Intervention de Mohamed Laqhila

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMohamed Laqhila :

Comme le soulignait François Bayrou en 2006, la privatisation des autoroutes était une faute.

C'était tout d'abord une faute politique, le Parlement n'ayant pas été amené à se prononcer à l'époque, contrairement à ce qui s'est passé pour les privatisations effectuées au début de cette législature – elles ont été décidées après débats et votes.

C'était ensuite une faute financière : l'État n'aurait peut-être pas réalisé autant de dividendes que le secteur privé, mais, si cette cession avait été mieux organisée dans le temps, elle aurait pu se faire à un meilleur prix.

C'était enfin une faute parce que ces privatisations étaient mal préparées : les contrats de concessions, déjà anciens, n'étaient pas assez adaptés ; la notion d'équilibre économique n'était pas définie ; les relations entre l'État et les concessionnaires n'étaient pas suffisamment arrêtées.

Les sociétés concessionnaires se sont engouffrées dans ces failles, en adoptant des pratiques jugées parfois douteuses.

La situation s'est fortement améliorée grâce à l'adoption, en 2015, de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, qui a amélioré la régulation du secteur. Cependant, de nombreuses voix réclament – en partie en raison d'un constat déjà daté – la nationalisation des sociétés concessionnaires, qui serait, paraît-il, une poule aux œufs d'or pour nos finances publiques.

En fait, la renationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes est une fausse bonne idée, particulièrement pour nos finances publiques. Rappelons d'ailleurs à l'ensemble de nos concitoyens que les autoroutes sont toujours propriété de l'État, et que, au terme des concessions, la gestion des autoroutes lui reviendra.

Comme l'a rappelé ma collègue Lebec, la nationalisation aurait un coût pour les finances publiques car il faudrait indemniser Vinci, Eiffage et autres pour un montant compris entre 40 et 50 milliards d'euros, auxquels s'ajouteraient quelque 30 milliards d'euros de reprise de dette. Or il suffit d'attendre 2036 pour en profiter gratuitement.

Ne vaudrait-il pas mieux dépenser plus utilement ces 70 à 80 milliards d'euros, dans des modes de déplacement moins consommateurs en carbone – nouvelles voies de chemin de fer ou de navigation fluviale ou infrastructures numériques ?

L'État n'a pas les ressources techniques nécessaires pour assurer la gestion directe de ces autoroutes. Et s'il en disposait, les autoroutes seraient-elles aussi bien gérées et surtout entretenues ? Je n'en suis pas persuadé. Comme nous le savons tous, l'État ne réussit pas toujours à bien concilier son rôle d'actionnaire, de fournisseur de services publics et de régulateur.

Une telle perspective soulève d'ailleurs de nombreuses questions. Dans une telle situation, qui devrait payer le service rendu par les sociétés concessionnaires d'autoroutes ? Le péage est-il le meilleur système ? Certains pays tels que l'Allemagne ont des autoroutes publiques gratuites. D'autres comme la Suisse ou l'Autriche, fonctionnent avec des vignettes annuelles.

Plus que nationaliser les SCA, il vaudrait mieux préparer la fin des concessions ; ne pas les renouveler sans appel d'offres ; veiller au maintien d'investissements suffisants ; inciter les concessionnaires à préparer les modalités de déplacement de demain – notamment les voitures électriques – sans toutefois en faire payer le coût par les finances publiques ; continuer à aller vers une meilleure régulation du secteur en renforçant les pouvoirs de l'autorité de régulation, notamment en ce qui concerne les questions tarifaires ou les sous-concessions.

En tout état de cause, plus que gloser sans fin, comme nous le faisons depuis quinze ans sur les fautes du passé et la possibilité ou non de renationaliser les SCA, nous devons préparer le futur.

Moins de dix ans nous séparent de la fin des premières grandes concessions autoroutières, notamment celles de Paris-Lille ou de Paris-Strasbourg. En 2035, ce sera le tour des autoroutes de la vallée du Rhône. Alors de grâce, mettons-nous au travail, et relevons ce défi majeur !

Pour conclure, je citerai le poète et écrivain polonais Stanis³aw Jerzy Lec à propos des nationalisations : « La richesse de la pensée est rarement menacée de nationalisation. »

Pour toutes ces raisons, le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés, que j'ai l'honneur de représenter, votera contre cette proposition de loi.

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