Intervention de Matthieu Orphelin

Séance en hémicycle du jeudi 20 janvier 2022 à 9h00
Discussion d'une proposition de résolution européenne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMatthieu Orphelin :

Bientôt neuf ans écoulés depuis les 1 127 morts du Rana Plaza, et il n'y a toujours pas de législation européenne sur le devoir de vigilance des multinationales. Mourir pour des salaires de misère, parce que l'on confectionne toujours plus vite, dans des conditions indignes, toujours plus de vêtements pour des consommateurs vivant à l'autre bout du monde, cela ne doit plus pouvoir arriver.

Adoptée grâce à l'engagement des ONG, des syndicats et de la société civile, grâce à une volonté politique, afin que les multinationales assument pleinement leurs responsabilités, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre n'est certes pas parfaite. Elle peine à produire ses effets : il faudra la renforcer en abaissant les seuils, en l'étendant à toutes les sociétés commerciales, en inversant la charge de la preuve. Cependant, elle constitue d'ores et déjà une référence internationale : d'autres États européens, comme les Pays-Bas et l'Allemagne, ont emboîté le pas et se sont dotés de leur propre législation.

Désormais, il est temps de passer à la vitesse supérieure et d'étendre le devoir de vigilance à toute l'Union européenne. J'ai cosigné des deux mains cette proposition de résolution ; je demande au Gouvernement de profiter de la présidence française du Conseil de l'Union européenne pour accélérer sur ce sujet, car les choses prennent trop de temps. Cela fait près d'un an que le Parlement européen a adopté un rapport d'initiative législative et transmis un projet de directive à la Commission, qui tarde à présenter la version définitive. On parle de mi-février : monsieur le ministre délégué, pouvez-vous confirmer cette date ? La France doit débloquer la situation et embarquer ses homologues européens.

Il conviendra également de s'inspirer des retours d'expérience. En France, l'application de la loi se heurte à l'action de certains groupes d'influence, à l'immobilisme de certaines entreprises : sur 263 qui sont soumises à cette législation, selon l'association Sherpa et l'ONG CCFD-Terre solidaire, six ont fait l'objet de mises en demeure ou d'assignations en justice, et quarante-quatre n'ont toujours pas publié leur plan de vigilance. Pour ne citer que les cas les plus problématiques, un projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda serait à l'origine d'expropriations massives, entraînant de graves violations du droit à l'alimentation, et de risques de dommages environnementaux ; le groupe Casino est mis en cause pour déforestation et invasion de territoires autochtones par ses fournisseurs. Tous deux ont prétexté l'incompétence du tribunal judiciaire, au profit du tribunal de commerce, afin de gagner du temps, ce qui est tout bonnement indigne !

Fin 2021, grâce encore une fois à l'engagement des ONG et autres acteurs, ainsi qu'à un travail transpartisan et notamment au soutien du garde des sceaux, l'adoption d'un amendement que je défendais a permis une avancée législative majeure : le tribunal judiciaire de Paris a été déclaré compétent, conformément à l'intention du législateur de 2017. Non, nous ne pouvons brader les droits humains aux tribunaux de commerce ! Cet épisode aura du moins prouvé, une fois de plus, l'immobilisme de certains lobbys. Ne tardons pas davantage à instaurer un devoir de vigilance européen, tout en continuant d'améliorer la loi française. En cette décennie où l'avenir climatique dépend de notre action ou de notre inaction, la survie des entreprises elles-mêmes est liée à leur vigilance en vue de prévenir et réparer les atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l'environnement. Il est dans leur intérêt de limiter les risques de leur activité pour la planète et les hommes.

Je soutiendrai donc avec enthousiasme la proposition de résolution. Je profite des quelques secondes qui me restent pour remercier deux autres parlementaires. Le premier est Dominique Potier : quel plaisir, durant ces cinq années, d'avoir mené tant de combats transpartisans en matière d'agriculture, d'alimentation, avec la même vigueur et la même exigence – j'allais dire avec la même foi !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.