Intervention de Sacha Houlié

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

qu'il a fallu travailler pour parvenir à un aussi bon résultat.

Si ce soupçon de patience a été nécessaire, c'est probablement parce que cette partie du code civil est modifiée pour la première fois depuis l'élaboration du code Napoléon, en 1804. Il a donc fallu mûrement réfléchir aux objectifs de la réforme.

Car l'objectif – vous l'avez également dit, madame la ministre – est double. Il s'agit tout d'abord de moderniser et de rendre plus lisible, plus accessible et plus prévisible le droit français des contrats et des obligations, mais sans le bouleverser, ce qui a été fait suivant un triptyque que je vais décrire dans un instant. Il s'agit également d'accroître l'attractivité de ce droit, en prenant en considération les enjeux économiques contemporains.

Le triptyque dont je viens de parler, décrypté notamment par le professeur Mazeaud, est le suivant. Premièrement, l'ordonnance consacre des solutions jurisprudentielles qui, par définition, n'étaient pas connues à l'heure où le code a été élaboré, puisque c'est la pratique qui les a créées. Deuxièmement, elle tente de trancher des difficultés d'interprétation qui demeurent malgré les travaux des juges. Troisièmement, elle introduit dans notre droit positif des novations qui s'inspirent des projets européens et internationaux ou sont le fruit du travail d'éminents juristes.

Parmi les dispositions particulièrement novatrices figurent d'abord la définition même, dans le code civil, d'un contrat d'adhésion, et la consécration de l'annulation des clauses emportant un déséquilibre significatif dans ce type de contrat. Viennent ensuite les manifestations correctives de la liberté contractuelle : l'obligation d'information, le champ volontairement élargi de la réticence dolosive, la volonté d'étendre aussi la sanction de la violence en cas d'état de dépendance, ou encore les pouvoirs attribués au juge dans la théorie de l'imprévision, laquelle n'était reconnue jusqu'alors qu'en droit administratif.

Permettez-moi, avant de vous présenter les dispositifs en détail, de vous décrire la logique qui a gouverné nos travaux.

L'ordonnance est d'inspiration technique, nul n'en doute, mais elle comporte des effets éminemment politiques. Ainsi, alors qu'il est sans cesse question de construire un nécessaire équilibre entre des intérêts contradictoires, ce texte constitue une savante alchimie entre la liberté et l'égalité. L'équilibre ainsi introduit n'en représente pas moins une rupture : rupture de la liberté contractuelle en tant que guide unique du législateur d'abord, lors de la rédaction du texte, des parties ensuite, au moment de la formation et de l'exécution du contrat, enfin et surtout du juge, lorsqu'il est amené à en connaître.

Si, en 1804, la liberté contractuelle a été à ce point promue, c'est que les rédacteurs présumaient, présupposaient, voire admettaient une égalité parfaite entre les parties. L'usage du code, l'évolution des pratiques, l'oeuvre des juges ont montré qu'il n'en était rien. De fait, si l'égalité n'existait plus, alors, pour des raisons de justice contractuelle qui ont été prises en considération dans nos travaux, il nous appartenait de la reconstruire. La définition du contrat d'adhésion que je vous propose n'a pas d'autre but que de construire des mécanismes d'égalité contractuelle – le professeur Mazeaud parle même d'un « îlot [… ] dans un océan de liberté » – ni d'autre objectif que de protéger les cocontractants les plus faibles. Tel est donc le leitmotiv du texte que je vous présente aujourd'hui.

Cette volonté est issue d'une expérience, certes maigre, de jeune avocat, qui, entendant d'éminents et renommés confrères soutenir qu'il appartenait aux juristes que nous sommes de comprendre la société pour en guérir les maux, a gardé en mémoire ce sage conseil pour conduire les travaux législatifs dont nous examinons aujourd'hui le résultat.

Venons-en au fait, et aux dispositions législatives elles-mêmes. Le projet de loi fut déposé au Sénat le 9 juin 2017, examiné par sa commission des lois, puis adopté le 17 octobre. Composé à l'origine d'un seul article, il est sorti du Sénat grossi de 14 articles supplémentaires. Les articles 2 à 9 proposent des modifications du droit des contrats, tandis que les articles 10 à 14 traitent du droit des obligations. Enfin, l'article 15, que nous avons souhaité réécrire, porte sur l'épineuse question de l'application de la loi dans le temps.

Les praticiens et les théoriciens du droit avaient déjà abondamment commenté le texte ; nous nous sommes inspirés de leurs travaux. À mon initiative ainsi qu'à celles de M. Raphaël Gauvain et de l'ensemble des membres du groupe La République en marche, et de M. Jean-Luc Warsmann pour le groupe UAI, la commission des lois s'est attachée à suivre les principes que je viens de définir.

Elle a donc rétabli ou amélioré les dispositions de l'ordonnance qui, comme l'a rappelé Mme la ministre, avaient été supprimées ou revues par le Sénat au nom d'une vision libérale, en particulier celles relatives au contrat d'adhésion, à la violence liée à l'abus de l'état de dépendance et au pouvoir de révision du juge dans le cadre de l'imprévision. La commission a ainsi simplifié les définitions du contrat de gré à gré et du contrat d'adhésion ou, en tout cas – car tous ne seront pas d'avis qu'il s'agit d'une simplification – , tenté de les préciser pour qu'elles s'adaptent au plus grand nombre possible de situations et qu'elles soient intelligibles par les parties comme par le juge.

