Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du jeudi 9 décembre 2021 à 9h00
Modification du mécanisme européen de stabilité — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

La zone euro est-elle capable de solidarité ? Les dispositifs européens déployés face à la crise des dettes souveraines de 2010 avaient pour objet d'apporter une réponse à cette question. Les solutions apportées dans l'urgence ont toutefois montré leurs failles profondes. Près de dix ans après son lancement, le Mécanisme européen de stabilité avait donc grand besoin d'être revisité en profondeur. Malheureusement, l'Europe a nourri un grand projet ambitieux pour finir par ne retenir qu'un accord limité et, disons-le, décevant. Comme cela a été rappelé en commission, la création d'un Mécanisme européen de solidarité visait avant tout à apporter un soutien à certains États membres qui avaient besoin de liquidités face à la crise et ne pouvaient plus accéder aux marchés. La révision de l'accord devait nous permettre de franchir une nouvelle étape pour instaurer une véritable solidarité européenne et aller vers un meilleur partage des risques. Cependant, l'ambition initiale d'un fonds monétaire européen a été écartée par le jeu des négociations. Il s'agit donc d'un échec politique ; la solidarité restera cantonnée aux seuls États de la zone euro, c'est-à-dire dix-neuf pays sur les vingt-six que compte l'Union.

Au-delà de ce constat, le groupe Libertés et territoires salue certaines avancées qui permettent de renforcer l'union bancaire. En ce sens, la création du filet de sécurité, ou backstop, permettra au MES de prêter jusqu'à 68 milliards d'euros au Conseil de résolution unique. Le MES évolue, passant d'un système de responsabilité directe des États à un système de responsabilité directe des banques. Notre groupe salue ce transfert de la charge du contribuable au secteur bancaire. Ce mécanisme acte la séparation nette entre dette souveraine et bilans bancaires.

Notre groupe tient également à souligner la réforme des instruments d'assistance financière de précaution auxquels le MES peut recourir pour accompagner les États membres. Je rappelle que le dispositif antérieur était conditionné à la signature d'un accord obligeant l'État en difficulté à mener des réformes structurelles à pas forcés. Ces conditions étaient particulièrement injustes pour les États, comme la Grèce, qui se retrouvaient contraints d'accepter les réformes qui leur étaient imposées sans qu'ils y soient associés. Il était nécessaire de mettre fin à ce régime.

Le nouvel outil mis en place est assoupli – cela a été rappelé – puisqu'il prévoit simplement une lettre d'intention, mais il reste accompagné de conditions. Cela est légitime en soi mais, comme toujours, l'essentiel est dans les détails : l'État demandeur devra attester d'une situation macroéconomique et financière saine, ce qui renvoie aux critères du pacte de stabilité et de croissance. Ce renvoi est plus que surprenant sachant que ces critères, forgés dans les années quatre-vingt-dix, sont jugés obsolètes ; on continue donc avec le « en même temps ». Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance, a lui-même dénoncé en commission des finances le fait que le critère d'un plafond de 60 % de PIB pour la dette publique était dépassé. Il est regrettable de rénover le MES en se fondant sur des critères obsolètes qui ont théoriquement vocation à évoluer, comme l'a rappelé Jean-Paul Lecoq. Notre groupe ne peut qu'espérer que la présidence française de l'Union européenne conduira à leur actualisation et qu'elle fera de celle-ci une priorité.

Par ailleurs, alors que le Gouvernement a conclu conjointement deux accords – l'un sur le MES, le second modifiant le Fonds de résolution unique –, notre Assemblée n'en examine qu'un seul. Nous prenons acte des dispositions de l'article 53 de la Constitution qui, certes, n'imposent la ratification de tels accords par le Parlement que sous certaines conditions. Cependant, ces deux accords devraient être considérés comme indissociables. L'accord relatif au FRU doit en effet permettre le remboursement de l'utilisation du filet de sécurité apporté par le MES ; en outre, l'accord initial avait bel et bien été soumis au Parlement en 2015. Le choix de l'exécutif de ne nous soumettre qu'un seul accord est donc incompréhensible. Nous sommes obligés de nous prononcer en n'ayant qu'une vision partielle du sujet. Cela constitue finalement un nouveau dessaisissement du Parlement – une pratique devenue habituelle sous ce quinquennat.

Enfin, nous sommes quelque peu surpris par la date de mise en œuvre du filet de sécurité, le 1er janvier 2022. Cela nous laisse à peine plus de vingt jours – ce qui explique l'examen expéditif du texte en fin d'année. Le Sénat révèle que six États seulement ont déjà déposé un texte de ratification. Certains n'ont toujours entamé aucune démarche, l'Italie et le Portugal notamment. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle allemande doit encore donner son feu vert pour permettre à l'Allemagne de s'engager : autant de freins juridiques qui laissent à penser que le processus ne pourra aboutir en si peu de temps. Il serait regrettable de commencer la présidence française de l'Union sur une fausse note et un retard.

Si notre groupe prend acte des avancées contenues dans l'accord, les réserves évoquées ne peuvent que nous conduire à nous abstenir.

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