Intervention de Annie Chapelier

Séance en hémicycle du jeudi 25 novembre 2021 à 9h00
Évolution de la formation de sage-femme — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Chapelier, rapporteure de la commission des affaires sociales :

C'est pourquoi je souhaite introduire mon propos sur la présente proposition de loi par les mots d'un homme, le docteur Denis Mukwege, un homme qui a consacré sa vie à cette cause. Dans son dernier livre, La Force des femmes, il dit de l'accouchement qu'il est le « moment où les femmes sont les plus vulnérables et les plus puissantes ». Il ajoute que « l'attitude des hommes vis-à-vis de l'accouchement dans une société donnée permet de savoir si les femmes y sont libres et respectées ».

Je pense que tout est résumé dans ces phrases. On ne peut que rejoindre cette analyse. L'importance que nous prêtons dans une société au moment de la naissance est révélatrice du degré d'égalité entre les femmes et les hommes. Car ce moment a très longtemps été, dans nos sociétés occidentales et encore en bien d'autres endroits dans le monde, un moment caché, délaissé, voire honteux, un moment exclusivement de femmes, accompagnées par d'autres femmes, les sages-femmes, où les hommes n'apparaissent qu'en tout-puissants.

Cette histoire exclusivement féminine explique beaucoup de choses pour la reconnaissance d'une profession, pourtant médicale depuis 1803, soit plus de deux siècles. « Des bonnes femmes qui s'occupent de bonnes femmes », comme le résumait si bien l'une d'entre elles. Beaucoup l'ignorent mais ce métier a été exclusivement féminin jusqu'en 1982. Il n'y a que depuis quarante ans que les hommes, en France, peuvent exercer cette profession médicale.

Aussi, en parallèle de l'évolution de l'égalité femmes-hommes, la profession de sage-femme a progressé dans sa reconnaissance, mais toujours par à-coups, au prix de luttes incessantes et la plupart du temps dans une quasi-indifférence. Au fur et à mesure que la naissance a été sécurisée, au travers d'une hospitalisation généralisée, d'une médicalisation et d'une technicisation croissantes, les sages-femmes ont vu leur rôle évoluer, leurs compétences s'élargir, mais leur statut est resté, lui, inchangé. C'est pourquoi je ne peux m'empêcher de voir, dans les raisons de cette nécessaire proposition de loi, le reflet d'une violence symbolique, d'une discrimination qui perdure et d'une injustice que l'on tente de faire entendre.

Le métier de sage-femme est depuis trop longtemps déconsidéré, indépendamment de sa qualité et de son utilité sociétale. Un mal-être profond s'est alors installé au sein de la profession. Il est justifié.

Dans l'intérêt nouveau porté par l'ensemble de la nation à leurs très récentes mobilisations, dans le travail transpartisan que je salue dont cette proposition de loi est le résultat, dans les avancées déjà votées ici et dans les prises de position gouvernementales réaffirmant le caractère médical de la profession, je veux voir, j'espère voir, le symbole d'une société qui évolue, je veux y lire une volonté nationale d'avancer sur le sujet.

Bien sûr, ce texte ne répondra pas à l'ensemble des problèmes à résoudre pour une pleine et entière reconnaissance de la profession, car c'est bien de reconnaissance qu'il s'agit, comme pour l'ensemble des professions de santé, mais il propose de commencer par la base, les fondations de la profession : la formation. Nous souhaitons ainsi mettre fin à des clivages dépassés entre les professionnels médicaux et reconnaître collectivement les responsabilités et les compétences étendues d'une profession jusqu'alors minorée.

Cette proposition de loi se concentre sur quatre points clés, points de départ pour accéder à la reconnaissance de la profession. L'amorce d'un processus d'intégration universitaire commencée dès 2009 est aujourd'hui à l'arrêt et souffre de l'absence d'une directive précise. La très lente et hétérogène intégration universitaire des trente-cinq écoles de sage-femme de notre pays est dénoncée par tous, lors des auditions, comme une anomalie.

L'article 1er propose d'y remédier en disposant que l'intégration universitaire de la formation doit se faire prioritairement via une unité de formation et de recherche (UFR) de santé ou, à défaut, au sein de l'une des composantes des universités. L'objectif est de donner une ligne directrice claire et réaliste, au niveau national, pour que soient créés au sein des universités des départements de maïeutique conservant leur autonomie administrative et pédagogique.

