Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 6 mai 2021 à 9h00
Revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Les images ont frappé, glacé : ces files de jeunes gens, des queues infinies, des centaines de mètres pour aller quérir un colis alimentaire le soir, dans la rue ou dans un gymnase, à l'occasion d'une distribution caritative. Qui n'est pas stupéfié par cette vision ? Qui ne retrouve pas, comme en écho visuel, le souvenir de ces clichés en noir et blanc des soupes populaires aux États-Unis aperçus dans les manuels d'histoire, au chapitre de la grande dépression ? Mais il ne s'agit pas là des années trente, ni de la lointaine Amérique, il s'agit de notre pays, aujourd'hui, au XXIe siècle, et c'est l'avenir de notre nation qui est réduit à la mendicité.

Comment y répond-on ? L'État se met à la bienfaisance avec des aumônes : 150 euros en juin, 200 euros en octobre. Et partout pour les jeunes, ce sont des appels à dons, des cagnottes sur Leetchi, des collectes dans les supermarchés, des caddies remplis de raviolis, de conserves, de sachets de purée. Chacun y va de sa bonne action. Moi-même j'y participe à Amiens, avec le restaurateur Thierry Martin et ses copains qui préparent des repas quotidiens, avec ma permanence de député, submergée, de la cave à l'entrée jusqu'au canapé, par les cartons de tampons hygiéniques, gels douche, tubes de dentifrice. C'est formidable, non, cette générosité ? Eh bien non, c'est lamentable, cette générosité ! Car à qui accorde-t-on notre charité ? Ce n'est plus à des continents lointains après une famine, un tremblement de terre, un tsunami, ce n'est même plus aux pauvres de chez nous, aux découragés, aux relégués de l'emploi. Non, c'est à nos étudiants, à nos jeunes. Et il faudrait s'applaudir, applaudir ce scandale !

Ce rapport, bien sûr, je l'ai mené en rapporteur reporter, d'un foyer de jeunes travailleurs à une résidence universitaire, d'une maison familiale rurale à une mission locale, des sortants de l'aide sociale à l'enfance (ASE) au mouvement des jeunes chrétiens, avec partout des témoignages sur la peur : « la peur de ne pas y arriver, ne pas payer son loyer », « la peur de ne plus avoir », « la peur de ne pas manger », « la peur de l'été qui arrive, de la bourse qui ne sera plus versée ». Avec des témoignages sur la faim : « Je ne mange qu'un repas par jour, soit le matin soit le soir, je suis allé deux fois aux Restos du cœur, mais comme il y avait une queue monstre là-bas, je suis parti ». Avec des témoignages de découragement surtout : « La seule solution, c'est de faire des gosses. Ma sœur, elle a 19 ans, elle vient de faire un gosse. Je lui ai dit : C'est bon, maintenant, tu auras droit aux allocs. » Avec des témoignages sur un rétrécissement, sur des existences qui se rétractent, recroquevillées sur la pauvreté : « Je ne suis jamais parti en vacances de ma vie. C'est un exemple bête, mais je ne connais rien à part mon quartier, rien du tout. Ma vie, c'est quoi ? Je me réveille le matin, je sors, je passe la journée dehors, je rentre, j'avance pas et ça, c'est triste. »

J'ai des kilomètres de témoignages mais, à la place, je vous propose un symbole, juste un : cette petite boîte.

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