Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 15h00
Limitation des impacts négatifs de la publicité — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin, rapporteure de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

La proposition de loi reprend différents amendements que mon groupe a déjà présentés lors de l'examen de textes précédents, et notamment le projet de loi climat et résilience adopté cette semaine par l'Assemblée. Certes, tous ces amendements ont été rejetés. Néanmoins, suivant l'adage publicitaire, je continuerai à taper sur le même clou, quitte à matraquer le message. Ainsi, paraphrasant Proudhon, je réaffirme que la publicité, c'est le viol : le viol de notre temps de cerveau disponible ; le viol de l'espace public ; et, parfois même, le viol de l'esprit de nos enfants, que l'on incite à consommer au moyen de techniques de manipulation très perfectionnées.

Certes, des évolutions législatives très récentes vont dans le bon sens, comme l'obligation de faire apparaître l'étiquette énergie des voitures dans les spots publicitaires. Cependant, une personne reste chaque jour exposée à un flux compris entre 1 200 et 2 200 messages publicitaires. La publicité est partout : sur nos écrans, aux abords des routes, dans nos villes, dans les gares et les aéroports, et jusque dans les toilettes comme l'a rappelé notre collègue François Ruffin. La publicité nous vante un mode de consommation débridé comme modèle d'épanouissement individuel. Elle nous éloigne en permanence de l'objectif d'une consommation sobre et responsable ; elle ne vise pas à informer, mais à susciter l'envie.

En outre, les marques dépensent des fortunes pour influer sur nos choix de consommation ou de non-consommation : 31 milliards d'euros ont été dépensés en 2019, dont plus de 4,3 milliards pour le seul secteur automobile – autant d'argent qui n'est pas consacré aux investissements nécessaires à la transition écologique. Même les promoteurs de la concurrence libre et non faussée devraient rejeter la publicité, puisqu'elle est surtout l'affaire de quelques grandes multinationales qui renforcent leur position hégémonique. Rappelons que seul 1 % des 3 millions d'entreprises en France ont accès au marché publicitaire. Plus grave encore, une étude comparative menée dans plusieurs pays – Australie, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas, États-Unis – auprès d'enfants âgés de 6 à 11 ans a montré que l'exposition à la publicité alimentaire télévisée contribuait à la prévalence de l'obésité des enfants, dans des proportions allant de 4 à 40 % selon les pays.

Que faisons-nous face à ce désastre ? Derrière les mots, il y a peu d'actions concrètes. Certes, le projet de loi climat et résilience pose le principe de l'interdiction de la publicité en faveur des énergies fossiles. Ainsi, c'en sera fini des publicités sur le diesel, mais toujours pas de celles – les plus nombreuses d'ailleurs – faisant la promotion de produits qui en consomment, et qui parasitent notre imaginaire. Pour ces produits, tout est renvoyé à des dispositifs d'autorégulation et à des codes de bonne conduite dont on connaît l'inefficacité, à des dispositifs qui reposent sur une responsabilisation individuelle, au lieu de mettre l'accent sur la responsabilité juridique des producteurs et des diffuseurs.

Pourtant, un cadre légal a autrefois permis d'interdire la publicité sur l'alcool et le tabac, pour des raisons de santé publique. Une nouvelle loi Évin doit aujourd'hui s'appliquer aux produits et aux pratiques nocifs à l'environnement et à la santé physique et psychique des êtres humains. En effet, comment contester les risques que le changement climatique et nos modes de production et de consommation nous font courir ? Les Français sont prêts à des mesures plus ambitieuses : 65 % d'entre eux sont favorables à l'interdiction des publicités pour les marques contribuant au changement climatique. Tel est le sens de la proposition de loi, dont l'article unique est composé de trois parties distinctes.

Les trois premiers alinéas visent à interdire toute publicité numérique et lumineuse ainsi que l'affichage de publicités commerciales dans les gares, aéroports et stations de transport public de personnes. L'interdiction n'a rien d'inédit dans sa logique : la loi prévoit déjà certaines interdictions d'affichage publicitaire en dehors des lieux qualifiés d'agglomérations, dans les espaces naturels ou sur les monuments historiques. Quant aux publicités lumineuses ou numériques, elles sont déjà encadrées par des règles particulièrement complexes. S'il est un alinéa à retenir de cette proposition de loi, c'est bien celui interdisant cette publicité lumineuse et numérique.

