Intervention de Laurent Pietraszewski

Séance en hémicycle du vendredi 26 novembre 2021 à 15h00
Emploi des travailleurs expérimentés jusqu'à la retraite — Présentation

Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la santé au travail :

Je suis heureux d'être présent aujourd'hui parmi vous pour évoquer un sujet qui m'est cher, tout comme à Mme la rapporteure, celui de l'emploi des seniors.

Je veux avant tout, madame la rapporteure, vous remercier pour le travail accompli dans le cadre de la mission d'information parlementaire que vous avez présidée, aux côtés des députés Didier Martin et Stéphane Viry. Nous avons eu l'occasion de discuter ensemble de vos conclusions lors de la remise de votre rapport au ministère en octobre, et force est de constater que nous nous retrouvons sur cette priorité commune même si nous n'avons pas pu nous entendre sur la totalité de vos ambitions – nous en reparlerons tout à l'heure. Je tiens également à remercier le groupe UDI-I d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour de sa niche parlementaire.

L'emploi des travailleurs expérimentés jusqu'à la retraite fait l'objet, depuis quelques années, d'un intérêt renouvelé, à la suite de différentes publications, telles que le rapport de la mission d'information de la commission des affaires sociales du Sénat, en septembre 2019, ou le rapport Bellon-Mériaux-Soussan, remis au Gouvernement en janvier 2020.

Leurs conclusions convergent vers un bilan sans appel. Le taux d'emploi des 55-64 ans reste insuffisant dans notre pays et place la France loin derrière ses voisins européens. Notre retard est particulièrement marqué pour les actifs de plus de 60 ans, pour lesquels notre taux d'emploi se situe, comme celui de la Belgique, juste au-dessus de la barre des 30 %, là où il atteint 60 % en Allemagne et 46 % en moyenne dans l'Union européenne.

Cette situation n'est certes pas nouvelle, mais nous ne pouvons que la déplorer. Il nous faut examiner ses causes, qui sont multiples et bien connues. Je reviendrai sur les cinq principales.

Il s'agit d'abord de la vision que notre société a des travailleurs expérimentés, qui seraient des travailleurs moins productifs et très coûteux pour leurs employeurs.

Il y a ensuite le faible usage qui est fait dans notre pays du mécanisme de retraite progressive, qui permet d'anticiper la sortie du monde du travail pour celui ou celle qui le choisirait, en réduisant son temps de travail en fin de carrière.

Sont également en cause les négociations sur le travail des seniors, trop embryonnaires, même si de nombreuses branches, il est vrai, ont négocié des accords comprenant des mesures destinées à le stimuler.

Citons aussi le chômage de très longue durée, très répandu chez les plus de 55 ans, puisque la moitié des demandeurs d'emploi de plus de 55 ans reste au chômage vingt-quatre mois ou plus.

Enfin, le manque d'accès à la formation continue, conjugué à un niveau de formation initiale des demandeurs d'emploi de plus 50 ans inférieur à la moyenne, contribue assurément aux difficultés que nos travailleurs expérimentés rencontrent pour s'intégrer pleinement comme actifs dans notre société.

Nous pourrions considérer que l'emploi des seniors restera structurellement faible en France mais, pas plus que vous, madame la rapporteure, je ne peux m'y résigner, tant cette situation pénalise à la fois notre société et notre économie. Elle pénalise évidemment les entreprises qui, en se séparant de leurs travailleurs les plus âgés, voient disparaître une partie de leur capital humain et une expérience forgée au fur et à mesure des années. Elle fragilise aussi le lien entre générations, alors que nous devrions collectivement valoriser la complémentarité entre les jeunes et les seniors. Elle pénalise enfin, plus largement, la cohésion de la société, en faisant des seniors la variable d'ajustement des politiques de l'emploi et en nourrissant les inégalités.

Alors, au-delà de l'analyse, nous devons agir concrètement. Quels que soient les arbitrages qui seront rendus au sujet des retraites – vous les avez évoqués en filigrane, dans votre propos –, les Français travaillent plus longtemps, y compris à droit constant. C'est ce que traduit l'allongement de la durée d'activité que nous observons depuis plusieurs années, en France comme chez nos voisins. Il nous appartient donc de prendre ce sujet à bras-le-corps, dans un pays où près d'une personne sur deux n'est plus en activité au moment du passage en retraite.

Dans cette optique, un levier essentiel a malheureusement été insuffisamment mobilisé pendant des années : la santé au travail. Je connais l'importance qu'une médecine du travail efficace et pertinente revêt pour le maintien dans l'emploi, et je suis en mesure de vous dire qu'en la matière, grâce à un engagement inédit des partenaires sociaux, du Parlement et du Gouvernement, la France a beaucoup progressé ces derniers mois. Je voudrais ici remercier les députées Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean qui ont défendu la proposition de loi sur la santé au travail, mais également l'ensemble des députés, puisque ce texte a rencontré un accueil très favorable aussi bien ici qu'au Sénat.

À la suite de l'accord national interprofessionnel du 10 décembre 2020 et de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, des dispositifs spécifiques ont été adoptés. Je reviendrai sur deux d'entre eux : l'installation de cellules dédiées à la prévention de la désinsertion professionnelle, dans les services de prévention et de santé au travail, autrement dit au maintien dans l'emploi ; la création d'une visite de mi-carrière pour tous les salariés âgés de 45 ans, destinée à vérifier l'adéquation entre le poste de travail et l'état de santé de chaque salarié. Il s'agit, plutôt que de réparer, d'anticiper et d'éviter les problèmes de santé plutôt qui pourraient conduire un salarié à ne plus pouvoir exercer son activité.

