Intervention de Franck Riester

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 9h00
Condamnation des crimes perpétrés contre les ouïghours — Discussion générale

Franck Riester, ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l'attractivité :

Je mesure la gravité du sujet qui m'amène aujourd'hui à prendre la parole devant vous à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l'humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l'égard des Ouïghours, qu'a bien voulu déposer M. le député Alain David, en application de l'article 34-1 de la Constitution.

Le constat que vous venez toutes et tous d'établir est très largement partagé : de nombreux témoignages accablants attestent de violations extrêmement graves des droits de l'homme dans la région du Xinjiang. Pour être tout à fait précis, nous parlons ici des témoignages qui font état de l'internement des Ouïghours dans des camps, de détentions massives, de disparitions, de travail forcé, de viols et d'abus sexuels dans des camps, de stérilisations forcées, de la destruction du patrimoine culturel ouïghour, en particulier des lieux de culte, et de la surveillance de la population.

Face à la gravité de la situation au Xinjiang, la France dénonce avec force, de manière constante et à tous les niveaux, ces pratiques inqualifiables et injustifiables. Le sujet des droits de l'homme en Chine, tout particulièrement au Xinjiang, est systématiquement évoqué lors des entretiens bilatéraux qui ont lieu entre Paris et Pékin, jusqu'au plus haut niveau. Nous relayons auprès des autorités chinoises nos plus graves préoccupations, partagées par l'opinion publique française, quant à l'ampleur et à la gravité des violations commises au Xinjiang, et nous appelons à y mettre fin.

Le Président de la République s'est à plusieurs reprises exprimé lui-même publiquement, sans aucune ambiguïté, à ce sujet. Je vous renvoie à ce titre aux propos particulièrement forts qu'il a tenus hier devant le Parlement européen. Il fait aussi directement part de ses préoccupations à son homologue chinois, le Président Xi Jinping, lors de leurs entretiens réguliers.

De même, le Gouvernement exprime publiquement ses inquiétudes par des déclarations officielles qui ont trait non seulement à la dégradation de la situation des droits de l'homme en Chine, notamment au Xinjiang, mais aussi à des situations individuelles, par exemple celle de la joueuse de tennis Peng Shuai, qui a récemment été mise en lumière. Le ministre Jean-Yves Le Drian s'est également exprimé à de nombreuses reprises devant vous, ainsi qu'au Sénat ou encore dans les médias, en condamnant fermement le système répressif qui a cours dans cette région. Parallèlement et en dépit d'un contexte difficile, l'ambassade de France en Chine poursuit son action de soutien à la société civile et aux militants des droits de l'homme.

La France est également mobilisée au sujet de la situation au Xinjiang dans les enceintes internationales dédiées aux droits de l'homme. Lors de la quarante-sixième session du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, qui a eu lieu en février dernier, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a ainsi soulevé ce sujet parmi ceux qui nécessitaient un suivi attentif, eu égard au caractère systématique et sérieux des violations des droits de l'homme observées. Il a notamment évoqué un système institutionnalisé de surveillance et de répression à grande échelle, documenté par de nombreux rapports et témoignages concordants dont j'ai fait état il y a quelques instants. Lors du débat général sous point 4 de l'ordre du jour de cette même session – pardonnez-moi d'en venir à ce niveau de détail dans les procédures, mais c'est dans le cadre de cette session que sont débattus les cas les plus graves –, l'allocution de la France a commencé par mentionner la situation au Xinjiang.

Devant la troisième commission de l'Assemblée générale des Nations unies, le 21 octobre dernier, la France a coordonné la rédaction d'une déclaration conjointe transrégionale sur la situation des droits de l'homme au Xinjiang, prononcée au nom de quarante-trois États. Le texte fait l'inventaire des violations et abus commis au Xinjiang à l'égard des droits de l'homme, en évoquant notamment des cas de détentions arbitraires, de torture et de restriction des libertés fondamentales pesant sur les Ouïghours. Il appelle en outre à une visite immédiate et sans entrave de la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme dans la région, et au respect par la Chine de ses obligations internationales en matière de droits de l'homme, dans le prolongement des appels répétés de la France en ce sens auprès de la partie chinoise.

Au niveau européen, notre action a pris une dimension nouvelle avec l'adoption des sanctions prises le 22 mars 2021 au titre du nouveau régime transversal de mesures restrictives européennes pour graves violations des droits de l'homme. Nous avons soutenu le renouvellement de ces mesures, le 6 décembre dernier, et je rappelle à cet égard que sur quatorze personnes et quatre entités visées par ces sanctions dans le monde, quatre individus et une entité le sont au nom de ce qui se passe au Xinjiang.

Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, la France entend poursuivre, en coordination avec les États membres, le dialogue exigeant mené au niveau européen avec la Chine quant au respect des droits de l'homme, notamment au Xinjiang, dans le cadre des prochaines échéances Union européenne-Chine. Puisque vous avez évoqué l'accord global sur les investissements entre l'Union européenne et la Chine – Comprehensive Agreement on Investment, ou CAI –, permettez-moi d'en dire quelques mots. Comme l'a exprimé de manière très claire le Président de République hier devant le Parlement européen, « Il n'y aura pas d'accord d'investissement s'il n'y pas de ratification des conventions » de l'OIT qui permettent d'interdire et de contrôler le travail forcé. Vous savez qu'aucun progrès, s'agissant de cet accord, ne sera possible tant que la Chine continuera à imposer des sanctions à des parlementaires et à des chercheurs européens.

Le Président de la République a par ailleurs évoqué hier la question du devoir de vigilance, que nous avons examinée juste avant d'aborder la présente proposition de résolution. Nous continuerons de soutenir les travaux de la Commission européenne en vue de l'adoption, dans les meilleurs délais, de réglementations européennes visant le travail forcé. Nous devons nous doter de cadres juridiques européens pour éliminer d'une part le travail forcé et pour interdire d'autre part l'importation de biens issus du travail forcé. De tels cadres doivent permettre de renforcer la conduite responsable des entreprises et de protéger celles qui s'y attachent déjà. Il s'agit d'un sujet prioritaire sur lequel nous avons nous-mêmes adopté des dispositions robustes au niveau national, en particulier dans le cadre de la loi Potier de mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.

En effet, depuis plusieurs années déjà, la France s'est engagée de manière pionnière en faveur d'un renforcement du cadre législatif régissant la conduite responsable des entreprises, notamment en ce qui concerne le travail forcé. Tel est l'objet de la loi de mars 2017, que je viens d'évoquer : elle vise à identifier les risques liés aux activités des entreprises et à leur chaîne de valeur, afin de prévenir les atteintes graves aux droits fondamentaux et à l'environnement. Elle impose aux entreprises d'établir, dans les cas pertinents, un plan de vigilance inclus dans leur rapport de gestion. Nous conduisons à cette fin des actions de sensibilisation, pour veiller à ce que le secteur privé prenne sa part de responsabilité dans la lutte contre le travail forcé.

En octobre dernier, conjointement avec Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et Adrien Taquet, le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles, j'ai lancé une stratégie nationale d'accélération visant à éliminer le travail des enfants, le travail forcé, la traite des êtres humains et l'esclavage contemporain, en France et dans le monde. Elle vise à accroître les efforts de la France en vue d'atteindre l'objectif de développement durable 8.7 (ODD 8.7) de l'agenda 2030 des Nations unies, qui comprend l'élimination du travail forcé d'ici à 2030.

Par ailleurs, la vigilance du Gouvernement s'exerce aussi en matière de financement du développement. Nous contestons notamment tout financement, y compris par l'intermédiaire des banques de développement, de projet susceptible de contribuer au travail forcé ou à la répression, notamment dans la région du Xinjiang. Le Gouvernement est également intervenu à plusieurs reprises auprès des autorités chinoises pour signaler des cas individuels, concernant notamment des proches de ressortissants français victimes de la répression.

Enfin, sur notre territoire national – je sais que c'est une préoccupation pour plusieurs d'entre vous –, les autorités françaises sont très attentives au respect des droits des Ouïghours établis en France, comme de toutes les personnes présentes sur notre territoire, qu'elles soient de nationalité française ou étrangère. En particulier, face aux difficultés que peuvent rencontrer des Ouïghours pour renouveler leurs documents officiels chinois, les autorités françaises ont pris les dispositions nécessaires pour prendre en compte cette situation lors du traitement des demandes qu'ils formulent relativement à leur séjour en France, mais aussi, plus généralement, pour prévenir les situations susceptibles de conduire à une violation de leurs droits fondamentaux.

Mesdames et messieurs les députés, la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violations des droits de l'homme perpétrées au Xinjiang à l'encontre des minorités musulmanes renvoie à une qualification qui relève en premier lieu des juridictions, eu égard en particulier à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948. Vous me donnerez acte du fait qu'il n'appartient pas au Gouvernement de s'exprimer sur la caractérisation juridique de la situation. Nous nous en remettons dès lors à la sagesse des parlementaires, afin que ceux-ci s'expriment librement, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, pour déterminer si l'adoption de la présente proposition de résolution est opportune ou non.

La France continuera de soutenir avec constance le dialogue exigeant mené avec la Chine quant au respect des droits de l'homme, notamment au Xinjiang, en appelant en particulier la Chine à ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies. Nous continuerons par ailleurs à nous engager sans relâche pour que soient atteints les objectifs fixés au niveau européen en matière de respect des droits de l'homme en Chine, notamment au Xinjiang, y compris sous l'angle de la politique commerciale. Nous demeurerons pleinement mobilisés dans les enceintes internationales, afin de défendre le caractère universel et inaliénable des droits de l'homme et d'exhorter la Chine à respecter ces libertés fondamentales, conformément à ses obligations découlant du droit national et international.

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