Ma collègue Delphine Batho l'a rappelé dans le cadre de sa proposition de loi relative à l'interdiction de toute forme de publicité numérique et lumineuse dans l'espace public, de même que le commissaire général au développement durable, Thomas Lesueur, que j'ai auditionné : l'explosion du nombre de panneaux numériques et lumineux est significative. On compte déjà plus de 704 écrans numériques dans le métro parisien, et ils se multiplient dans de nombreuses métropoles. Le Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV) m'a confirmé, après tant d'autres, la nuisance que pouvaient représenter ces nouveaux supports de publicité, tant d'un point de vue environnemental que cognitif. Pour rappel, un panneau numérique de deux mètres carrés consomme 7 000 kilowattheures par an, ce qui équivaut à la consommation annuelle d'un foyer avec un enfant. Je note d'ailleurs qu'aucun argument un tant soit peu sérieux en faveur de ces panneaux lumineux ne m'a été opposé, ni lors des auditions ni en commission.

Les dix alinéas suivants posent les fondements d'une « loi Évin climat », qui interdit notamment, de manière ciblée, des produits ou des pratiques dont la nocivité pour l'environnement n'est plus à démontrer : bouteilles en plastique, véhicules les plus polluants, téléphones portables, certains vols interrégionaux. La logique de ces alinéas n'est donc pas différente de celle de l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles.

Enfin, les trois derniers alinéas encadrent la publicité relative à la malbouffe et destinée aux enfants. Elle propose de limiter la publicité aux produits alimentaires et boissons classés A ou B sur l'échelle du nutri-score, qui deviendrait, de fait, obligatoire pour tous les produits, comme cela a été envisagé avec le vote, en février 2019, de la proposition de loi visant à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments et à encourager les bonnes pratiques alimentaires. Autrement dit, la logique que je défends est de permettre la publicité pour des produits alimentaires ou des boissons au nutri-score élevé, ce qui va beaucoup plus loin pour lutter contre la malbouffe. À l'heure où la population française compte 49 % de personnes en surpoids, dont 17 % d'obèses, adopter une telle réglementation constitue un enjeu majeur de santé publique. Cependant, j'ai été sensible à certains arguments développés lors de l'examen en commission. Il est sans doute des produits du terroir qui, participant au rayonnement culturel de nos régions, pourraient être soustraits à cet encadrement lié au nutri-score : je ne mets pas dans le même caddie, si je puis dire, le foie gras et le pot de Nutella.

Enfin, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande l'interdiction de la publicité destinée aux enfants pour des produits trop gras, trop sucrés, trop salés. Or les seuls engagements volontaires sous l'égide du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) n'ont pas donné de résultats significatifs, pas plus que la loi dite Gattolin, qui restreint la publicité dans les programmes télévisés destinés aux enfants. Il est donc grand temps de mettre en accord le droit avec le savoir des scientifiques, des institutions et des associations, et avec leurs recommandations convergentes.

Je souhaiterais terminer en dissipant les craintes – et aussi les arguments – de ceux qui mettent en doute la validité juridique des dispositions proposées. Tout d'abord, je vous rappelle que, dans sa décision du 8 janvier 1991 relative à la loi Évin, le Conseil constitutionnel a considéré que « la liberté d'entreprendre n'est ni générale ni absolue » et qu'« il est loisible au législateur d'y apporter des limitations exigées par l'intérêt général, à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée » – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la loi Évin peut exister.

Il convient également de rappeler que la Charte de l'environnement, qui a valeur constitutionnelle, prévoit dans son article 6 que les politiques publiques « concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ». La liberté d'entreprendre n'est donc pas au-dessus de l'exigence de préservation de l'environnement, d'autant que, dans une décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a consacré la protection de l'environnement comme objectif de valeur constitutionnelle, au même titre que la protection de la santé. Cela peut justifier des limites au principe de traitement égalitaire entre les produits. C'est d'ailleurs bien cette logique que le Gouvernement applique en interdisant la publicité pour les énergies fossiles. Quant à la ritournelle sur la liberté d'expression, celle-ci ne saurait exister sans la liberté de réception : quelle place pour le consentement de l'individu face à l'invasion de messages publicitaires ? Convenez-en, vous qui ne cessez de chanter les louanges de la responsabilité individuelle.

En conclusion, les propositions contenues dans le texte rejoignent largement les préoccupations exprimées par la Convention citoyenne pour le climat. Grâce à des interdictions proportionnées portant sur des services ou des produits nocifs ciblés, le texte ne risque pas la censure. Il ne revient qu'à nous, mes chers collègues, de nous saisir de cette opportunité pour opérer un véritable changement de paradigme.

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