Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 13 janvier 2022 à 15h00
Nationalisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Ils ont dilapidé l'argent public, ils y ont mal veillé ; et pourtant, on leur a laissé le carnet de chèques.

Il faut revenir rapidement sur l'histoire de ce désastre. C'est de Bercy, du ministère de l'économie et des finances, qu'est partie « cette idée sublime qui était de privatiser les autoroutes », comme l'a dit Jean-Pierre Raffarin avec ironie. Mais des hommes politiques d'alors ont résisté, et je veux les citer sans sectarisme, pour éviter le « tous pourris ». Gilles de Robien, ancien maire d'Amiens, à l'époque ministre des transports, raconte : « Chaque ministre des finances […] me reçoit, avec à ses côtés toujours le même conseiller, partisan de la privatisation des autoroutes. On m'explique qu'il faut vendre les autoroutes parce que ça fera baisser la dette de l'État. Mais j'avais [fait] réaliser une étude […]. Elle concluait que les autoroutes étaient une manne financière pour l'État. C'est comme ça que j'ai pu résister à Bercy. Le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a tranché en ma faveur. »

Mais une fois Raffarin parti de Matignon, Bercy est venu prendre sa revanche. Et les autoroutes ont été soldées, en 2006, à Vinci et compagnie, pour une somme sous-évaluée de 10 milliards d'euros. Dix milliards d'euros en moins ! Et les dividendes ont plu sur les actionnaires. C'est la première gabegie, venue de la droite et dénoncée par des rapports – contrairement à votre déni, monsieur le ministre délégué – émanant de la Cour des comptes, du Sénat et de l'Assemblée, concluant à la « rentabilité exceptionnelle » des autoroutes, « assimilable à une rente ».

Qu'a fait la gauche, à son retour au Gouvernement ? Elle y a ajouté une deuxième couche. Élisabeth Borne, qui a travaillé chez Eiffage en tant que directrice des concessions et qui y a conservé des amitiés, Élisabeth Borne, donc, est chargée de renégocier avec les sociétés d'autoroutes, dont Eiffage. On imagine que le dialogue ne fut pas trop tendu. Accompagnée d'Alexis Kohler, elle propose un « protocole d'accord » qui s'est à nouveau révélé désastreux pour l'État.

Je veux ici, une fois encore, ne pas jeter tous les dirigeants dans le même sac : Alain Vidalies, alors secrétaire d'État chargé des transports, refuse de signer le protocole d'accord. Emmanuel Macron, quant à lui, le signe ; il en est tellement fier qu'il va tout faire, durant quatre ans, pour le maintenir secret. Et il faudra une bataille judiciaire, un avis du Conseil d'État, pour que le contenu en soit révélé. Que prévoit-il ? Un allongement de la durée des concessions de dix ans, des tarifs de péage en hausse et même, pour l'État, une interdiction de relever les taxes sur les entreprises concernées, soit un cadeau estimé, cette fois, à 5 milliards d'euros – ce qui fait, en tout, une fois ajoutés les 10 milliards déjà évoqués, 15 milliards.

Le bilan, c'est un gavage gigantesque et formidable des sociétés autoroutières et de leurs actionnaires ; ce sont des milliards, des dizaines de milliards qui manquent pour une transition des transports, pour le fret ferroviaire et pour les lignes du quotidien. Le bilan, ce sont des péages qui, pour tous, pour le Français moyen, augmentent plus vite que l'inflation – la hausse devrait atteindre 2 % en février. Allez-vous, monsieur le ministre délégué, valider ou non cette hausse prévue ?

Alors, que peut-on faire ? Rien, rien, nous répond-on : avec ce contrat, l'État s'est lié les mains. Vous nous dites que vous refusez notre solution, mais, monsieur le ministre délégué, vous n'en avez proposé aucune !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.