Intervention de Philippe Latombe

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Latombe :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui vise à ratifier l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Je ne reviendrai pas ici sur les raisons qui ont motivé son élaboration, ni sur les nombreuses contributions qui l'ont nourri. Je reviendrai principalement sur la ratification, d'abord sur la forme, puis sur le fond du texte qui nous est soumis.

Sur la forme, la ratification ne s'impose pas juridiquement. En effet, les dispositions de l'ordonnance intervenues dans le domaine de la loi ont intégré l'ordre juridique et s'imposent aux détenteurs du pouvoir réglementaire, avant comme après leur ratification par le Parlement. La ratification n'a juridiquement d'incidence que sur la nature du contrôle de légalité susceptible d'être exercé sur l'ordonnance : une fois ratifiée, en effet, l'ordonnance est soumise au contrôle du Conseil constitutionnel et peut être contestée au moyen d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Même lorsque le Parlement a habilité le Gouvernement à statuer par voie d'ordonnance dans une matière donnée, le Parlement conserve la possibilité de retoucher le travail des ministères lors de la phase de ratification de l'ordonnance. Cette ratification peut prendre la forme d'une confirmation pure et simple du travail ministériel ; dans ce cas, assez logiquement, le Gouvernement dépose un projet de loi de ratification comprenant un article unique se bornant à ratifier l'ordonnance. Lorsqu'il était garde des Sceaux, François Bayrou avait proposé un projet de loi allant en ce sens, s'agissant de la ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 – même si ce texte n'avait pas été préparé sous son autorité.

On se souvient de l'opposition entre le Sénat et l'Assemblée nationale quant à la procédure à employer pour mener la réforme du droit des contrats : les sénateurs ne voulaient pas que ce fût par voie d'ordonnance, et préféraient la procédure législative ordinaire. Mais l'Assemblée nationale fit prévaloir son point de vue : c'est finalement la procédure des ordonnances qui fut retenue par la loi 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures, dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Les sénateurs ont entendu donner de la voix lors de la phase de ratification. À cette fin, ils ont procédé à de nombreuses auditions de praticiens, d'associations professionnelles, d'universitaires et autres. Le résultat fut assez impressionnant : pas moins de quatorze amendements ont ainsi été déposés par le sénateur Pillet, rapporteur du texte.

La plupart des modifications proposées améliorent la qualité des dispositions du code civil. Certaines d'entre elles, plus rares, touchent en revanche à des questions de fond. Ces modifications permettent de préciser la définition du contrat d'adhésion et le champ de la sanction des clauses abusives dans ces contrats. Elles ont aussi permis d'apporter des précisions, par exemple dans l'article 1343-3 du code civil, à propos des critères autorisant le paiement en devises internationales sur le territoire français, ou en affirmant clairement que la loi nouvelle ne peut s'appliquer aux contrats conclus antérieurement.

Il est heureux que la commission des lois de notre assemblée ait limité ces modifications, car si ce projet de loi de ratification modifiait l'ordonnance de façon importante, alors l'on verrait apparaître un « nouveau nouveau droit des contrats », différent du « nouveau droit des contrats » entré en vigueur avec l'ordonnance du 10 février 2016. Le droit de l'ordonnance s'appliquerait aux contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et la date d'entrée en vigueur de la loi de ratification, le 1er mars 2018 par exemple, et un autre droit s'appliquerait à partir de cette date.

Dans ce cas, quelle insécurité juridique – alors même que la réforme du droit des contrats avait pour but de moderniser notre droit et de donner à nos partenaires économiques un cadre sécurisant pour faire affaire avec nos entreprises ! D'autant que les praticiens du droit des contrats ont déjà dû s'approprier les nouvelles règles : en changer à nouveau serait contre-productif.

Nous ne pensons donc pas qu'il soit opportun que la loi de ratification modifie l'ordonnance en profondeur – c'est pourtant ce qu'a entendu faire le Sénat – même si, sur le fond, il est vrai que certaines dispositions de l'ordonnance sont contestées, ou peuvent présenter des lacunes selon certains critiques. Certaines de ces difficultés ont été identifiées, abondamment commentées par les exégètes du droit civil, et enfin corrigées par le travail parlementaire, notamment par le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale qui a accompli un travail important et sérieux – le groupe MODEM l'en remercie vivement.

D'autres dispositions restent pourtant critiquées. Le Sénat entendait les modifier via ce projet de loi de ratification. Nous ne partageons pas la volonté des sénateurs : nous pensons qu'il faut sereinement s'en remettre aux juges pour mettre en application ce texte et l'affiner en le confrontant à la réalité des cas d'espèce, comme l'a déjà dit un autre orateur.

Aucun texte n'est parfait. Celui-ci est le fruit d'un long travail de sommités civilistes, à qui il faut rendre hommage. Il convient maintenant de le laisser vivre et créer sa propre jurisprudence.

Je rappelle que la loi du 16 février 2015 avait pour objet de moderniser, d'améliorer la lisibilité, de renforcer l'accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, et de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme.

L'efficacité est le maître mot de cet effort de définition et de simplification du vocabulaire. Cette ordonnance contribue ainsi à renforcer l'attractivité du droit français en avançant vers l'harmonisation de notre législation avec d'autres droits internationaux. Il ne s'agit pas en effet seulement de mettre en conformité notre code civil avec le droit positif, mais aussi d'améliorer la compétitivité de notre système juridique, au service de notre territoire.

Cette ordonnance améliore l'efficacité économique de notre droit civil, et s'inspire pour ce faire de la pratique qui conduit bien souvent à simplifier les textes existants. Les articles 2, 3 et 4 du titre Ier, par exemple, qui portent sur les sources des obligations, introduisent des solutions innovantes, telles que les actions interrogatoires ou la possibilité en cas d'inexécution de son cocontractant de solliciter une réduction de prix. Par ailleurs, diverses dispositions – c'était là une demande directe des acteurs concernés – précisent les rôles et les pouvoirs de chacun, en particulier du juge, à l'article 1195 du code civil, écartant ainsi les éventuels préjudices aux entreprises que les diverses interprétations possibles des dispositions de ce texte faisaient courir.

Beaucoup ont critiqué ce qu'ils regardent comme une immixtion du droit de la consommation dans le code civil, mais il semble que ce soit l'évolution normale du droit, au même titre que le droit de l'environnement s'impose de plus en plus dans nombre de domaines juridiques, ou que le droit communautaire nous impose des évolutions et s'inscrit dans notre panorama juridique moderne. En ce sens nous adhérons à la définition proposée par le rapporteur du contrat d'adhésion et à la possibilité laissée au juge de réformer un contrat pour imprévision.

Nous sommes donc favorables à ce projet de loi de ratification dans sa rédaction issue des travaux de la commission des lois, et aux amendements proposés par M. le rapporteur. Le groupe MODEM et apparentés votera ainsi unanimement ce texte.

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