Intervention de Julien Denormandie

Séance en hémicycle du mercredi 12 janvier 2022 à 15h00
Gestion des risques climatiques en agriculture — Présentation

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

Je suis ravi de vous présenter cet après-midi un texte absolument crucial pour l'avenir de notre agriculture. Comme vous le savez, le changement climatique est une réalité et les agriculteurs sont les premiers à en subir les conséquences en raison de l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements climatiques. Nous l'avons vu encore au printemps dernier, avec ce terrible épisode de gel qui a constitué la plus grande catastrophe agronomique de ce début du XXIe siècle. C'est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur notre agriculture, mais c'est aussi un frein majeur à l'installation, car qui peut accepter d'investir des centaines de milliers d'euros pour s'installer, innover, devenir un acteur de la transition en prenant le risque de voir le fruit de son travail réduit à néant dès les premières années ? Ce n'est pas une coïncidence si le Président de la République a annoncé la réforme dont nous discutons aujourd'hui le 10 septembre dernier, devant les jeunes agriculteurs réunis à la foire agricole Les Terres de Jim – et ce qui est vrai pour l'installation de nos jeunes agriculteurs l'est, bien sûr, tout autant pour nos agriculteurs déjà installés.

Aujourd'hui, le statu quo n'est plus possible, il serait contraire à l'objectif de souveraineté agricole et alimentaire qui est le fil conducteur de notre politique agricole. Car s'il est un point qui fait consensus sur tous les bancs, dans toutes les filières, parmi tous les acteurs, c'est que le système actuel ne fonctionne pas : il n'est pas assez accessible, il n'est pas assez avantageux, il est trop complexe, il est parfois injuste et, enfin, il est soumis à des délais beaucoup trop longs pour ce qui concerne les calamités agricoles.

C'est pourquoi nous devons procéder à une véritable refondation du régime d'indemnisation des pertes de récolte, aujourd'hui unanimement considéré comme à bout de souffle. Nous devons le faire non pas pour deux ou trois ans, mais pour les décennies à venir : c'est une réforme essentielle pour l'avenir de notre agriculture, pour garantir son adaptation au changement climatique. Cela fait des années que la réforme est évoquée et attendue, mais toujours repoussée. De nombreux systèmes ont été proposés, mais aucun n'a jamais abouti. Pourquoi ? Tout simplement parce que toutes les propositions émises par le passé étaient fondées sur un même principe, selon lequel les agriculteurs devaient seuls faire face aux risques climatiques.

Or cela ne peut pas fonctionner, cela n'est plus possible. D'ailleurs les choses ne se passent comme ça dans aucun autre secteur socio-économique. Qu'il s'agisse de l'automobile, du logement ou de n'importe quel autre secteur de l'économie, c'est à chaque fois une solidarité nationale qui est organisée pour faire face aux aléas climatiques. Ce n'était pas le cas jusqu'à présent dans le domaine agricole, mais les choses vont changer, car le premier principe – essentiel – de cette réforme est qu'elle se fonde sur la solidarité nationale. Sur ce point, l'engagement du Gouvernement est très clair : il s'agit de porter à 600 millions d'euros le financement de la couverture des risques climatiques dès le prochain projet de loi de finances. Nous proposons donc une refondation du système avec comme premier principe cette solidarité nationale, qui constitue un changement de paradigme, conformément à l'engagement pris de manière très claire par le Président de la République.

Le deuxième principe de la réforme consiste en la création d'une couverture dite universelle. Tout agriculteur doit y avoir accès, quelle que soit la culture et qu'il soit assuré ou non, alors qu'actuellement, les deux systèmes coexistent et entrent en concurrence pour certaines cultures, ce qui aboutit à laisser des pans entiers de l'agriculture française sans réponse.

Le troisième principe, c'est de rendre plus accessible l'assurance multirisque climatique (MRC) en incitant à y recourir sans pour autant la rendre obligatoire. En effet, si seulement 18 % de la surface agricole utile bénéficie aujourd'hui de cette assurance, ce n'est en aucun cas parce que nos agriculteurs sont de mauvais gestionnaires, mais précisément parce que la MRC n'est pas suffisamment attractive.

