Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 13 juillet 2021 à 15h00
Prévention d'actes de terrorisme et renseignement — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

…parce qu'il n'y a pas de parlementaires insoumis dans la DPR, bien que nous en ayons fait systématiquement la demande. Nous avons même demandé, par voie d'amendements, une modification de la composition de la DPR. Autant dire que je goûte assez peu les beaux discours sur la nécessité de se rassembler tous dans cette lutte. Tous ensemble mais pas tout le monde quand même : il y a ceux qui ont accès aux informations et les autres.

Ceux qui n'y ont pas accès, tout parlementaires qu'ils soient, sont priés de vous croire sur parole : tout cela est absolument génial, les mesures sont indispensables et il convient de les prolonger. Permettez-moi d'en douter. J'en doute d'autant plus après la lecture d'un article du journal Le Monde faisant état d'un rapport confidentiel du Gouvernement remis aux membres de la DPR sur la surveillance numérique. Il y était indiqué que l'utilisation des algorithmes, les boîtes noires, n'avait permis d'atteindre aucun objectif opérationnel. Je l'ai déjà dit et je le redirai autant de fois que nécessaire. Peut-être Le Monde est-il mal informé ? Je ne le crois pas. Personne n'a eu ce rapport, à part les parlementaires de la DPR et, visiblement, certains journalistes du Monde.

D'abord, on nous fait adopter des dispositions sans nous donner accès à des documents indiquant qu'elles sont sans effet opérationnel. Ensuite, on revient nous voir en nous expliquant qu'il faut aller plus loin dans la surveillance pour qu'elles soient efficaces et qu'elles débouchent – peut-être – sur des objectifs opérationnels.

En première lecture, nous avons déjà discuté de ces nouveaux moyens algorithmiques, de l'extension du champ des données recueillies aux URL, c'est-à-dire aux sites internet consultés par un utilisateur. Je vous ai moi-même interrogé sur les réseaux privés virtuels (VPN) permettant de contourner facilement vos futurs algorithmes, dont l'utilisation me semble alors un peu disproportionnée. Nous avons aussi évoqué les portes dérobées chez les fournisseurs d'accès à internet ou chez les fournisseurs de messagerie cryptée.

Vous nous avez répondu que tout cela était confidentiel, que l'Assemblée nationale n'avait pas à être informée de ce que les terroristes faisaient ou pourraient faire à l'avenir. La réponse est un peu limitée. Puisque les mécanismes de surveillance peuvent aussi capter les données de n'importe quel citoyen, j'aimerais connaître le périmètre et les capacités de ces algorithmes. Ça m'intéresse et ça devrait intéresser tous les parlementaires. C'est compliqué de voter sur un texte dont on ne connaît pas l'utilisation, qui permet tous les fantasmes possibles et imaginables, et qui n'apporte pas les garanties que l'on peut attendre dans un État de droit et une démocratie accomplie.

Revenons un instant sur ce qui anime nos ennemis ou au moins une partie d'entre eux, les djihadistes salafistes qui veulent s'en prendre à la République française et à certains autres pays et régimes politiques à travers le monde. Ils mènent une bataille politique contre la République qu'ils exècrent. Ils veulent que nous renoncions à ce qui fait d'elle ce qu'elle est : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et nos libertés fondamentales – celles d'aller et venir, d'avoir une vie privée, de s'habiller comme on veut.

Ce n'est donc pas le moment de restreindre toutes ces libertés pour leur faire face, ni même d'y mettre de petits coups de canif, fût-ce au nom de la proportionnalité, en promettant que cela ne concernera que des terroristes islamistes. D'ailleurs, j'espère que nous ne pourchassons pas seulement les terroristes islamistes, à un moment où l'extrême droite manifeste une volonté de s'armer et de passer à l'action. Il serait de bon aloi de surveiller ses membres de très près, de les intercepter et de les arrêter si nécessaire. Quelques affaires récentes ont montré que, fort heureusement, les services de renseignement sont vigilants à leur égard.

Au lieu de chercher à contourner ses principes, nous devrions donc plutôt nous interroger sur la manière de renforcer la République. Osons un parallèle en matière de préservation des libertés. Sur les bancs du Gouvernement, on nous a promis que le passe sanitaire, qui est tout de même un peu intrusif, ne serait jamais réclamé pour entrer dans un restaurant ou une salle de cinéma. Que se passe-t-il deux mois plus tard ? Tout le contraire.

Vous nourrissez cet effet cliquet, cette surenchère permanente de mesures. Vous concédez une intervention du juge des libertés et de la détention par-ci, éventuellement un contrôle a posteriori du juge administratif par-là. Chaque fois, nous repoussons les limites de ce que nous acceptons comme entorse à nos grands principes républicains.

Voilà pourquoi nous continuerons à défendre des motions de rejet sur ces textes que nous rejetons en bloc. Notre rejet des MICAS ne signifie pas que nous sommes contre toute mesure, que nous voulons être désarmés. Nous faisons confiance au système judiciaire, nous le pensons capable de réagir quand il existe des éléments probants – et pas seulement des notes blanches – permettant de suspecter une personne. À cet égard, il serait peut-être temps d'envisager une déconcentration du Parquet national antiterroriste, afin de responsabiliser tous les parquets. La centralisation à Paris atteint assez rapidement ses limites.

Avant d'atteindre le terme du temps qui m'est imparti, je voudrais parler des mesures de sûreté pour les sortants de prison. Il me semble plus que déplacé de revenir à la charge après chaque censure du Conseil constitutionnel, en essayant de repousser quand même les limites de l'acceptable. En outre, ces mesures sont un aveu d'échec : le système pénitentiaire ne parvient pas à préparer efficacement la sortie de prison et nos services de renseignement ne peuvent assurer une surveillance discrète des personnes qui sont toujours dangereuses lors de leur sortie.

Avec ce texte, vous êtes dans l'affichage politique, vous voulez montrer à nos concitoyens que vous surveillez et traquez. Or le renseignement a une caractéristique : quand il est bien fait, on ne le voit pas. Être imperceptible, voilà ce qui fait sa force et ce qui doit continuer à la faire.

Pour toutes ces raisons, chers collègues, nous vous demandons de rejeter ce texte qui n'est ni proportionné ni nécessaire aux objectifs poursuivis.

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