Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du mardi 13 juillet 2021 à 15h00
Lutte contre les inégalités mondiales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Enfin, je dis bien enfin, nous arrivons au terme d'un processus législatif qui aurait dû être entamé dès 2018… C'est peu dire que ce texte était très attendu puisqu'il devait résoudre les contradictions de notre aide publique au développement en l'adossant à des principes forts et à une progression chiffrée. On aurait pu croire que le retard pris allait permettre au moins de prendre en considération la nouvelle donne planétaire créée par la pandémie du covid-19. Il n'en est rien et les bras nous en tombent.

Vous connaissez, chers collègues, mes critiques à l'encontre de ce projet de loi que je considère insuffisant au regard de la marche que nous devons gravir et que la crise actuelle a rendu encore plus haute. Malgré les minces progrès des arbitrages rendus par la commission mixte paritaire, l'ensemble du texte reste à mon sens trop timide. Si un échéancier couvre certes la période 2022-2025, les engagements financiers manquent de fermeté et ne portent avec certitude que jusqu'à l'année prochaine, ce qui est tout de même particulièrement dommageable pour une loi que l'on dit de programmation… Je regrette aussi que la trajectoire vers le 0,7 % du revenu national brut reste soumise à une clause de revoyure alors que nous aurions pu émettre un signal fort en inscrivant dans le marbre une exigence sur laquelle, je le rappelle, la France s'est engagée à la tribune de l'ONU en… 1970 ! Aucune remise en question non plus de certains mécanismes pernicieux qui érodent la qualité et les conditions de délivrance de notre aide publique au développement : je pense notamment au fameux contrat de désendettement et de développement.

Je voudrais revenir aussi sur certaines hypocrisies de notre politique en matière de développement et de solidarité. Ainsi, le texte se donne pour objectif « l'éradication de la pauvreté dans toutes ses dimensions, la lutte contre l'insécurité alimentaire et la malnutrition, la protection de la planète, la promotion des droits humains » alors que, trop souvent dans cet hémicycle, ce que nous écrivons d'une main, nous le raturons de l'autre. Je regrette, ce qu'a fort justement souligné notre brillant collègue Jean-Paul Lecoq en première lecture, que ce texte de loi prolonge le récit néolibéral d'une croissance fondée sur le productivisme et sur les industries extractives. Alors que la crise climatique nous contraint à revoir de fond en comble notre modèle de développement, que les catastrophes se suivent et que leur rythme s'accélère, il est incompréhensible que ce texte, qui va constituer le fil rouge de notre solidarité internationale, fasse de la richesse et de ses indicateurs un de ses angles morts. J'aurais souhaité, par exemple, qu'il s'émancipe du produit intérieur brut au profit d'autres mesures telles que l'indice de développement humain. Ce n'est pas un point mineur car on ne peut pas faire l'économie d'une réflexion élargie sur le modèle de développement que nous voulons construire et encourager à travers le monde.

De même, il est incohérent de se prévaloir dans ce texte du droit international et du droit humanitaire au vu de certains choix de notre diplomatie : nous n'avons pas soutenu les Kurdes, je le rappelle, nous avons abandonné les Palestiniens à leur sort en ne cessant de renvoyer dos à dos Israéliens et Palestiniens, nous continuons à vendre des armes à des États peu fréquentables, et en même temps – sans doute la magie du « en même temps » –, nous continuons à entendre de la part du Président de la République et du Gouvernement des discours et des textes relativement creux mais qui indiquent un sens, celui de la paix. Ce double discours nous est particulièrement insupportable. Il faut de la cohérence entre les objectifs affichés et la réalité de la politique menée. Même problème de cohérence en matière de choix dans la crise sanitaire puisque notre pays ne finance que 15 % de ce que l'on attend de lui dans le cadre du mécanisme international d'accès aux vaccins des pays les plus pauvres.

Mes chers collègues, sans cohérence de nos politiques, sans réelle ambition chiffrée et adossée à des principes qui irriguent l'ensemble de notre action, nous nous condamnons à faire de notre aide publique au développement un simple sparadrap. Voilà pourquoi, sur ce texte, nous nous abstiendrons.

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