Intervention de Grégory Besson-Moreau

Séance en hémicycle du jeudi 24 juin 2021 à 9h00
Rémunération des agriculteurs — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGrégory Besson-Moreau, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Nous connaissons tous les chiffres : un taux de surmortalité par suicide supérieur de 20 % à celui de la population générale, près de deux suicides par jour et 19 % des agriculteurs sans revenu ou déficitaires en 2017. Derrière ces chiffres, chacun d'entre nous peut mettre des noms, des visages, des histoires : ceux de femmes et d'hommes qui, dans nos territoires, ont aimé leur métier, ont tout donné pour lui, ont travaillé sans relâche et ont fini brisés, broyés par les dettes et un rythme de travail épuisant. C'est, bien sûr, à eux que nous pensons tous en entamant la discussion de ce texte, par-delà les chiffres et les statistiques.

Le métier d'agriculteur est le plus beau et le plus nécessaire de tous ; c'est aussi le plus exigeant. La question de la juste rémunération des agriculteurs est un enjeu de justice sociale et de dignité de la personne humaine. C'est aussi une question stratégique car il y va de notre souveraineté alimentaire, dont la crise nous a rappelé le prix. À l'heure où le renouvellement des générations est incertain en agriculture, comment convaincre des jeunes de se lancer dans ces métiers dont nous avons tant besoin, s'ils n'en vivent pas correctement ? Enfin, comment prétendre que la transition de notre agriculture, que nous souhaitons tous, est envisageable sans une juste rémunération ? Nous devons être cohérents. La montée en gamme, le plus grand respect de l'environnement et du bien-être animal, tout cela est juste, mais tout cela a un coût. Le modèle d'agriculture que nous voulons pour demain dépend de notre capacité à garantir un revenu qui permette à nos producteurs d'effectuer ces investissements.

Je le dis avec force : la juste rémunération des agriculteurs est l'enjeu le plus important aujourd'hui en matière d'agriculture. Elle sous-tend tout le reste : la souveraineté alimentaire, le renouvellement des générations, la transition vers des modèles de production plus vertueux. Elle est la condition qui détermine, individuellement, l'avenir de nos producteurs et, collectivement, l'avenir de notre société.

Cette conviction, nous la portons depuis le début de la législature, avec Stéphane Travert, Jean-Baptiste Moreau, Monique Limon, Sophie Beaudouin-Hubiere et nombre d'entre vous, chers collègues. Elle était au cœur de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM.

La répartition de la richesse au sein de la chaîne alimentaire a fait l'objet de toute notre attention dans le cadre de travaux de contrôle, comme dans celui de la commission d'enquête que j'ai eu l'honneur de conduire sous la présidence de mon ami Thierry Benoit en 2019. Cette préoccupation, je tiens à le souligner, a également été au cœur des travaux de tous les groupes qui composent notre assemblée et nous avons souvent, à leur initiative, étudié des propositions de loi issues de groupes minoritaires ou d'opposition et consacrées à cet enjeu.

Nous n'étions pas toujours d'accord mais il faut reconnaître que, sur cette question sensible de la rémunération, nous pouvons tous nous retrouver. Comme je l'ai constaté en commission et lors de la préparation de cette séance, nous ne serons sans doute de nouveau pas toujours d'accord, mais je salue le travail mené ensemble pour déposer des amendements communs sur des sujets importants et la confiance que beaucoup d'entre vous m'ont témoignée en retirant leurs amendements en commission pour les réexaminer aujourd'hui.

J'irai plus loin encore en affirmant ma confiance envers les sénateurs, avec lesquels j'ai pu échanger, et dans notre capacité à travailler en bonne intelligence pour parfaire un texte que je crois ambitieux et lui permettre d'aboutir très rapidement.

Je salue et remercie enfin M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, pour son engagement, la qualité de son écoute et son extrême disponibilité.

