Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Interdiction du glyphosate — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme, rapporteur de la commission des affaires économiques :

J'ai le plaisir, avec les membres du groupe La France insoumise, de déposer cette proposition de loi, qui demande à l'Assemblée nationale d'interdire l'usage du glyphosate en France. Devant la commission des affaires économiques, une majorité hétéroclite s'est réfugiée dans une défense intégrale de l'agriculture française pour, une fois de plus, décider… de ne rien décider ! Afin de motiver le rejet du texte, ont été invoqués pêle-mêle : l'équilibre économique précaire des exploitations agricoles, la préservation de la souveraineté alimentaire française et l'état des connaissances et des techniques en agronomie.

Mes chers collègues, je ne confonds pas les agriculteurs avec le modèle dans lequel on les enferme. Ce n'est pas rendre service au monde paysan que de lui offrir pour seul horizon une agriculture productiviste qui le conduit à sa perte. Avec ou sans glyphosate, nous pouvons tous constater, année après année, l'affaiblissement inexorable de notre agriculture et la dégradation de notre commerce extérieur. Avec ou sans glyphosate, la détresse du monde paysan constitue une réalité poignante dont chacun peut prendre la mesure. Elle marque les impasses de l'agriculture productiviste, autant que les effets délétères d'un libre-échangisme débridé. Cette réalité douloureuse appelle une nouvelle politique agricole et une action résolue de longue haleine.

Mais, ne nous trompons pas de débat ! Il ne s'agit pas ici de choisir entre d'une part, la compétitivité et la rentabilité économique et, d'autre part, la santé publique. Nous nous refusons à un tel arbitrage. La proposition de loi vise à donner à l'État les moyens de prendre sans délais les mesures de santé publique et environnementale qu'exige une menace sanitaire et écologique réelle et immédiate.

Chacun l'admet désormais : il n'existe plus guère de doutes sur les risques qui entourent l'exposition au glyphosate et son usage. Dans un rapport publié en juin 2021 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), un groupe d'experts pluridisciplinaires a analysé 5 300 documents de la littérature scientifique internationale publiés depuis 2013. Cette relecture critique établit de multiples corrélations ou liens de causalité entre l'exposition au glyphosate et le développement de pathologies cancéreuses. Elle confirme en particulier le lien entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien, fait qui était avéré à la lecture du rapport de l'INSERM.

Au-delà, l'impact du glyphosate soulève une question plus vaste : celle de l'emploi des pesticides et des produits phytosanitaires. En sa qualité de président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), notre collègue Cédric Villani nous a d'ailleurs alertés devant la commission des affaires économiques : de tels produits jouent un rôle majeur dans l'effondrement de la biodiversité. En cela, les pouvoirs publics se trouvent placés devant un choix similaire à celui créé par l'usage du chlordécone. Comme pour ce pesticide utilisé massivement dans les bananeraies des Antilles de 1972 à 1993, nous possédons suffisamment d'éléments pour caractériser un produit probablement cancérigène. Néanmoins, nous tolérons son usage en raison de la place qu'il occupe dans les pratiques agricoles. Depuis décembre 2021, l'État reconnaît les cancers de la prostate provoqués par le chlordécone comme maladies professionnelles pour les agriculteurs de Guadeloupe et de Martinique. Ceux-ci peuvent désormais prétendre à une indemnisation. Je me réjouis que ce dossier ait abouti. Cela dit, je pose la question : le rôle de l'État est-il de réparer les conséquences de scandales sanitaires ou de les prévenir ? Il faut savoir tirer les leçons de l'expérience, et surtout être cohérent.

Voici plus de quatre ans, le 27 novembre 2017, le Président de la République a demandé au Gouvernement de « prendre les dispositions nécessaires pour que l'utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des [solutions] alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Tranchons cette assertion : une telle démarche, placée sous les auspices d'une transition vers l'agroécologie, n'a pas fait ses preuves, car les résultats obtenus se révèlent sans rapport avec les engagements qui ont été pris.

En France, la consommation de glyphosate ne faiblit pas. Après une baisse de 37 % constatée en 2019, les ventes ont progressé à nouveau de 23 % en 2020. Cette année-là, leur volume a atteint 8 644 tonnes, soit un niveau proche de celui constaté en 2013. Ainsi, la France s'impose comme la championne d'Europe de l'utilisation de glyphosate : sa consommation représentait alors 19 % du glyphosate pulvérisé dans l'Union européenne, ce qui la plaçait devant la Pologne, l'Allemagne et l'Italie. Certains d'entre vous m'objecteront qu'entre 2017 et 2020, les ventes de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), classées CMR 1 et CMR 2, ont enregistré des baisses substantielles. En vérité, je ne sais si nous pouvons nous satisfaire de tels résultats car nous ne parlons que de quelques molécules, les plus préoccupantes ou les plus toxiques, les suivantes étant amenées à rejoindre cette classification, par un effet de tapis roulant.

