposition. En clair, l'effet redistributif, confirmé par d'autres études de la Fondation Jean-Jaurès, serait considérable – et encore ne s'agit-il là que de la répartition des revenus du travail, non celle des revenus du capital, dont de récentes études d'Oxfam ont montré à quel point ils avaient explosé pendant la crise.

D'autre part, le rapport que j'ai rédigé avec Graziella Melchior et que l'Assemblée a adopté à l'unanimité conclut à la nécessité de garantir la transparence et la responsabilité sociale et environnementale en matière d'écarts de salaires. La transparence, d'abord : la loi PACTE impose la publication par les entreprises des rémunérations de leurs employés par quartile, mais cette règle n'est même pas respectée ; peut-être nous direz-vous pourquoi les entreprises n'appliquent pas la loi que nous avons votée. Nous proposons quant à nous que les entreprises publient leurs rémunérations par centile, ainsi qu'un indicateur de partage de la valeur et le doublement de la participation. Surtout, avec Boris Vallaud et d'autres collègues, nous proposons d'instaurer le principe de la codétermination, non seulement dans les instances fixant les rémunérations mais plus généralement, dans la gestion et le management des entreprises, sur le modèle du capitalisme rhénan.

En somme, nous proposons une réforme profonde de l'entreprise qui permettra d'assurer la justice sans porter atteinte à notre compétitivité. Comment pouvez-vous être sourds à de telles propositions ? Le monde crie justice en matière économique, sociale, écologique. Le devoir de vigilance, la réforme de la responsabilité sociale des entreprises, la réduction des écarts de salaire : c'est un même combat, celui de la justice dans une économie saine qui, parce que nous préviendrons les inégalités à la source, sera plus compétitive et préparera un nouveau cycle de prospérité, conforme à l'ère de l'anthropocène et aux attentes de notre société.

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