Intervention de Laetitia Avia

Séance en hémicycle du lundi 28 juin 2021 à 16h00
Respect des principes de la république — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaetitia Avia, rapporteure de la commission spéciale pour le chapitre IV du titre Ier :

La première fois que je me suis exprimée à cette tribune pour vous présenter une proposition de loi visant à lutter contre la haine en ligne, j'ai commencé mon propos en vous disant que le texte portait en lui le combat d'une femme qui ne supportait plus de se faire traiter de négresse sur les réseaux sociaux. Ce débat et ce combat n'ont pas fait l'unanimité entre, d'une part, ceux qui saluaient une implication forte dans cette lutte contre la haine en ligne et, d'autre part, ceux qui dénonçaient ou craignaient une montée en puissance d'un certain droit des minorités, d'une société dans laquelle la protection de quelques-uns irait à l'encontre de nos droits fondamentaux tels que la liberté d'expression, sans oublier ceux qui ne saisissaient pas les enjeux et la réalité des violences numériques, pensant qu'il suffisait de mettre son téléphone de côté pour y échapper.

Ces débats ne datent que d'un ou deux ans, mais j'ai l'impression qu'ils sont d'un autre temps tellement d'eau a coulé sous les ponts et tellement de souffrance est remonté à la surface, une souffrance universelle qui touche bien sûr les personnes les plus vulnérables, cibles de la haine en ligne en raison de leur prétendue race, de leur religion, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, mais aussi tout un chacun qu'on cherchera à déstabiliser en raison de ses convictions, de son uniforme, de sa fonction. Notre pays en a payé le lourd tribut. Ces victimes quotidiennes de la haine en ligne, vous les connaissez : ce sont vos filles, vos frères et sœurs, vos voisins de palier, cet inconnu croisé tous les jours au café d'en face, vos collègues sur les bancs mêmes de cet hémicycle. Oui, les violences numériques nous touchent toutes et tous, d'une manière ou d'une autre. Il ne se passe pas un drame aujourd'hui en France sans que l'on questionne la responsabilité des réseaux sociaux.

Cette prise de conscience est là, elle ne reculera pas. C'est un des héritages que nous laisse Samuel Paty mais aussi Alisha, Toumani, Lilibelle, Marjorie, quatre adolescents décédés cette année des suites de dérives sur les réseaux sociaux. Dans une interview récente qui, je crois, nous a tous éprouvés, la jeune Mila nous disait qu'au-delà des messages de soutien, elle demandait de l'action. Agir, c'est ce que nous allons faire aujourd'hui : agir par une lutte contre la haine en ligne qui repose sur le triptyque « sanctionner, réguler, prévenir ».

Sanctionner, en créant de nouveaux délits comme la pratique dite de « doxing » qui a coûté la vie à Samuel Paty. On ne peut impunément faire de quelqu'un une cible sur les réseaux sociaux. On ne peut pas non plus divulguer des photos intimes de nos jeunes pour les exposer au cyberharcèlement, les contraindre à changer d'établissement, à déménager. Face à ces nouvelles pratiques et dérives, il est de notre responsabilité d'adapter notre droit pour mieux armer nos juges et donner aux plateformes la base juridique nécessaire pour agir.

Sanctionner, c'est aussi juger plus vite les haineux en comparution immédiate. Après tout, pourquoi devraient-ils bénéficier des protections du droit de la presse, alors qu'ils ne respectent aucune de ses obligations ?

Réguler, ce n'est pas faire la guerre aux plateformes, ni leur demander de prendre leurs responsabilités : c'est à nous de les responsabiliser, de leur interdire désormais de détourner le regard, de les obliger à modérer avec diligence et transparence. C'est à nous d'organiser leur supervision : c'est l'objet de l'article 19 bis , qui anticipe les mesures prévues par le futur Digital Services Act proposé par la Commission européenne.

Je tiens donc ici à adresser un message aux plateformes : la société a évolué, elle ne veut plus du laisser-faire. Ces changements se font ressentir partout dans le monde. Nous ne voulons pas d'une cour suprême de Facebook, qui serait au-dessus des État et pourrait décider de la capacité d'expression des uns et des autres. Les entreprises ne sont pas des supranationales : ce sont des multinationales, qui doivent donc appliquer les lois et assurer les protections édictées souverainement et démocratiquement par nos États et nos législateurs. N'ayez pas un train de retard, cessez cette résistance vaine : la société est prête, et elle vous demande de protéger ses internautes, quoi qu'il en coûte.

Enfin, il s'agit de prévenir – point particulièrement important de ce texte visant à protéger nos principes républicains. Nous savons que la radicalisation a changé de visage et de méthode : l'endoctrinement numérique se fait de manière insidieuse et dangereuse, à l'insu, et pourtant au vu, de tous. Nous devons donc mieux armer nos jeunes face à ceux qui abusent de leur vulnérabilité sur internet. À cet égard, le permis internet sera un outil efficace de sensibilisation et de protection de nos enfants. Nous espérons son déploiement dès la rentrée prochaine dans toutes les écoles primaires et tous les collèges de France.

Je terminerai mon propos avec des remerciements. Je remercie les ministres, tout d'abord, qui ont donné une si forte impulsion à notre combat, mais aussi l'ensemble des collègues de tous les bancs qui ont alimenté nos réflexions et positions, notamment en matière de lutte contre la haine en ligne. Je remercie, surtout, toutes les associations qui mènent un combat sans relâche depuis de nombreuses années. Une nouvelle ère s'ouvre à nous : après l'essor fantastique des réseaux sociaux, après l'explosion incontrôlée de la haine sur ces réseaux, est venue l'ère de la protection de tous et de toutes et de la fin de l'impunité.

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