Le quatrième principe, c'est que l'assurance devra être régulée de manière plus actuarielle – j'insiste sur ce point –, grâce à la constitution d'un pool mutualisant les risques, l'élaboration d'une tarification technique commune et une plus grande transparence dans la constitution des prix, afin de renforcer la confiance dans le système assurantiel, d'en limiter le coût et de permettre que le risque soit équitablement réparti pour lutter contre toute aversion au risque, pour reprendre les termes assurantiels.

Enfin, le nouveau système sera plus juste, car il tendra vers une plus grande individualisation des modalités d'indemnisation et favorisera la prévention, en cohérence avec d'autres pans de la politique publique que j'ai l'honneur de diriger à la tête de ce ministère, notamment les investissements massifs que nous faisons naître dans le cadre du plan France relance – nous consacrons, par exemple, près de 200 millions d'euros aux équipements de protection et d'adaptation au changement climatique. Grâce au plan France 2030, cet effort d'investissement dans la lutte contre le changement climatique va aller croissant.

En somme, ce dont nous allons discuter cet après-midi, c'est tout simplement d'une ceinture de sécurité pour les agriculteurs, fondée sur la solidarité nationale et destinée à protéger ces derniers face aux accidents climatiques, le tout au bénéfice de notre souveraineté agricole et alimentaire.

Avant de conclure, je voudrais préciser le contenu de ce projet de loi. L'architecture de la nouvelle gestion des risques climatiques est constituée de trois étages, selon un principe de partage des risques entre tous les acteurs. Le premier étage relève de l'agriculteur, qui peut prendre, avec le soutien de l'État, des mesures de prévention et de protection. Le deuxième étage relève de l'assureur, qui doit aussi assumer ses responsabilités. Je le dis clairement, l'objectif du Gouvernement est d'utiliser au maximum les possibilités offertes par la réglementation, dite omnibus, relative aux règles financières de l'Union européenne, de sorte que la prime d'assurance soit davantage subventionnée. Enfin, au-dessus d'un certain seuil de perte, le troisième étage relève de l'État.

Cette architecture à trois étages permet l'universalité que j'évoquais tout à l'heure, mais aussi de diminuer le coût de l'assurance pour l'agriculteur, tant grâce à l'augmentation des subventions aux primes d'assurance que par la limitation du risque auquel les assureurs sont exposés. En effet, ce qui coûte très cher aux assureurs, c'est de devoir mettre des actifs en face des risques qu'ils prennent ; à partir du moment où on limite le risque, l'assureur a moins d'actifs à mobiliser, donc moins de coûts à répercuter sur les agriculteurs.

Selon nos premières simulations, cette architecture devrait représenter un progrès très encourageant. Elle permettra de proposer un système beaucoup plus attractif pour nos agriculteurs, mais aussi d'éviter que certains assureurs couvrent uniquement les « bons » risques, délaissant les autres. C'est notamment l'objet de l'article 7 du projet de loi – ô combien important à mes yeux –, qui prévoit de mutualiser les données et les risques au sein d'un pool d'assureurs, conformément aux engagements du Président de la République. Afin de garantir un large accès des agriculteurs à cet étage assurantiel, les assureurs doivent être obligés de proposer un contrat d'assurance aux agriculteurs, et vos amendements nous permettront de préciser vos intentions en la matière. Enfin, nous allons créer un organe de concertation et de copilotage du dispositif entre État, agriculteurs et assureurs, afin que les décisions soient collectivement assumées par les parties prenantes, année après année.

Ce texte somme toute assez court, puisqu'il ne comporte que douze articles, pose les fondations d'un nouveau système de couverture des risques, mais il ne permet pas de décorer les murs ou de fixer la taille des pièces. Je pense ici à la fixation des différents seuils et des différents critères, qui relève du pouvoir réglementaire et n'interviendra donc qu'une fois que le projet de loi aura été adopté, à l'issue – j'insiste sur ce point, car c'est ma méthode de travail – d'un long processus de concertation associant évidemment l'ensemble des filières des acteurs.

Cependant, soyons clairs, ma volonté, celle du Gouvernement, celle du Président de la République – et, je le sais, celle de chacun de vous, au-delà des clivages politiques – est très clairement de pousser au maximum pour que les différents critères que nous fixerons par voie réglementaire soient définis dans l'intérêt de nos agriculteurs.

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