L'intégration universitaire est complémentaire de l'acquisition de savoir-faire pratiques, notamment à travers le développement et la diversification des terrains de stage. C'est l'objet de l'article 1er bis , introduit en commission par le biais d'un amendement identique des trois groupes de la majorité, créant un statut de maître de stage universitaire en maïeutique. Les étudiantes sages-femmes disposeront ainsi d'une meilleure connaissance des différents environnements de travail existants, notamment en ambulatoire, en libéral ou encore en maison de naissance, et pourront mieux construire leur projet professionnel.

En parallèle de la diversification des stages, l'article 2, modifié par la commission des affaires sociales, répond à l'une des préoccupations majeures formulées par la profession. Celui-ci comprend une révision de l'ensemble de la formation des premier et deuxième cycles, ainsi que la mise en place d'un troisième cycle d'études. Une formation très dense d'une grande qualité mais qui se devait d'être rééquilibrée. À l'issue du troisième cycle d'études, la soutenance et la validation d'une thèse d'exercice conféreront ainsi le diplôme d'État de docteur en maïeutique aux étudiantes sages-femmes.

Spécialistes de la physiologie, les sages-femmes sont source d'un savoir qu'il nous faut apprendre à cultiver. Elles représentent l'autorité médicale, construisant les connaissances sur la santé génésique, la grossesse et les accouchements. Les empêcher d'accéder à la recherche, c'était refuser de reconnaître leur utilité et la grande valeur ajoutée qu'elles peuvent apporter dans ces domaines. L'article 3 y met un terme en donnant enfin la possibilité aux enseignantes-chercheuses de la filière maïeutique d'exercer simultanément leur activité clinique et leur activité d'enseignement et de recherche. En créant un statut ad hoc, cet article accorde la double expertise à l'ensemble des sages-femmes enseignantes-chercheuses, qu'elles travaillent à l'hôpital public, dans des établissements privés ou en ambulatoire.

Alors que nous ne disposons que de deux maîtresses de conférences en maïeutique et d'une seule professeure des universités, pour une population de 67 millions d'habitants, cet article est le bienvenu et est largement salué par la profession. Il est en réalité d'utilité publique. L'adage « On enseigne bien que ce qu'on fait et on ne fait bien que ce qu'on enseigne » doit nous guider. Une combinaison optimale entre théorie et pratique permettra aux deux versants de s'enrichir mutuellement.

Enfin, l'article 4 remonte aux sources d'un profond malaise. Il est proposé de modifier les nomenclatures NAF – nomenclature d'activités française – et PCS – professions et catégories socioprofessionnelles – de l'INSEE, qui classent les sages-femmes avec les infirmières ou en catégorie de « professions intermédiaires » depuis 1982. Elles seront ainsi reclassées, comme le prévoit le code de la santé publique, à l'instar des professions médicales, à la place qui est la leur. Nous avons confiance en elles et au travail de qualité qu'elles réalisent. Preuve en est : au sein de cette législature, leurs compétences n'ont cessé d'être réaffirmées et élargies.

Je tiens à saluer les très récentes annonces faites par le Gouvernement, qui signe, par le protocole d'accord trouvé, des avancées importantes pour la profession, avec la revalorisation nette de 500 euros par mois pour les sages-femmes hospitalières à compter du 1er février 2022 ainsi que la réaffirmation de leur rôle spécifique au sein des établissements de santé. Ces annonces vont dans le sens de cette proposition de loi en entérinant la création d'une sixième année de formation, ce qui figure à l'article 2.

Cette proposition de loi s'inscrit donc dans un continuum. Elle fédère et fait consensus ; à aucun moment nous n'avons entendu un dissensus lors des auditions et consultations menées. Elle répond à une demande d'un meilleur accompagnement de la part des professionnelles, des parturientes et des femmes en général – où l'humain est enfin replacé au cœur de l'échange.

Si les sages-femmes françaises sont les premières d'Europe en compétences et en responsabilités, cela n'en sera que plus vrai demain, pour répondre aux besoins en santé de notre population.

Avec ce texte, nous effectuons un changement de paradigme. Pour construire le système de santé de demain et l'hôpital du futur, nous devons déplacer notre centre de gravité, « médicocentré » et « hospitalocentré », pour laisser toute leur place à des professions peu visibles jusqu'à maintenant. Chacun connaît le proverbe : « Mieux vaut prévenir que guérir. » Nous l'approuvons tous, et pourtant, combien des lois que nous adoptons relèvent-elles de la prévention ? Dans le domaine de la santé, la prévention, qui est la plus redoutable et la plus efficace des armes pour lutter contre la maladie …

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