En réalité, la stratégie de sortie du glyphosate marque le pas. Concernant cette substance, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) se borne aujourd'hui à ne pas renouveler les autorisations de mise sur le marché (AMM) ou à les assortir de nouvelles conditions. Une telle stratégie fonctionne-t-elle ? Certes, le nombre des produits autorisés formulés à base de glyphosate baisse : il est passé de 201 à la fin de l'exercice 2018 à 69 produits devant faire l'objet d'une nouvelle autorisation à la fin 2019.

Toutefois, les chiffres sont trompeurs : en effet, deux tiers des AMM n'ont pas fait l'objet d'une demande de renouvellement. Au-delà, les chiffres de ventes en attestent : la consommation du glyphosate persiste et à des niveaux élevés. Pourquoi ? Je n'incriminerai pas les agriculteurs. Je sais l'attention qu'ils portent à la préservation de l'environnement. Je vois les efforts consentis, notamment par ceux de nos paysans qui convertissent leur exploitation à l'agriculture biologique. Nous touchons là aux manifestations les plus concrètes des verrous socioéconomiques qu'évoquait le président Chassaigne devant la commission des affaires économiques : l'usage du glyphosate ne témoigne pas d'un attachement à une pratique contre-nature ; il révèle des conditions de production dont le poids crée des dépendances et incite au conservatisme.

Ce blocage, vous refusez de le lever, prétendant ainsi soutenir les agriculteurs comme la corde soutient le pendu. C'est la raison pour laquelle nous défendons l'interdiction du glyphosate sur l'ensemble du territoire national. Nous proposons d'édicter cette mesure de santé publique par la loi et dans les meilleurs délais, car désormais, il n'est plus temps de discuter de manière stérile et de tourner en rond.

Les termes du débat ont été largement posés au fil des textes dont le Parlement a été saisi depuis trois ans. Je pense bien évidemment à la proposition de loi de notre collègue Bénédicte Taurine, examinée en janvier 2019 ; mais je n'aurais garde d'oublier le texte déposé par Olivier Falorni. Chacun s'en souvient, nous avons également débattu de l'interdiction du glyphosate au cours de l'examen du projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM, en 2018, notamment grâce aux amendements défendus par le groupe La France insoumise, ainsi que par nos collègues Delphine Batho et François-Michel Lambert.

Il importe que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités et tirent les enseignements de l'expérience s'agissant d'un enjeu de santé publique. Dans cet esprit, l'article unique du texte affirme un principe : il exclut la vente et l'usage du glyphosate sur le territoire national, ainsi que l'y autorise le droit européen. Pour autant, il habilite le pouvoir réglementaire à prendre les dispositions transitoires utiles à sa bonne application. Dès lors, la proposition de loi ne relève pas de la pétition de principe.

Sans pour autant exercer leur droit d'amendement, certains de nos collègues ont affirmé regretter l'absence de mesures d'accompagnement. En réalité, de tels dispositifs ne relèvent pas nécessairement du champ du texte dont nous discutons. Comme l'a relevé notre collègue Jean-Baptiste Moreau, on trouve des financements répondant à cet objectif dans les plans France relance et France 2030. Le législateur a par ailleurs accordé un crédit d'impôt. Dès lors, il conviendrait plutôt de se demander si les ressources correspondent aux besoins. Surtout, que faisons-nous pour promouvoir le développement des solutions alternatives au glyphosate ?

Longtemps, les opposants à son interdiction par voie législative ont tiré argument de l'absence de produits ou de pratiques de substitution. C'est là un point central que je voudrais aborder. Dans une large mesure, les travaux réalisés par l'ANSES depuis 2018 et ceux de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) conduisent aujourd'hui à relativiser cet obstacle, pour ne pas dire à le gommer entièrement. Que montrent-ils ? Qu'il existe des produits non chimiques ou des pratiques agronomiques susceptibles de remplacer le glyphosate pour ses principaux usages : la viticulture, l'arboriculture fruitière, les grandes cultures et la forêt.

Je ne fais ici que me référer aux travaux dont faisait état en décembre 2020 le rapport de la mission d'information commune sur le suivi de la stratégie de sortie du glyphosate. Devant cette même mission, le 2 mai 2019, les représentants de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB) des régions de France ont décrit de manière très précise des approches agronomiques alternatives dans la gestion des adventices. Celles-ci reposent notamment sur la succession des cultures, sur des rotations plus longues ou sur l'alternance des familles végétales cultivées pour réduire la prolifération des parasites et l'usage des pesticides. Pas moins de 55 000 agriculteurs bio se passent complètement, parfois depuis toujours, de ce pesticide. C'est la preuve par l'exemple, par l'évidence, que des solutions alternatives au glyphosate existent. Les progrès de l'agronomie ne condamnent pas l'agriculture française à un statu quo mortifère.

Mes chers collègues, l'interdiction du glyphosate n'a rien d'une mesure iconoclaste. Elle ne représente pas même une idée neuve en Europe, puisqu'à l'instar du Luxembourg, de la République tchèque, de l'Italie ou de l'Allemagne, des États s'engagent résolument à la pointe du combat. Il ne tient qu'à nous de donner à la France les moyens de montrer l'exemple en mettant sa législation en conformité avec un objectif de santé publique d'intérêt commun. Aussi, je vous appelle à voter la proposition de loi.

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