Le contrat de gré à gré est donc défini comme celui « dont les stipulations sont négociables entre les parties », tandis que le contrat d'adhésion est défini par ses conditions générales, que nous avons souhaité rétablir pour leur donner une définition : celle d'« un ensemble de stipulations non négociable, déterminé à l'avance par l'une des parties et destinées à s'appliquer à une multitude de personnes ou de contrats » – soit trois critères objectifs.

Par cette définition, en restreignant le champ du contrat d'adhésion, nous faisons en sorte que toutes les clauses comportant un déséquilibre significatif soient susceptibles d'annulation par le juge. Nous avons ainsi créé un double entonnoir qui protège à notre sens les contractants. Au contraire du Sénat, nous avons choisi un mécanisme qui permet d'annuler toutes les clauses du contrat d'adhésion, ce qui n'était pas le cas auparavant.

La commission a par ailleurs supprimé le cas de caducité de l'offre à la suite du décès du destinataire de l'offre. Certains amendements proposeront de le rétablir ; je vous préviens dès à présent, mes chers collègues, que je m'y opposerai au nom de la cohérence de nos travaux.

Nous avons par ailleurs revu le délai de deux mois fixé par le Sénat pour répondre à l'action interrogatoire en matière soit de pacte de préférence, soit de compétence, pour lui préférer le « délai raisonnable » du texte initial, dont je demanderai le maintien.

Vous le savez, la commission a rétabli l'article 1166 du code civil prévoyant qu'en cas d'indétermination de la qualité de la prestation, il convient de l'apprécier « conformément aux attentes légitimes des parties », c'est-à-dire de prendre en considération les deux cocontractants, plutôt qu'un seul comme dans le texte sénatorial.

La commission a également clarifié les dispositions de l'article 1223 relatives à la réduction du prix, ce qui constitue une novation par rapport au texte issu de l'ordonnance comme à celui qui nous est venu du Sénat. Aux termes de cet article, la réduction unilatérale du prix par le créancier, si celui-ci n'a pas encore payé tout ou partie de la prestation, doit être proportionnelle à l'inexécution constatée. Pour appliquer ce texte, il fallait selon nous un dispositif contraignant. Voilà pourquoi nous avons prévu que le créancier notifie sa réduction du prix au débiteur, qui peut l'accepter par écrit, auquel cas la voie du juge est fermée. Il y a là une analogie avec le recours administratif préalable obligatoire : une fois encore, c'est le droit civil qui s'inspire du droit public ; c'est un motif de satisfaction pour le publiciste que je suis.

La commission a aussi précisé qu'en cas de cession de contrat ou de cession de dettes, les sûretés accordées respectivement par le cédant ou par le débiteur originaire disparaissent automatiquement.

Elle a en outre étendu à tous les contrats la possibilité d'utiliser des monnaies étrangères en tant que « monnaie de compte », dès lors que le débiteur de l'obligation conserve la faculté de se libérer en euros. Cette rédaction de l'article 1343-3 du code civil reste insatisfaisante à ce stade, et doit donc faire l'objet de travaux complémentaires du Sénat et de l'Assemblée nationale. Mais il nous appartenait de ne pas fermer définitivement la porte à cette disposition quand d'aucuns prévoyaient sa suppression pure et simple, qui nous paraissait prématurée.

Enfin, après avoir supprimé tout ou partie des modifications introduites par le Sénat – nous en avons conservé quant à la compétence – , nous avons précisé que l'entrée en vigueur de la présente loi est fixée au premier jour du troisième mois de sa publication – vous nous pardonnerez cette légère complexité – , et nous avons explicité les conditions d'application de ses dispositions aux contrats en cours. Il n'y a là rien de bien nouveau : par principe, les dispositions du code civil modifiées ne sont pas applicables aux contrats conclus avant son entrée en vigueur ; toutefois, par dérogation, les dispositions interprétatives, qui font corps avec les dispositions de l'ordonnance, s'appliquent rétroactivement.

Comme vous pouvez le constater, nous nous sommes attachés à rétablir – car c'est bien un objectif que nous partageons, madame la ministre – l'équilibre entre justice contractuelle et autonomie de la volonté, autrement dit entre égalité et liberté. Cette aspiration à un droit commun des contrats plus juste a vocation à rapprocher le droit français des autres droits étrangers. Elle s'inscrit en outre pleinement dans les projets d'harmonisation européens.

Ainsi que l'écrivait le doyen Carbonnier – avec lequel je partage des racines poitevines – , « codifier, c'est modifier ». Mais, s'agissant des modifications, il faut également savoir raison garder, afin d'atteindre notre second objectif : la lisibilité et l'attractivité de notre droit, lesquelles ont toutes deux besoin de stabilité. C'est donc à la marge qu'il nous faut modifier cet excellent texte.

Je vous invite donc à l'adopter dans la version de votre commission des lois.

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