Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du lundi 13 décembre 2021 à 16h00
Responsabilité pénale et sécurité intérieure — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis heureux d'être parmi vous à la suite de l'accord trouvé par la commission mixte paritaire, réunie le mois dernier, sur ce texte important.

Le 14 avril 2021, la Cour de cassation confirmait la déclaration d'irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme Attal-Halimi, estimant que l'auteur avait agi sous le coup de l'abolition de son discernement, mais reconnaissait en même temps le caractère antisémite de ce crime.

Cette décision, vous le savez, a provoqué un profond et très légitime sentiment d'incompréhension. Pourtant, elle respectait l'état actuel du droit : même si un mis en cause a provoqué lui-même la perte de son discernement, il ne peut répondre devant la justice des actes qu'il a alors commis. Cette impossibilité de distinguer l'origine de la perte de discernement n'était plus supportable. Tel a été le sens des propos du Président de la République en avril dernier.

Grâce à l'accord trouvé en commission mixte paritaire, le présent projet de loi permettra, comme nous nous y étions engagés, de faire la distinction entre un individu atteint d'une pathologie psychiatrique qui le prive de tout libre arbitre et celui qui doit sa folie à la consommation volontaire de produits psychotropes. Rappelons qu'il était impératif de respecter toutes les précautions, notamment constitutionnelles, que requiert la délicate évolution du régime de la responsabilité pénale. Le texte issu de la CMP permet précisément de modifier le régime de l'irresponsabilité pénale dans le respect le plus absolu des exigences constitutionnelles.

Le nouvel article 122-1-1 du code pénal prévoit ainsi que celui qui s'est volontairement intoxiqué dans le but de commettre une infraction ne pourra plus bénéficier du régime de l'irresponsabilité pénale si l'abolition de son discernement résulte directement de cette consommation destinée à lui donner du courage – je devrais dire plutôt de la lâcheté.

La loi a également été modifiée afin que la déclaration d'irresponsabilité pénale, dans le cas exclusif d'avis divergents des expertises psychiatriques, relève désormais de l'appréciation des juges du fond et non plus uniquement de celle du magistrat instructeur. C'est le tribunal correctionnel ou la cour d'assises qui statuera, lors d'une audience à part et se déroulant à huis clos, sur la question de la responsabilité pénale du mis en cause et de sa capacité à répondre de ses actes devant les juges.

L'ensemble de ces dispositions respectent la ligne rouge que nous nous étions tracée : on ne juge pas et on ne jugera jamais les fous.

Cette loi permettra également de poursuivre et de juger des actes qui n'étaient auparavant pas sanctionnés. En effet, grâce à la création d'infractions autonomes spécifiques, ce texte comble une lacune juridique majeure que l'avocate générale de la Cour de cassation avait d'ailleurs relevée dans ses conclusions. Ces nouveaux délits puniront non pas l'acte commis en état d'abolition temporaire du discernement, mais bien la consommation fautive de psychotropes qui l'aura précédé.

La CMP a dressé la liste limitative des infractions susceptibles de donner lieu à des poursuites sur ce fondement, retenant les homicides volontaires, les viols, les actes de torture et de barbarie, les violences ayant entraîné la mort, ainsi que les mutilations ou les atteintes ayant occasionné une infirmité permanente ou une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à huit jours. Ces dispositions répondent à une volonté forte de l'Assemblée – je tiens d'ailleurs à remercier l'ensemble des parlementaires qui se sont mobilisés dans ce domaine, en particulier Mme la rapporteure, Naïma Moutchou, qui a tracé la voie grâce à la mission flash qu'elle a menée avec Antoine Savignat ; mes remerciements vont aussi à Coralie Dubost.

L'accord trouvé en CMP a validé des mesures importantes, telles que la création d'incriminations spécifiques aggravant la répression des actes de violence commis à l'encontre de toutes les professions qui assurent notre sécurité au quotidien dans l'espace public. La protection des policiers, des gendarmes, des militaires de la force Sentinelle, des douaniers, des agents pénitentiaires, des policiers municipaux, des gardes champêtres et des pompiers sera renforcée, car il n'est plus tolérable que leur engagement au service la collectivité les érige en cible. Le message est simple : nous protégeons ceux qui nous protègent. Dans ce domaine, je veux souligner l'implication sans faille de M. le rapporteur Jean-Michel Mis, ainsi que de Jean Terlier : ensemble, ils ont œuvré à préciser le périmètre de ces nouvelles infractions, sans oublier personne.

Le projet de loi comporte en outre des avancées procédurales qui étaient souhaitées par les acteurs judiciaires, visant les situations où des délinquants refusent toute identification. L'effectivité de la loi pénale nécessite d'établir efficacement une identité judiciaire : nous avions la responsabilité de renforcer le cadre procédural de cette identification. Les enquêteurs pourront ainsi recourir à la prise d'empreintes sous contrainte, dans le cadre d'un dispositif équilibré intégrant des garanties renforcées à l'égard des mineurs.

