Intervention de Julien Dive

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 21h30
Légalisation du cannabis sous le contrôle de l'État — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive :

Vous proposez de créer un monopole d'État, à travers la création d'un établissement public administratif chargé de réguler la production et la vente au détail. La production serait soumise à des autorisations, tout comme la vente, sur le modèle des débitants de tabac.

Sur la forme, la proposition de loi pose plusieurs problèmes. D'origine parlementaire, ce texte est logiquement présenté dans une niche. Nous connaissons tous le jeu des niches parlementaires mais, en l'occurrence, le sujet est trop grave et trop sensible pour être examiné dans ce cadre.

Par ailleurs, malgré votre présentation mesurée, monsieur le rapporteur, le texte minimise la menace que fait peser le cannabis sur la santé des Français. Cette menace n'est pourtant plus à démontrer. Le cannabis a des effets délétères sur la santé, lesquels sont d'autant plus dangereux que l'usager est jeune. Ce produit peut faire baisser le quotient intellectuel des adolescents, il est dangereux pour les conducteurs et il altère les capacités de perception et d'attention comme la mémoire immédiate. Il provoque également des troubles relationnels, scolaires et professionnels. Il révèle ou aggrave les troubles mentaux et entraîne un risque de dépendance. Le cannabis est une substance dangereuse, qui cause des troubles psychiques potentiellement graves, notamment chez les plus jeunes.

L'exposé des motifs de la proposition de loi fait, en outre, un parallèle entre la légalisation du cannabis et l'encadrement de la production, de la vente et de la consommation de l'alcool et du tabac. Le cannabis serait, au même titre que ces substances légalisées, « un produit dangereux ».

Enfin, l'exposé des motifs présente la légalisation comme une solution magique, qui permettrait de produire de la richesse et de créer des emplois, de libérer des effectifs de police et de justice et de réduire la criminalité. Si l'on en croit les études conduites dans les pays qui ont adopté la légalisation, ces effets doivent être fortement nuancés. J'en veux pour preuve l'étude conduite par l'OFDT dans le cadre du projet de recherche international Cannalex. Portant sur les années 2015 à 2017 et mise à jour régulièrement, cette étude fournit un panorama intéressant des différents modèles de légalisation dans le monde et permet de nuancer les bénéfices de cette mesure, qui, s'ils existent parfois, ne sont ni automatiques ni certains. On observe des effets bénéfiques et significatifs directs sur le plan économique et fiscal du fait de l'émergence, dans l'économie légale, d'un marché jusque-là souterrain – c'est une évidence, mais cela ne doit en aucun cas être considéré comme un argument d'autorité.

S'agissant de la criminalité, les résultats sont mitigés. La légalisation du cannabis a mécaniquement permis de réorienter une partie de l'activité des forces de l'ordre et des magistrats. De même, si les interpellations pour usage et détention ont logiquement diminué, il reste des niches dans lesquelles la répression des infractions associées à la législation sur les stupéfiants n'a pas faibli ; c'est le cas, par exemple, pour les mineurs. On observe donc une persistance du marché noir et d'une criminalité liée au cannabis, du fait du besoin d'approvisionnement des jeunes de moins de 21 ans, des personnes cherchant des produits plus forts que ceux autorisés à la vente ou de ressortissants d'États frontaliers.

En outre, les activités des groupes criminels transnationaux n'ont pas fondamentalement été remises en cause par la légalisation du cannabis. Ces groupes criminels restent encore largement investis dans le marché noir du cannabis et développent d'autres trafics – héroïne et méthamphétamine, notamment – afin de compenser les pertes économiques occasionnées par l'assèchement partiel de leurs débouchés.

Enfin, en matière de santé publique, on observe globalement une stagnation de la consommation des mineurs mais une hausse marquée parmi les majeurs. Aux États-Unis, dans tous les États ayant légalisé, la proportion de jeunes majeurs ayant consommé du cannabis a augmenté beaucoup plus vite que la moyenne fédérale, atteignant dans certains États un niveau record – jusqu'à 33 % d'usagers ayant consommé dans le mois écoulé dans l'Oregon.

En outre, la hausse des recours aux urgences après une intoxication aiguë au cannabis compte parmi les conséquences sociosanitaires les plus marquantes de la légalisation. L'analyse des sources officielles fait également apparaître une baisse de la perception du risque lié à l'usage de cannabis, une augmentation des cas de conduite après usage de cannabis, le plus souvent en association avec l'alcool, et un recul des demandes de traitement, en particulier parmi les plus jeunes, dans les États du Colorado et de Washington. Ces éléments témoignent d'une certaine normalisation du cannabis, en particulier parmi les jeunes générations.

Chers collègues, le groupe Les Républicains ne peut l'accepter ; il ne peut se résoudre à un abandon de la lutte contre le trafic de drogue. La drogue est un poison pour notre société et nous devons le rappeler.

Au-delà des arguments que je viens de présenter, je tiens aussi à souligner, au nom de mon groupe, notre refus éthique d'une telle légalisation. Elle serait un message dramatique envoyé à notre société et pourrait paver la voie à une légalisation de toutes les drogues. Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons fermement à la présente proposition de loi.

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