Intervention de Raphaël Gauvain

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Gauvain :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est – vous l'avez souligné, madame la garde des sceaux – l'aboutissement d'un processus long de plus de dix ans, commencé en 2004 avec le bicentenaire du code civil, le couronnement d'un dialogue fructueux et d'une importante collaboration entre la doctrine, les magistrats et l'ensemble des praticiens. L'objectif de cette réforme est de moderniser notre code civil, de le simplifier, d'en améliorer la lisibilité et d'en renforcer l'accessibilité. Il s'agit également de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme. Car voici bien une contradiction française : des générations d'étudiants en droit, moi le premier, ont appris du professeur Terré que nous sommes un pays de droit écrit garantissant, par rapport aux pays de common law, l'accessibilité, la prévisibilité et donc la sécurité juridique ; pour autant, toujours selon le professeur Terré, notre principal texte, le code civil, celui qui pose les fondements du droit commun, est vieux de plus de 200 ans, avec des solutions pour l'essentiel prétoriennes. C'est ainsi que, après plus de deux siècles, il ne correspondait plus au droit en vigueur.

Je ne présenterai pas ici en détail les quelque 300 nouveaux articles du code civil. Pour l'essentiel – vous l'avez rappelé, madame la garde des sceaux – , l'ordonnance procède à une organisation chronologique du contrat, allant de la négociation à l'exécution. Le vocabulaire est simplifié. La notion de cause, sur laquelle des générations d'étudiants se sont arraché les cheveux, est enfin supprimée. Et surtout, les solutions jurisprudentielles sont désormais consacrées par le code civil. Il en est ainsi de la période précontractuelle, de la généralisation du concept de bonne foi, de l'obligation d'information, de l'enrichissement sans cause, du pacte de préférence, de la réticence dolosive ou encore de l'exception d'inexécution. Hormis la codification à droit constant des solutions jurisprudentielles, le texte comporte des innovations qui n'avaient pas jusqu'alors été retenues par les tribunaux. Le texte comporte notamment des avancées significatives pour lutter contre le déséquilibre contractuel.

À cet égard, l'ordonnance comporte deux innovations importantes : l'extension de la notion de violence économique et surtout l'introduction de la théorie de l'imprévision, laquelle permet au juge de se substituer à la volonté des parties pour rétablir l'équilibre contractuel. C'est ainsi que désormais, dans certaines circonstances strictement encadrées, le juge civil ne se contente plus de procéder à la simple interprétation du contrat ni à la simple interprétation de la volonté des parties du contrat. Sur ces deux points, le Sénat est revenu sur le texte de l'ordonnance ; notre commission des lois a au contraire souhaité conserver les grands équilibres du texte initial. Le groupe La République en marche y est favorable. Sur le fond, je rappelle une fois encore que ces innovations ont fait l'objet d'une large consultation et d'un consensus de la doctrine comme des praticiens. Il appartiendra au juge, et en tout premier lieu à la Cour de cassation, d'accompagner et d'encadrer ces évolutions.

L'enjeu est, à mon sens, avant tout, de préserver la sécurité juridique des relations contractuelles. Il faut en effet rappeler que le texte est aujourd'hui en vigueur depuis plus d'un an. Les praticiens – avocats, notaires et entreprises – ont commencé à s'imprégner du texte, à l'utiliser, sans savoir précisément quelle portée lui sera donnée par les tribunaux. Ils ont commencé à l'utiliser alors même qu'en application du principe de non-rétroactivité de la loi, rappelé dans le texte de l'ordonnance, les contrats signés avant octobre 2016 seront soumis à l'ancien droit, les contrats signés depuis, au texte de l'ordonnance, et les contrats signés demain, au nouveau texte. La meilleure des choses à faire est à l'évidence de garantir la stabilité de notre droit et donc la sécurité juridique.

Il convient ainsi pour l'essentiel d'adopter le texte de l'ordonnance et de le modifier à la marge, sans en modifier ni le sens ni l'esprit. Par la suite, le juge, et notamment la Cour de cassation, remplira son office d'interprétation. Rappelons à cet égard que la jurisprudence s'affranchit du principe de non-rétroactivité de la loi. Par essence, par nature, la jurisprudence est d'application immédiate ; elle est rétroactive. Plus généralement, nous ne devons pas, nous législateur, nous substituer au juge. Je prendrai un exemple pour illustrer mon propos. Le nouvel article 1104 du code civil étend l'exigence de bonne foi à la phase de négociation et de formation du contrat, là où le troisième alinéa de l'ancien article 1134, bien connu des praticiens, ne visait la bonne foi qu'au stade de la phase d'exécution du contrat. Rappelez-vous le texte de cet article 1134 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. [… ] Elles doivent être exécutées de bonne foi. » L'exigence de bonne foi lors des négociations précontractuelles avait déjà été consacrée en jurisprudence. Elle est désormais codifiée et déclinée dans une sous-section relative aux négociations.

La distinction proposée par l'ordonnance entre la négociation et la formation du contrat peut susciter débat, et suscitera débat. En effet, soit ces deux notions s'appliquent aux mêmes situations, auquel cas la référence à la formation du contrat de bonne foi par l'ordonnance aura été inutile – seule la bonne foi dans les négociations sera retenue – , soit au contraire la formation du contrat constitue une notion autonome dans la rencontre des volontés par rapport à la négociation stricte du contrat. Cette exigence de bonne foi lors de la formation du contrat pourra alors ouvrir la porte à une jurisprudence abondante pour apprécier a posteriori si le contrat a été conclu de bonne ou de mauvaise foi. Mais comment apprécier cette bonne foi ? Quelles sanctions lui apporter ? Ce débat sur la portée du nouvel l'article 1104 devra être tranché, mais par la jurisprudence, notamment par la Cour de cassation, non par le législateur.

Le droit n'est pas figé, c'est une matière vivante. La Cour évoluera d'ailleurs sans doute dans sa jurisprudence. Dans un premier temps, elle pourra par exemple faire preuve d'extrême prudence ; puis, à la faveur d'un arrêt de principe qu'elle publiera au bulletin, elle procédera soudainement à un revirement en faisant preuve d'audace pour accueillir le caractère autonome de la formation du contrat dans l'article 1104 du code civil. Peut-être au contraire la Cour fera-t-elle immédiatement preuve d'audace, mais que, submergée par les contentieux, elle reviendra à une jurisprudence plus sage et plus restrictive. Le droit est une matière vivante ; il ne nous appartient pas de le figer dans le marbre. Ces décisions des juges, ces revirements de la Cour de cassation feront le bonheur des commentateurs, des professeurs de droit et bien sûr des avocats.

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