Il nous faut également mobiliser le levier de la formation spécifique des publics seniors. Parce que les savoirs, les techniques et les besoins évoluent, ce n'est pas seulement avant l'entrée dans la vie professionnelle que nos concitoyens doivent être formés, mais tout au long de leur carrière, dans le cadre de la formation continue, que j'évoquais tout à l'heure. Là aussi, le Gouvernement a agi depuis 2017, avec notamment le renforcement du compte personnel de formation (CPF), utilisé en 2020 par plus de 1 million de salariés, montrant ainsi notre ambition collective de faciliter l'acquisition de nouvelles compétences tout au long de la carrière. La mobilisation du nouveau plan d'investissement dans les compétences et la création du dispositif Transitions collectives aideront également les seniors en chômage de longue durée, dont je parlais tout à l'heure.

L'amélioration des conditions de travail, le renforcement de l'accès à la formation, l'assouplissement des dispositifs de transition entre l'activité et la retraite, ou encore la lutte contre les discriminations liées à l'âge sont autant de moyens par lesquels nous souhaitons lever les freins à l'emploi des seniors. Madame la rapporteure, cette approche « à 360 degrés », qui transparaît également dans les propositions esquissées par la mission d'information que vous avez présidée, est indispensable pour accompagner le vieillissement au travail et valoriser les compétences de ceux que vous préférez à juste titre appeler les travailleurs expérimentés.

Fort de ce constat, venons-en, après vous, à votre proposition de loi. Si sa version initiale souffrait, aux yeux du Gouvernement, de problèmes de méthode et de fond, force est de constater que le texte adopté par la commission des affaires sociales semble bien plus équilibré et opérationnel – même si nous divergeons sur ce point, laissez-moi vous indiquer et indiquer à l'Assemblée pourquoi c'est le cas, selon moi.

S'agissant de la méthode, en premier lieu, il me semble essentiel d'associer pleinement les partenaires sociaux à toute réflexion visant à lever les freins à l'emploi des seniors. Je sais, pour avoir échangé avec vous, que vous n'êtes pas hostile à cette méthode. Il importe de la respecter. Cette question implique en outre de traiter de l'ensemble des déterminants de l'emploi des seniors, y compris des paramètres de notre système de retraite. Or, comme l'a indiqué le Président de la République, les conditions ne sont pas aujourd'hui réunies pour ouvrir un tel chantier, comme vous l'avez rappelé dans votre propos liminaire. Il convient donc de renvoyer toute transformation d'ensemble à une réflexion plus large, en concertation étroite avec les partenaires sociaux.

S'agissant du fond, permettez-moi de revenir sur les cinq articles de votre proposition de loi, sur lesquels nous avons tout de même trouvé des terrains d'entente.

L'article 1er prévoit la création d'un label 50+ qui vise à identifier les entreprises vertueuses en matière d'emploi des salariés âgés de 50 ans et plus. Nous pensons que cette mesure peut être efficace pour envoyer un signal favorable aux entreprises les plus engagées et pour orienter efficacement les demandeurs d'emploi seniors vers ces recruteurs. À l'inverse, même si vous continuez à la défendre, la création d'un index Dynamique des âges pose des difficultés de principe – à quelle obligation légale celle-ci répond-elle ? – et d'application – quels indicateurs choisir et quelles sanctions prévoir en cas de non-respect ? Cela justifie que nous rejoignons la commission sur la nécessité d'écarter cette option.

Concernant l'article 3, le Gouvernement est satisfait de l'équilibre trouvé lors de l'examen en commission. La rédaction actuelle permet de s'appuyer sur l'entretien professionnel, réalisé tous les deux ans, pour préparer la suite de la carrière et promouvoir un dispositif essentiel, que je vous remercie d'avoir très bien défendu, mais qui reste peu mobilisé, le conseil en évolution professionnelle – CEP –, dont nous reparlerons sans doute pendant nos débats. Je salue le fait que vous ayez insisté dans votre intervention et dans votre rapport sur le lien entre l'entretien de mi-carrière de l'article 3 et l'entretien médical de mi-carrière prévu dans la loi du 2 août 2021 pour renforcer la santé au travail, issue d'une proposition de vos collègues Carole Grandjean et Charlotte Parmentier-Lecocq.

L'article 4 de la version initiale de votre texte visait quant à lui à intégrer les mesures d'accompagnement spécifique des demandeurs d'emploi de plus de 50 ans dans la convention pluriannuelle tripartite État-UNEDIC-Pôle emploi. J'entends bien votre déception, mais je vous répondrai à nouveau que le Gouvernement considère que la commission a eu raison de supprimer l'article, parce que la déclinaison de l'accompagnement selon les publics ne relève pas de la loi et que nous ne devons pas préempter les discussions qui guideront la négociation de la future convention tripartite. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

L'article 5, enfin, ouvrait la possibilité aux assurés en cumul emploi-retraite intégral de se constituer de nouveaux droits à la retraite sur la base de leurs cotisations. Le Gouvernement ne souhaite pas le rétablissement de cet article, supprimé en commission, pour la raison que j'évoquais précédemment : il n'est pas possible de s'écarter, sur ce sujet, d'une mise en œuvre de la transformation d'ensemble de notre système de retraite, en particulier parce que le coût d'une telle mesure est significatif – il se situe autour de 4 milliards d'euros. Nous ne pouvons pas en décider ce vendredi soir, dans le cadre d'une proposition de loi, aussi brillamment défendue soit-elle.

Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement soutiendra votre proposition de loi telle qu'elle a été adoptée en commission des affaires sociales,…

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