Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du jeudi 15 avril 2021 à 9h00
Sécurité globale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Le groupe Libertés et territoires est très attaché tout à la fois à l'efficience des dispositifs protégeant les Françaises et les Français, et à la défense des libertés fondamentales – le respect effectif et concret de cet équilibre est fondamental. Aussi avons-nous une approche différenciée du texte selon les dispositifs et la nature de l'encadrement proposé.

Nous soutenons les dispositions relatives à la police municipale, étendues aux gardes champêtres, car elles permettront aux responsables de terrain et aux maires de décliner les réponses les plus adaptées à leurs territoires, et les mieux proportionnées. En particulier, l'expérimentation qui élargit les compétences de la police municipale permettra de lutter plus efficacement contre les incivilités du quotidien. Pour ces mêmes raisons, nous sommes favorables aux modifications apportées par le Sénat : la participation de la police municipale à la sécurisation des manifestations sportives, récréatives et culturelles, sans critère de seuil, ainsi que la possibilité généralisée de mutualiser les policiers municipaux à l'échelon intercommunal, sont des dispositions bienvenues.

La proposition de loi constitue également un progrès s'agissant de la sécurité privée, car elle améliore l'encadrement de la profession d'agent de sécurité privée, et renforce les sanctions en cas de manquement. Il faut toutefois s'assurer que l'objectif initial ne sera pas détourné, afin d'éviter un recours accru à la sous-traitance, alors que les agents de sécurité privée ne répondent absolument pas aux mêmes contraintes légales et de formation que les forces de l'ordre publiques.

Si la vidéosurveillance est, en soi, un dispositif utile, son manque d'encadrement reste problématique. Le Sénat a certes introduit de meilleures garanties en la matière, mais elles nous paraissent insuffisantes à maints égards. La version finale du texte interdit l'analyse des images des drones par des dispositifs automatisés de reconnaissance faciale ; nous ne pouvons que nous féliciter de cet ajout par le Sénat, puisque notre groupe avait soulevé cette question et déposé un amendement demandant cette interdiction. Qu'en est-il, toutefois, des autres types de caméras, qui ne sont pas expressément visées par l'interdiction ?

Nous saluons l'instauration d'une autorisation préalable à l'usage de drones, délivrée par le magistrat ou le préfet, et nous nous réjouissons que cet usage soit limité aux infractions les plus graves. Comment expliquer, néanmoins, qu'une expérimentation étende l'utilisation des drones aux polices municipales, alors que, par définition, elles ne traitent pas les infractions les plus graves ? Les drones pourront toujours surveiller les manifestations sur la voie publique, et transmettre les images en temps réel au poste de commandement. En première lecture, Mme la rapporteure avait rappelé l'interdiction de filmer les intérieurs des habitations, entre autres exemples, tout en reconnaissant qu'il serait matériellement impossible de protéger les espaces privés. Pour votre part, monsieur le ministre, vous avez refusé de vous engager sur l'usage de procédés technologiques d'intelligence artificielle permettant d'assurer le respect de la vie privée – s'ils existent –, et vous n'avez pas manifesté la volonté d'y consacrer les moyens appropriés. Vous nous demandez donc de voter une loi dont vous savez pertinemment qu'elle sera, pour partie, inapplicable.

L'utilité des caméras piétons est indiscutable, mais leurs images ne doivent pas être un outil de communication que les forces de l'ordre pourraient librement employer afin d'établir une vérité. Conformément à l'une de nos demandes, le Sénat a supprimé la possibilité, pour les forces de l'ordre, de diffuser directement au public les images de leurs interventions. Pourtant, vous avez tenu à maintenir l'accès direct des agents à leurs propres images. Gardez-vous de faire peser un soupçon sur leur probité – ils n'en ont vraiment pas besoin ! Nous regrettons que l'idée de créer une autorité indépendante de contrôle, sur le modèle britannique de l'Independent Office for Police Conduct, n'ait pas été retenue. Ce type d'institution permettrait à la fois de donner les moyens aux forces de l'ordre de travailler, et aux citoyens d'être rassurés sur les conditions d'emploi de ces moyens ; il contribuerait donc à établir la confiance,

Enfin, l'article 24 a été réécrit, et ne modifie plus la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Un délit de provocation à l'identification d'un policier ou d'un gendarme en opération est néanmoins prévu dans le code pénal. Nous ne voyons toujours pas en quoi il améliorera le droit existant, notamment au regard de l'article 433-3 du code pénal, qui couvre déjà les menaces à l'égard des dépositaires de l'ordre public, et les punit de peines similaires. Par ailleurs, l'article 24 fait toujours référence à l'atteinte à l'intégrité physique ou psychique, alors que cette dernière notion est particulièrement floue. En outre, le critère d'intentionnalité est imprécis, ce qui ouvre la porte à l'arbitraire. Cet article 24, qui entrera en concurrence avec l'article 18 du projet de loi confortant le respect des principes de la République, aurait tout bonnement dû être supprimé – et vous le savez.

En définitive, des précisions bienvenues ont été apportées par le Sénat qui s'est montré, encore une fois, plus vigilant que la majorité de l'Assemblée sur les questions de droit, et par conséquent sur l'opérationnalité des dispositifs. Cependant, certaines dispositions de la proposition de loi constituent des atteintes disproportionnées aux libertés fondamentales – l'absence d'encadrement de la vidéosurveillance, en particulier. Aussi, et bien qu'il soutienne certains de ses articles, notre groupe votera de nouveau, majoritairement, contre ce texte qui, dans les faits, ne correspond pas à son nouveau titre.

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