Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du vendredi 22 octobre 2021 à 9h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 — Article 26

Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé :

…aux côtés des fédérations, des conférences et des administrations centrales, pour identifier tous les problèmes et leur trouver, à chacun, des solutions.

Ces solutions ne sont pas simples. Les origines des problèmes sont multifactorielles. Le rapporteur général a évoqué la démographie médicale : le système a été tellement dénaturé que, fatalement, on manque désormais de médecins pour exercer, d'où le débat en cours sur cette question.

Une autre réforme de la médecine d'urgence me semble néanmoins devoir être réinterrogée, quelques années après sa mise en œuvre. Il a été considéré, à une époque – et je partage cet avis sur le principe –, que seul un médecin urgentiste diplômé, ayant suivi une formation ad hoc, pouvait exercer dans de bonnes conditions dans un service d'urgence. Ce choix a été fait pour restaurer l'attractivité d'une discipline qui semblait en manquer. Or, quelques années plus tard, on constate la lassitude des médecins diplômés en médecine d'urgence pour exercer leur spécialité, laquelle fait l'objet d'un turnover important. Les raisons en sont faciles à comprendre : la lourdeur de la permanence des soins, les gardes difficiles, l'insécurité qui caractérise parfois les services ou encore l'augmentation de la charge de travail rendent cette spécialité très difficile à exercer dans la durée.

Certains urgentistes abandonnent donc l'exercice de la médecine d'urgence. Or, dans notre pays inventeur des jardins à la française, tout avait été planifié pour affecter le nombre requis d'urgentistes dans un nombre donné de services d'urgence. Du fait des déperditions importantes de médecins urgentistes constatées en pratique, des difficultés se font jour.

Dans le même mouvement, la loi Mattei du 4 mars 2002 a mis fin à l'obligation de garde qui s'imposait aux médecins libéraux. Par la suite, les médecins hospitaliers ont progressivement intégré le fait qu'il ne leur incombait plus d'assurer la permanence des soins dans les services d'urgence, en partie parce que nombre d'entre eux assuraient déjà des gardes dans leur propre service – cardiologique, hématologie, neurologie, psychiatrie ou gériatrie. Lorsque les urgentistes viennent à manquer, il devient parfois plus difficile de recruter des médecins hospitaliers afin qu'ils effectuent des gardes à leur place. Chacun sait que ce n'est pas un problème de moyens : des postes sont ouverts et nous encourageons le recrutement d'urgentistes partout où il en manque. Force est de constater que nous sommes probablement parvenus au bout de cette logique.

Face à cette situation, il y a deux façons d'agir. La première consiste à répondre à l'urgence et à trouver des solutions partout où c'est nécessaire. Ce n'est pas simple. Il faut parfois avoir recours à la solidarité territoriale. On peut également appeler les médecins libéraux à contribuer davantage à la permanence des soins, mais on ne peut pas les y forcer.

Il existe aussi des solutions plus structurelles. Je m'engage à réfléchir, avec les professionnels et les administrations, à la médecine d'urgence de demain et aux moyens de construire une médecine d'urgence de grande qualité, garantissant la sécurité des patients grâce à la mobilisation de médecins diplômés spécialistes, tout en ouvrant la possibilité de recourir davantage aux médecins lorsque les urgentistes viennent à manquer. Cette réflexion a été reportée maintes fois. Nous ne pouvons plus la repousser davantage. Je l'affirme sans avoir d'opinion arrêtée sur le système qu'il conviendrait de construire : je suis ouvert à la discussion. Nous devons nous mettre autour de la table pour avancer sur cette question relativement consensuelle, qui me semble pouvoir réunir le plus grand monde.

Pour répondre très rapidement sur l'intérim, ce phénomène aggrave le problème en même temps qu'il apporte localement des solutions transitoires. Il accentue les difficultés, car des médecins épuisés par leur métier et les contraintes qu'il implique peuvent, s'ils sont rémunérés 2 000 euros ou 2 500 euros pour une garde de vingt-quatre heures, toucher en trois journées l'équivalent de leur salaire mensuel, qui s'élève, avec un contrat classique, à 6 000 euros ou 7 000 euros par mois. L'intérim encourage donc des praticiens hospitaliers à réduire considérablement leur temps de travail plutôt que de rester à temps plein.

En même temps, il apporte des solutions transitoires dans certains territoires, car ces intérimaires peuvent être recrutés au débotté pour faire tourner un service d'urgence en manque d'effectifs. Ce phénomène est toutefois devenu si répandu et a causé tellement d'absences dans les équipes qu'il n'est désormais plus – ou quasiment plus – un remède, mais bien une des causes principales des manques dont souffrent certaines disciplines dans les hôpitaux et les cliniques.

Ce problème est clairement identifié. J'avais rédigé un rapport sur cette question dès 2013. Plusieurs solutions opérationnelles, à la portée croissante, ont été identifiées et appliquées. Vous avez adopté il y a quelques mois la loi Rist, qui prévoit un dispositif imparable : la fixation d'un plafond – élevé – de rémunération qui ne saurait en aucun cas être dépassé, afin de dissuader les urgentistes de pratiquer l'intérim à temps plein et surtout afin de réduire le surcoût subi par l'hôpital. Croyez-moi, je suis déterminé à appliquer cette règle : c'est un combat que je livre depuis bientôt dix ans.

Nous traversons néanmoins une période dans laquelle l'épidémie de covid se conjugue à celles de bronchiolite et de grippe. Nous avons évoqué les difficultés dont souffrent les hôpitaux en cette phase de sortie de la crise liée au covid : des soignants, après avoir tenu bon pendant la crise, choisissent désormais d'arrêter, de se reposer ou de changer d'activité. Ces décisions, si elles sont compréhensibles, nous placent dans une situation encore plus tendue sur le plan des ressources humaines, alors même que nous abordons une période très difficile. J'en veux pour preuve le fait que 30 % des lits de pédiatrie sont occupés par des patients relevant de la pédopsychiatrie ; que plus de 2 000 enfants ont déjà été accueillis aux urgences pour des cas de bronchiolite, avant même le début du mois de novembre ; ou encore que l'épidémie de grippe s'annonce forte et intense, raison pour laquelle j'ai décidé, à titre exceptionnel, de faire débuter la campagne de vaccination antigrippale dès aujourd'hui, afin de protéger très rapidement les personnes fragiles et de préserver les hôpitaux, lesquels doivent en plus reprogrammer toutes les activités reportées pendant la pandémie.

J'ai beau être déterminé, je ne suis ni aveugle, ni buté. J'ai donc préféré prendre en considération tous ces facteurs et nous donner un peu de temps en repoussant de quelques semaines l'application opérationnelle de la mesure d'encadrement de l'intérim. Ce délai sera mis à profit pour établir, pour la première fois, une cartographie précise de l'intérim médical, détaillant, par établissement, les surcoûts générés, le nombre de médecins concernés, ou encore les pratiques observées. Le moment venu, quand la situation sanitaire dans les hôpitaux sera quelque peu apaisée, le décret qui paraîtra s'appuiera ainsi sur des éléments concrets.

En clair, je suis conscient comme vous de la complexité de la situation et de la difficulté à laquelle nous sommes tous confrontés dans nos territoires respectifs – et que j'affronte comme ministre. Croyez en ma détermination et en mon ouverture d'esprit : ma porte est ouverte pour travailler avec vous sur toutes ces questions.

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