Intervention de Olivia Gregoire

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 15h00
Limitation des impacts négatifs de la publicité — Présentation

Olivia Gregoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable :

Je commencerai par opposer René Char à Proudhon en rappelant que, comme le disait le premier, tout ce qui est excessif est insignifiant. Votre parallèle entre la publicité et le viol, je vous le laisse.

Qu'on le veuille ou non, la publicité – comme toute production sociale – dit quelque chose de nous, de notre société, de nos goûts collectifs, de nos aspirations et de ce que nous décidons, en tant que société, de valoriser ou de promouvoir comme désirable ou non.

Chacun voit bien qu'il y a une dissonance de plus en plus forte entre d'un côté un appel permanent à une forme de surconsommation et d'achat à outrance, et de l'autre des ressources et une planète de plus en plus épuisées, incapables de soutenir plus longtemps nos rêves de grandeur. Et ce n'est pas le seul sujet : beaucoup de nos concitoyens s'interrogent à juste titre sur le poids écologique de la publicité, non seulement pour les produits et les services qu'elle promeut, mais en tant que telle. Qui, dans cet hémicycle, pourrait sincèrement dire n'avoir jamais été perplexe, pour ne pas dire agacé, devant des vitrines allumées au milieu de la nuit ?

Oui, mesdames et messieurs les députés, soyons très clairs, la publicité comme l'ensemble des autres secteurs de notre société doit prendre sa juste part à l'effort que nous engageons en faveur de la transition écologique et sociale. Nous ne réussirons pas cette transition sans déconstruire certains imaginaires, ni sans mener une action d'ensemble cohérente visant d'abord à éduquer et à fournir aux futurs consommateurs les voies et moyens de s'informer et d'agir en conscience.

Derrière chaque petit geste anodin du quotidien se cache un enjeu écologique, ce que de plus en plus de citoyens relèvent. C'est là, précisément, l'une des avancées importantes du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets que vous avez voté mardi dernier : donner au citoyen de bonnes armes pour être un acteur du changement, éclairer son jugement pour qu'il décide librement, et non décider à sa place.

Cela passe d'abord par la généralisation de l'éducation, de la sensibilisation à l'environnement. Avec cette loi, grâce à vous, l'école de la République donnera aux citoyens de demain les voies et moyens d'agir avec discernement. Cette mesure aura des impacts immédiats parce que les enfants ramèneront chez eux leurs connaissances, contribueront par leur exigence à transformer la vie des familles et leur mode de consommation. C'est une petite révolution. Vous avez, madame la rapporteure, parlé des enfants. Il est important d'éclairer les enfants parce qu'on sait bien que, dans cet univers de la publicité que vous décriez, les plus grands prescripteurs d'achat sont les enfants : à plus de 80 % ils influencent le comportement d'achat de leurs parents.

N'omettons pas non plus la mise en place de l'affichage environnemental, qui prendra en compte le poids écologique des produits et des services. Je veux ici saluer l'engagement des parlementaires et les travaux que vous avez menés en séance publique pour muscler le dispositif afin qu'il prenne pleinement en compte l'immensité du défi que nous devons relever et que les émissions de gaz à effet de serre ne soient pas le seul indicateur retenu mais qu'il y ait aussi l'impact sur la biodiversité et la consommation des ressources naturelles.

Cet affichage consolidé que vous avez voté sera obligatoire sur les publicités, et ce pas dans dix ans mais dès 2022, quand l'étiquette énergie des véhicules et de l'électroménager sera obligatoirement affichée sur les publicités. Ce sera dissuasif pour les annonceurs comme pour les consommateurs, sans qu'il n'y ait besoin d'une interdiction qui serait – je sais que c'est dérangeant mais il faut regarder le réel en face – très probablement contournée par des médias numériques que nous ne pouvons pas réglementer.

Cette loi va plus loin, dans un esprit toujours concret que nous partageons tous, parce que c'est à hauteur d'hommes et de femmes que l'on transforme un pays, sans rien omettre, même de ce qui pourrait sembler insignifiant car, dans ce combat que nous menons, rien ne l'est.

