Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 21h30
Légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Avec 1,5 million de consommateurs réguliers de cannabis, la France se place sur le podium des pays les plus touchés en Europe par ce phénomène. Les chiffres ont déjà été rappelés par le rapporteur et appellent à la modestie, ainsi qu'à un esprit plus audacieux en la matière. Le cannabis reflète et cristallise les contradictions de notre société : il engage beaucoup d'interdits et des transgressions plus ou moins graves, et donne lieu, en réponse, à une politique répressive qui ne s'attaque pas aux racines du mal.

En effet, au-delà du problème des infractions à la loi, ce qui nous intéresse ici, c'est notre capacité à changer la donne, à inverser les tendances et à nous donner les moyens d'une politique de santé publique ambitieuse, capable de protéger notre jeunesse. Or nous ne pouvons que constater l'immobilisme du Gouvernement sur la question d'une transition en matière de dépénalisation ou de légalisation du cannabis : il poursuit une politique de prohibition qui n'a pourtant démontré aucun effet majeur sur la diminution de la consommation au niveau national. Les différents travaux menés par les députés, en particulier dans le cadre de la dernière mission d'information, à laquelle j'ai eu la chance de participer, ont démontré à quel point notre vision des choses devait évoluer, afin de prendre en compte l'ensemble des aspects liés à la production, à la vente et à la consommation du cannabis.

Vous le savez, après avoir mené de nombreuses auditions, cette mission d'information a produit un rapport en trois parties : « cannabis thérapeutique », « cannabis récréatif » et « chanvre bien-être ». Preuve, s'il en fallait, de l'intérêt de nos concitoyens pour ce sujet, nous avons reçu plus de 250 000 contributions en réponse à un sondage lancé sur le site de l'Assemblée nationale. Leurs réponses sont unanimes : 80 % se prononcent en faveur d'une légalisation.

Alors certes, il n'est pas question de s'en remettre, dans une démocratie parlementaire, à ce qui pourrait être la dictature de l'opinion. Mais nous devons observer les situations avec réalisme et tenir compte de manière raisonnable de l'état de notre société, en nous attachant à faire un bilan sincère de nos politiques publiques à l'aune des objectifs que nous nous fixons, pour le bien de nos concitoyens. Il ne suffit pas d'aligner des chiffres soulignant le travail de fourmi que produisent nos forces de l'ordre, avec abnégation et en se mettant souvent en danger ; il nous faut aussi comprendre les mécanismes qui donnent lieu à un tel décalage entre les efforts fournis par les pouvoirs publics et les résultats escomptés en matière de santé publique, comme nous l'avons fait pour le tabac et l'alcool, produits pourtant hautement addictifs.

En effet, les forces de l'ordre et la justice sont trop largement mobilisées sur le cannabis et rapportent leur frustration à ce sujet. Cette mobilisation se fait au détriment de missions plus essentielles et d'une politique de prévention et de santé publique de grande ampleur, permettant de lutter réellement contre les dangers du cannabis. Le narcobanditisme et la souffrance sociale que subissent les quartiers se sont aggravés, sans qu'aucun dispositif répressif puisse aider les habitants à se réapproprier l'espace public et à retrouver un peu de tranquillité. L'instauration de l'amende forfaitaire, si elle a légèrement allégé le travail des policiers, présente un bilan mitigé ; surtout, elle n'enraye pas le phénomène.

Votre constat, monsieur le rapporteur, rejoint celui que nous avons dressé à l'occasion de la mission d'information : tous les milieux sont touchés par le cannabis, et les dealers rivalisent d'imagination pour toucher de plus en plus de clients, les journaux les comparant régulièrement à des start-up parfaitement organisées – vente sur les réseaux de messagerie cryptée, service après-vente et mise en place de promotions. La consommation et la vente de cannabis sont évidemment des enjeux de santé publique, mais ils doivent également être envisagés dans leur dimension économique et sociale.

Ainsi, à l'instar de ce qui se fait dans un nombre de plus en plus important de pays dans le monde, dont les expériences méritent mieux qu'une analyse approximative, vous proposez une légalisation contrôlée du cannabis, en confiant à l'autorité d'un établissement public administratif les missions d'agrément et de contrôle de la production et de l'exploitation du cannabis. Vous proposez également que la mesure s'accompagne d'interdictions strictes envers les mineurs et aux abords des établissements scolaires, comme cela avait été fait par le passé dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite loi Evin ; vous soutenez aussi des formes d'organisation du marché de type coopératif, qui tiennent compte de la demande de nos agriculteurs engagés depuis de longues années dans une filière du chanvre ; enfin, vous insistez sur la nécessaire coopération internationale dans ce domaine.

Vous avez mené un travail de fond, vous aussi, depuis plusieurs mois, selon une démarche transpartisane que je salue. Contrairement à la posture dogmatique de la majorité, qui se plaît à caricaturer notre position et préfère défendre le statu quo plutôt que d'apporter des solutions concrètes à ce qui devrait être un combat commun, nous continuerons de soutenir cette proposition d'encadrement de la consommation tout en plaidant pour un plan de santé publique d'envergure.

Bien sûr, nous aurions aimé pouvoir également aborder la question du cannabis thérapeutique, dont la maigre expérimentation – 3 000 patients seulement sont concernés – vient de démarrer, ainsi que celle du « cannabis bien-être », le CBD, au sujet duquel les dernières prises de position du Gouvernement sont totalement incompréhensibles eu égard au droit européen et à la réalité de la filière en France, mais je soutiens, monsieur le rapporteur, votre initiative de mettre à l'agenda un sujet pour lequel le Gouvernement, malgré les discours de campagne du Président de la République, refuse la moindre avancée.

C'est pour toutes ces raisons que j'ai cosigné ce texte et que la majorité du groupe Socialistes et apparentés le votera, afin de promouvoir un progrès en toute sécurité et de défendre une politique de santé publique ambitieuse et protectrice, dans le cadre d'une législation encadrée.

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