Intervention de Julien Denormandie

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Interdiction du glyphosate — Présentation

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Combien d'exemples avons-nous en tête, de la lentille à la cerise, en passant par la betterave ? Vous connaissez mon attachement au principe de réciprocité, or il n'apparaît nulle part dans votre proposition de loi.

Le courage en politique consiste donc à affronter la complexité en suivant une vision et une méthode, contrairement à ce que fait votre proposition de loi. C'est ainsi que nous avons abordé la question du glyphosate – car nous avons agi. Notre vision nous conduit à n'interdire que lorsque des solutions alternatives existent ; dans ce cas, nous les utilisons. En effet, nous croyons aux transitions agroécologiques, et nous savons qu'elles nécessitent des investissements massifs. Ces derniers doivent aussi concerner la recherche : nous déployons en ce moment même un plan de recherche doté de plus de 7 millions d'euros, qui finance actuellement plus d'une vingtaine de projets R&D (recherche et développement).

La méthode, quant à elle, consiste à replacer la science et la raison au centre des débats. La politique ne doit procéder ni de l'émotion, ni de la vertu, mais bien de la raison. C'est pourquoi nous avons demandé à l'INRAE, que vous connaissez bien, monsieur le rapporteur, de produire des connaissances sur les solutions alternatives crédibles. Puis, avec l'ANSES, nous avons effectué la révision des autorisations de mise sur le marché en 2021. Cela nous a permis de revoir les quantités d'utilisation, de manière ambitieuse.

Cela marche : grâce à l'engagement des filières, des résultats sont déjà visibles. Soyons-en fiers, plutôt que de les dénigrer. Depuis que l'on mesure les quantités de glyphosate vendues, la moyenne triennale atteinte en 2020 a été la plus faible depuis la période 2009-2011 : nous sommes parvenus à stopper une hausse ininterrompue depuis dix ans. Grâce à la révision des AMM, les quantités utilisées devraient diminuer de 50 %. Un peu plus d'un tiers des exploitations se passent d'ores et déjà du glyphosate ; un autre tiers a commencé à réduire son utilisation, selon une enquête réalisée en 2019. Les transitions agroécologiques sont donc bien en cours et elles se sont accélérées ces dernières années. Nous continuerons à agir en ce sens, toujours avec vision et méthode. Oui, les agriculteurs vivent de l'environnement et chérissent le sol – ce que nous avons de plus précieux.

Ces résultats ne concernent pas seulement le glyphosate ; nous en avons de comparables pour les produits les plus préoccupants, dits CMR1, dont l'utilisation a diminué de 93 % – je dis bien 93 % – depuis 2016 ; les ventes cumulées de produits CMR1 et CMR2 ont diminué de 40 % depuis 2017. Les surfaces exploitées en agriculture biologique ont doublé en cinq ans et le nombre d'exploitations possédant la mention HVE – haute valeur environnementale – a été multiplié par vingt en trois ans. Voilà les résultats que suscitent notre vision, notre méthode et notre détermination. Continuons à agir en ce sens, plutôt que de toujours dénigrer les choix effectués.

La position de la France, fondée sur la raison et la science, est très claire : nous sommes déterminés à faire avancer fortement les transitions agroécologiques, tout en gardant à l'esprit notre volonté de ne jamais, jamais déléguer notre souveraineté alimentaire. Le Président de la République a clairement exprimé cette intention récemment : la transition agroécologique est nécessaire ; elle est engagée, nous devons l'accompagner et investir pour la poursuivre – et non formuler des injonctions. Cela justifie les 4,2 milliards d'euros de budget prévus, si l'on additionne les plans France relance et France 2030.

Nous sommes favorables à l'arrêt du glyphosate, lorsqu'il existe d'autres solutions réalistes, c'est-à-dire viables économiquement et cohérentes en matière environnementale. Ce que la France a accompli avec la révision des autorisations de mise sur le marché, par exemple, les autres États membres de l'Union européenne ne l'ont pas fait, à l'exception du Luxembourg, mais, avec tout le respect que j'éprouve pour le Luxembourg, il ne s'agit pas de la plus grande puissance agricole européenne, loin de là. Aussi avons-nous l'intention de défendre ces décisions au niveau européen, à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union.

Enfin, s'agissant du glyphosate, la complexité du vivant a un visage, c'est celui de l'agriculture de conservation. En effet, elle capte le CO2, elle fait des agriculteurs des soldats du climat et elle prolonge la vitalité des sols. Allez sur le terrain, voir des carottes issues de sols cultivés en agriculture de conservation ! Des générations d'agriculteurs ou d'ingénieurs agronomes, comme moi, y ont été formées. Or, n'en déplaise à certains, elle nécessite de désherber, précisément pour ne pas avoir à labourer. Pour l'heure, nous ne disposons pas de solution pour le faire. Allez-vous demander aux agriculteurs d'aller dans les champs désherber à la binette ? Soyons sérieux. Allez-vous leur proposer, comme j'ai pu le lire, de recourir à l'électrification des sols ? Certes, cela pulvérise les mauvaises herbes, mais regardez à quoi ressemblent les vers de terre que l'on trouve dans les prélèvements effectués après une électrification.

Par ailleurs, avez-vous mesuré le nombre de tonnes de CO2 supplémentaires que l'application de votre proposition de loi rejetterait dans l'atmosphère ? Il eût été de bon aloi que votre étude d'impact le précisât ! Plus généralement, au-delà du carbone stocké dans les sols, tous les avantages des techniques de non-labour sont en jeu : structuration, biodiversité du sol, réduction de l'érosion. On voit bien que deux objectifs environnementaux entrent en confrontation : la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.

La situation est complexe et interdit tout simplisme. Elle nous oblige au contraire à agir avec méthode, comme je viens de vous l'exposer. La noblesse de la politique naît de sa réussite à appréhender cette complexité. C'est ce à quoi parvient la majorité présidentielle qui siège devant moi, et je l'en remercie.

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