Intervention de Michèle de Vaucouleurs

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 21h30
Légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle de Vaucouleurs :

Selon l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), la France est le premier pays européen en matière de consommation de cannabis. On estime à 45 % la proportion de Français ayant fumé du cannabis au moins une fois dans leur vie, alors que la moyenne européenne se situe à 29 %. On évalue à 5 millions le nombre de Français et de Françaises qui consomment au moins une fois par an, à 1,4 million le nombre de consommateurs réguliers, et à 900 000 le nombre de consommateurs quotidiens.

Ce constat, connu depuis longtemps, a de nouveau été mis en lumière par la mission d'information sur la réglementation et l'impact des différents usages du cannabis, qui a rendu ses conclusions le 28 juin dernier.

Face à de tels chiffres et à leurs conséquences, il n'est pas envisageable d'éluder le débat, et nous saluons le groupe La France insoumise, qui l'a promu dans le cadre de sa niche parlementaire. Il nous faut l'aborder sans passion ni dogmatisme, mais avec pragmatisme et vigilance.

Il faut tout d'abord se rendre à l'évidence : la politique répressive en vigueur dans notre pays depuis des décennies ne parvient pas à infléchir significativement cette consommation ni les trafics qui l'alimentent. La politique de prévention qui s'est développée plus récemment a permis, ces dernières années, de faire reculer légèrement la consommation des plus jeunes. C'est bien vers ce public, n'en doutons pas, que doit se focaliser toute notre attention, tant l'usage du cannabis est particulièrement délétère pour sa santé.

Par ailleurs, les jeunes sont également les premières victimes collatérales du marché illégal qui prospère aux portes mêmes des collèges : ce marché emploie des mineurs au service des intérêts des gros trafiquants et les expose à des règlements de compte parfois mortels. De plus, le trafic les tient à l'écart des parcours de formation et pénalise durablement leur entrée dans la vie active. Le débat sur la légalisation du cannabis ne peut être décorrélé de la protection des plus jeunes, tant sur le plan de la santé publique que sur celui de l'éducation.

Une fois ce principe posé, il faut considérer l'avis de la population sur le sujet. La consultation citoyenne initiée par la mission d'information de l'Assemblée nationale a montré qu'une large majorité se disait favorable à une autorisation de la consommation et de la production de cannabis, dans un cadre régi par la loi. Il s'agit là d'un indicateur intéressant, qui dégage une tendance.

Par ailleurs, les experts, dans leur grande diversité, s'inscrivent généralement en faux contre les craintes souvent exprimées au sujet de la légalisation, telles que son caractère très incitatif à la consommation ou la réorientation des trafics sur des drogues plus nocives. Ils soulignent aussi la difficulté qu'il y a à mener des actions de prévention, dans l'acception large du terme, s'agissant d'un produit illicite.

Toutefois, un travail considérable reste à fournir, et de nombreuses questions restent en suspens quant au modèle qu'il conviendrait de mettre en œuvre, par exemple en ce qui concerne les circuits de production et de distribution. Si le texte tente d'y répondre dans le cadre de son article unique, de nombreux éléments manquent au sujet de la prévention, du régime fiscal ou encore des sanctions éventuelles qu'il conviendrait sans doute de renforcer en cas de production, de distribution ou de vente hors des circuits légaux.

Nous considérons que cette question doit pouvoir être abordée dans le cadre d'un débat national, appuyé sur de véritables études d'impact. Cela tombe bien, la campagne présidentielle est engagée : elle apparaît être le moment opportun pour l'évoquer devant tous les Français.

Rappelons par ailleurs que la présente législature a vu l'ouverture de la commercialisation du cannabidiol et le lancement d'une expérimentation du cannabis thérapeutique, sous le contrôle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Il s'agit là de premières étapes nécessaires. Sur de tels sujets, le temps long n'est pas un obstacle car il nous faut être en mesure de prendre en compte tous les cas de figure, tous les scénarios.

Le véhicule législatif proposé ici n'apparaît pas opportun s'agissant d'une mesure aussi engageante sur le plan sociétal. Trop d'éléments de l'équation sont absents. En outre, il n'est pas envisageable de légiférer sur un sujet d'une telle ampleur à quelques mois de la fin d'une législature.

Le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés s'opposera donc à l'adoption de la proposition de loi, tout en saluant l'initiative du rapporteur qui nous permet de poser les jalons de la réflexion.

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