Lors de l'examen du texte en commission, j'ai proposé une méthode simple : nous devons procéder étape par étape, sans précipitation et en préservant toujours un équilibre global du texte. Nous voulons protéger la rémunération des agriculteurs, mais il ne s'agit pas de monter les distributeurs contre les industriels, ou l'inverse. Notre souveraineté alimentaire dépend de chacun des trois maillons de la chaîne, et nous devons tout faire pour favoriser des « relations coopératives », selon l'expression chère à Thierry Benoit. Cette délicate recherche de l'équilibre nous invite tous, moi compris, à la mesure et à la tempérance.

Étape par étape, donc ! La proposition de loi que j'ai déposée constituait une première étape. Contrairement à ce que nous avons pu lire dans la presse, il ne s'agit pas de « rejouer le match » d'EGALIM ni d'en corriger les dispositifs ou de faire un EGALIM 2, mais de donner les moyens à la loi d'être efficace et d'accélérer les choses. EGALIM portait une ambition immense et n'est en vigueur que depuis trois ans : nous n'en avons même pas encore fait l'évaluation et ses dispositifs ne sont pas encore tous suffisamment entrés dans les mœurs pour jouer pleinement leur rôle.

La proposition de loi initiale portait un dispositif volontairement synthétique et précis. L'article 1er constitue un changement de paradigme : nous proposons de faire des contrats écrits et pluriannuels de trois ans minimum la norme en matière de contractualisation. Nous inversons ainsi la logique qui prévaut aujourd'hui.

L'article 2 s'attaque aux contrats entre transformateurs et distributeurs. Nous créons deux dispositions essentielles et novatrices destinées à protéger la rémunération des agriculteurs. La première est une transparence sur les coûts des matières premières agricoles, qui deviennent non négociables ; la seconde est l'insertion obligatoire dans les contrats d'une clause de révision automatique des prix en cas de variation du coût des matières premières agricoles.

L'article 3 prolonge le renforcement des pouvoirs du médiateur que nous avions voté dans le cadre d'EGALIM par la création d'un comité de règlement des différends commerciaux agricoles (CRDCA), qui délibérera publiquement, pourra prononcer des injonctions sous astreinte et, si la situation l'exige, prendre des mesures conservatoires.

L'article 4, relatif à l'étiquetage, permet d'assurer la compatibilité entre droit français et droit européen, et doit inciter les transformateurs à davantage indiquer l'origine des ingrédients qu'ils utilisent.

Le travail en commission a permis des avancées majeures : nous avons adopté quatre-vingt-sept amendements de la majorité comme de l'opposition. Les chiffres témoignent de l'unanimité que j'évoquais en introduction. Nous avons ainsi renforcé les indicateurs, en les consacrant comme socle de la détermination du prix et en rendant leur publication obligatoire. Nous avons également proscrit les clauses de révision ou de renégociation résultant de l'environnement concurrentiel, qui posent tant de difficultés dans le secteur laitier. Nous avons introduit un mécanisme de tiers indépendant pour garantir la transparence et la non-négociabilité de la matière première agricole – certains jugent ce dispositif complexe et je suis prêt à le simplifier ; il a le mérite de respecter la liberté des acteurs et le secret des affaires mais il est, j'en conviens, perfectible. Nous avons encore modifié la composition du comité de règlement des différends pour en assurer un meilleur équilibre. Nous avons, enfin, posé un acte politique relatif à l'utilisation trompeuse du drapeau français ou des symboles nationaux.

Ces avancées sont importantes. Beaucoup d'entre vous souhaitent cependant aller plus loin dans différents domaines, notamment pour ce qui concerne le mécanisme de « tunnel de prix » pour certaines filières, dont la filière bovine, l'encadrement des MDD, les marques de distributeur, et la plus grande protection du tarif du fournisseur vis-à-vis du distributeur, ainsi que la transparence du coût des services, en valorisant le plan d'affaires communément désigné comme le « ligne à ligne ».

Je m'étais engagé à retravailler ces questions pour la séance.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.