Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Article 8

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

L'article 1195, qui introduit la révision pour imprévision dans le droit français des contrats, est effectivement l'une des dispositions les plus emblématiques de l'ordonnance qu'il vous est demandé de ratifier.

La France était l'un des derniers pays d'Europe à ne pas accueillir la théorie de l'imprévision. L'objectif de cette innovation est donc de permettre le rétablissement de l'économie générale du contrat voulue par les parties, qui aurait été bouleversée en cours d'exécution par des circonstances exceptionnelles. Il n'est en effet pas équitable, au nom de la force obligatoire du contrat, et en raison d'un changement de circonstances indépendant de leur volonté et qu'elles n'avaient pas prévu, de maintenir les parties dans une situation contractuelle déséquilibrée par rapport à la volonté qu'elles avaient exprimée lors de la conclusion du contrat.

Cette disposition est, comme l'a précisé M. le rapporteur, largement issue du droit administratif auquel cette ordonnance a emprunté un certain nombre de notions, notamment l'erreur de droit qui est une notion très anciennement connue en droit administratif, mais aussi en droit privé.

La possibilité de révision du contrat en cas d'imprévision est toutefois très encadrée. Elle ne constitue qu'une dérogation très exceptionnelle au principe de l'intangibilité du contrat. Tout d'abord, le changement de circonstances doit avoir été imprévisible lors de la conclusion du contrat. Ensuite, l'exécution du contrat doit devenir excessivement onéreuse, ce qui exclut l'hypothèse d'un seul surcoût. Enfin la partie lésée par le déséquilibre ne doit pas avoir accepté contractuellement d'assumer le risque d'un tel changement de circonstances. C'est donc une dérogation exceptionnelle.

Les inquiétudes nées du pouvoir ainsi conféré au juge saisi par l'une seule des parties ont sans doute motivé votre amendement. Il faut cependant, là encore, relativiser l'atteinte portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle. En effet, l'article 1195 est supplétif des volontés, c'est-à-dire que les parties sont libres d'en écarter l'application, totalement ou partiellement, et de prévoir qu'elles assumeront tous – ou certains – changements de circonstances affectant l'équilibre du contrat.

En outre, les pouvoirs du juge sont strictement encadrés par les principes de la procédure civile. Celui-ci ne pourra d'office procéder à la révision du contrat. Il sera, au surplus, lié par les demandes des parties quant à l'objet de la demande – révision ou résolution du contrat – et aux modalités de révision.

Conditionner la révision du contrat par le juge à une demande en ce sens de toutes les parties au contrat réduirait considérablement l'effectivité du texte. En effet, il est très peu probable que des parties, qui ne se sont pas entendues sur les termes de la renégociation de leur contrat, voire sur la nécessité même de renégocier, s'accordent finalement pour en confier la révision au juge. Ne resterait alors que la possibilité de résolution judiciaire du contrat tandis que sa révision aurait permis sa poursuite qui présente assurément plus d'intérêt économique.

D'ailleurs, le pouvoir de révision judiciaire accroît le rôle préventif du texte, le risque de révision du contrat, voire de son anéantissement, devant en principe inciter les parties à renégocier et donc à maintenir le contrat.

Quant au respect de l'habilitation, le Gouvernement était autorisé à consacrer la possibilité pour les parties « d'adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ». Seule une lecture littérale, qui viderait de son sens le 6° de l'article habilitant le Gouvernement, permet de conclure à un dépassement de l'habilitation. En effet, si l'usage du pluriel pour désigner les parties impliquait que la révision pour imprévision ne puisse être prononcée qu'avec l'accord de toutes les parties, le texte de l'habilitation serait dénué de tout sens et de toute utilité puisqu'en application du principe de liberté contractuelle, les parties pouvaient déjà réviser le contrat entre elles de façon amiable.

Je vous demande donc d'en revenir à la rédaction initiale de l'article 1195 et de restaurer la possibilité pour une seule partie au contrat d'en solliciter la révision par le juge. C'est pourquoi je demande le rejet de l'ensemble de ces amendements.

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