Je pense bien sûr aux publicités dans nos boîtes aux lettres. Chaque année, trente kilos de ces imprimés sont jetés par foyer sans même avoir été lus ni ouverts. C'est une aberration ! Grâce à la loi, nous allons expérimenter avec les collectivités volontaires le dispositif « Oui pub ». Là encore, c'est grâce à l'engagement des parlementaires en séance que l'on a pu élargir la portée de ce dispositif.

Agir avec force et diligence pour transformer tous nos modes de vie, c'est aussi faire le pari de l'intelligence des territoires et, au-delà des mots, passer aux actes en la matière. Les élus de terrain savent souvent bien mieux que des élus plus éloignés des territoires ce qu'il faut faire, où, quand, comment, pour arriver à des résultats rapides et concrets mais aussi acceptables et visibles par tous. C'est bien pourquoi le projet de loi que vous avez voté décentralise le pouvoir de police de la publicité pour le confier au maire. Bien sûr, comme pour tout transfert de compétence, nous accompagnerons les collectivités avant sa mise en œuvre – il est important de le préciser.

Ce sont bien les maires qui pourront interdire les publicités lumineuses à l'extérieur et encadrer les dispositifs d'écran qui se développent dans les vitrines. Il ne s'agit pas de pointer du doigt les commerçants, dont vous savez qu'ils sont profondément affectés par la crise que nous traversons. On connaît leur courage, leur résilience, et l'idée est de faire confiance plutôt qu'interdire, faire confiance aux élus locaux qui construiront avec et non contre les commerçants le cadre le plus juste, le plus robuste et le plus durable pour réguler ces publicités consommatrices d'énergie : la confiance réciproque, le dialogue constructif plutôt que l'interdiction unilatérale et brutale.

Mesdames et messieurs les députés, nous engageons le changement en permettant au Parlement de se saisir bien davantage des questions d'autorégulation par le secteur grâce à un rapport annuel qui vous sera transmis. Nous le faisons aussi en invitant les annonceurs à créer et à suivre des codes dont le respect sera vérifiable par tous, gage du sérieux ou non des engagements.

Interdire, nous le faisons pour la publicité tractée par avion au-dessus des plages l'été, qui pollue autant en termes de CO2 qu'en termes de vue : cette survivance d'un siècle passé a clairement fait son temps. C'est dans le même esprit de refus de se contenter de l'existant que nous transformons les règles de droit. Oui, demain, grâce là encore au travail des parlementaires, l'écoblanchiment sera considéré pour ce qu'il est, une pratique commerciale trompeuse. Enfin, la direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes pourra agir contre les annonceurs qui cherchent à tromper les consommateurs et prononcera des sanctions beaucoup plus fortes.

Je comprends bien l'idée générale de cette proposition mais je n'en partage ni les moyens ni les finalités. Vous posiez, madame la rapporteure, à la fin de votre discours, la question : quelle place pour le consommateur, pour nous qui consacrons la liberté individuelle ? Oui, nous la consacrons. Quelle place pour le consommateur ? Le libre arbitre !

Multiplier les interdictions de différentes formes de publicité peut sembler une solution efficace et simple mais, dans le réel, elle échouera parce que nous vivons dans un monde complexe et interconnecté : tant que les produits sont vendus dans notre territoire, les annonceurs continueront à en faire la promotion, en reportant massivement leurs investissements sur le numérique. La simplicité n'est pas toujours gage d'efficacité.

Il y aurait même en réalité, si l'on va au bout du raisonnement, une forme d'hypocrisie à autoriser la mise sur le marché de différents produits mais d'en interdire la promotion. Suivons la logique proposée par la rapporteure, soyons cohérents : interdisons la publicité mais interdisons aussi les produits, puis allons plus loin et disons aux consommateurs ce qu'ils doivent consommer et ne pas consommer pour que la boucle soit bouclée.

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