Désormais, la juridiction improprement saisie sur le fondement de l'âge de l'auteur pourra placer en détention le majeur ou le mineur, afin de le présenter devant la juridiction compétente dans des délais très courts. La procédure pénale actuelle permet de remettre en liberté des prévenus à la suite de la déclaration d'incompétence de la juridiction : demain, ce ne sera plus possible. Il s'agit ici de garantir l'effectivité de la loi pénale : nous le devons aux victimes, bien sûr, mais aussi aux vrais mineurs, qui pourront bénéficier de dispositifs éducatifs adaptés à leur âge. Je suis heureux que le Parlement, après une expertise attentive, ait validé ces dispositions avant même la tenue de la CMP. J'en profite pour remercier M. le rapporteur Jean-François Eliaou, fin connaisseur de ces sujets, qui a œuvré à ce résultat.

J'en viens au volet du texte qui intéresse le ministère de l'intérieur. Au nom de mes collègues Gérald Darmanin et Marlène Schiappa, je tiens à vous féliciter pour l'accord que vous avez trouvé en CMP. Les forces de sécurité, lorsqu'elles sont sur les routes, subissent de plus en plus le danger que constitue le refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter. Le projet de loi renforce les mesures conservatoires et le régime des peines applicables en la matière.

La même fermeté doit être de mise dans la lutte contre les rodéos motorisés – vous savez avec quelle détermination le ministre de l'intérieur lutte contre ces pratiques dangereuses et nuisibles pour nos concitoyens. L'article 18 du projet de loi vise à faciliter l'identification des auteurs de ces infractions, et à empêcher la restitution des véhicules.

Par ailleurs, l'article 17 étend la liste des infractions au code de la route qui peuvent être constatées par les gardes particuliers.

Une autre avancée importante, soulignée par le Président de la République lors de son discours de clôture du Beauvau de la sécurité, réside dans le renforcement de la capacité opérationnelle de la police nationale : grâce à la création d'une réserve opérationnelle, davantage de réservistes issus de la société civile renforceront l'action des policiers.

Le projet de loi complète également les moyens mis à disposition des forces de l'ordre, notamment en matière de captation d'images – cette pratique, d'une grande utilité opérationnelle, est au cœur de l'action des forces de sécurité. En la matière, nous devons porter toute notre attention au juste équilibre entre l'intérêt opérationnel des forces de sécurité d'une part, et la préservation des droits et libertés fondamentaux d'autre part. Le Gouvernement a pris acte de la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, et en a tiré les conséquences : le projet de loi définit ainsi un cadre juridique solide, autorisant la captation d'images depuis des dispositifs vidéo installés dans des aéronefs, avec ou sans personne à bord ; il offre les garanties nécessaires, tout en dotant les forces de l'ordre d'outils efficaces.

Le Sénat a pour sa part introduit une expérimentation permettant aux polices municipales d'utiliser des drones, si l'ensemble des garanties nécessaires sont réunies, et à condition d'assurer la proportionnalité de l'usage au regard de la finalité poursuivie.

Concernant la captation d'images par des engins aéroportés à des fins judiciaires, le Conseil d'État, dans son avis du 12 octobre, a confirmé la nécessité de légiférer. À dessein, le texte issu de la CMP prévoit que l'usage judiciaire de ces dispositifs de captation d'images dans l'espace public puisse être autorisé en cas de crime ou de délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, en cas de procédure d'enquête ou d'instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition, ou encore en cas de recherche d'une personne en fuite. Ces captations devront être préalablement autorisées par le procureur de la République ou par le juge d'instruction.

Il est en outre prévu un dispositif de caméras embarquées dans les véhicules des services de l'État : ceux-ci pourront enregistrer leurs interventions lorsqu'un incident se produit ou est susceptible de se produire.

Le texte prévoit par ailleurs la possibilité de placer des dispositifs de vidéosurveillance dans les cellules de garde à vue, afin de diminuer les risques de suicide, d'automutilation, d'agression et d'évasion. Toutefois, la captation d'images dans ces circonstances ne saurait ni être systématique, ni avoir une durée indéterminée. Le texte issu de la CMP est équilibré, tant du point de vue des garanties applicables au dispositif que des durées de conservation des enregistrements vidéo au regard de leur finalité.

Autre avancée, le Gouvernement a voulu renforcer le contrôle de la détention d'armes en améliorant les dispositions du fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes (FINIADA) relatives à la prévention des passages à l'acte de criminels, en étendant notamment le périmètre des infractions aux mesures pré-sentencielles et aux condamnations non définitives.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable au texte issu de la CMP, et vous encourage à l'adopter définitivement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.