Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du lundi 11 décembre 2017 à 16h00
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Présentation

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, vous allez aujourd'hui débattre du projet de loi de ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Cette ordonnance est essentielle car elle a permis à la France de se doter d'un droit des obligations modernisé, accessible et attractif. Elle est le fruit d'un très long processus qui a permis d'aboutir à un contenu équilibré.

Le long chemin qui a mené à l'adoption de cette réforme, dont la nécessité et l'urgence étaient admises par tous, fut loin d'être tranquille. Il n'en fut pas moins particulièrement riche de réflexions, de consultations, d'échanges nourris et de débats. Ce chemin, je veux aujourd'hui le retracer rapidement devant vous, et saisir cette occasion pour rappeler de quelle manière la méthode suivie, marquée par une transparence et une publicité exemplaire, a permis de mener à bien cette réforme.

II aura donc fallu du temps, de la compétence, de la volonté et un peu de patience pour aboutir au texte dont vous allez maintenant débattre.

Un temps long a tout d'abord été nécessaire pour formuler le constat dressé à l'occasion du bicentenaire du code civil en 2004 : il était nécessaire et urgent de réformer le droit des obligations. Ce droit, essentiel dans la vie quotidienne des citoyens et des acteurs économiques, s'était développé en dehors du code civil par le biais d'une jurisprudence extrêmement riche, mais qui n'offrait pas les mêmes garanties de lisibilité et de prévisibilité que le droit écrit. Le code civil ne reflétait en effet plus le droit positif et d'autres pays, qui s'étaient autrefois inspirés de ce code, n'avaient pas attendu pour réformer leur propre droit des obligations. Oui, notre code civil était devenu trop ancien, trop daté pour demeurer un phare de la pensée civiliste !

Il a fallu ensuite accumuler des compétences juridiques multiples pour rendre possible cette réforme, qui trouve tout d'abord sa source dans les remarquables rapports écrits sous l'égide des professeurs Catala et Terré entre 2005 et 2011. Ces projets doctrinaux s'étaient par ailleurs enrichis des apports des professionnels du droit et des acteurs économiques.

Ces travaux ont mobilisé le savoir de ceux – non seulement universitaires, représentants des professions du droit mais également juristes d'entreprises – , qui participèrent à la vaste consultation publique menée par la Chancellerie entre février et avril 2015. Cette consultation, inédite pour le ministère de la justice, lancée sur son site internet, a donné lieu à plus de 300 contributions, représentant plus de 3 200 pages, lues et analysées par la direction des affaires civiles et du sceau.

Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour remercier les membres de cette direction pour le travail considérable et fructueux qu'ils ont accompli. L'ordonnance publiée le 10 février 2016 n'est ainsi pas une oeuvre élaborée dans le secret d'un bureau ministériel. Tout au contraire, elle est le résultat d'un dialogue fructueux et d'une collaboration importante avec l'ensemble des acteurs concernés par cette réforme.

L'examen comparé de l'avant-projet d'ordonnance et de l'ordonnance qui a finalement été publiée révèle l'attention que le Gouvernement a portée aux critiques et aux propositions formulées dans le cadre de cette consultation. De nombreuses améliorations ont en effet été introduites dans le texte à sa suite : certaines d'ordre technique, d'autres en réponse à des inquiétudes légitimes, manifestées notamment par les acteurs économiques.

C'est ainsi que le champ d'application de la prohibition des clauses abusives a été restreint aux contrats d'adhésion, qu'un critère tenant à l'avantage manifestement excessif a été ajouté à la définition de l'abus de dépendance ou encore que le mécanisme de la subrogation conventionnelle a été réintroduit.

La publication de l'ordonnance sur le droit des contrats a par ailleurs été accompagnée d'un rapport de présentation au Président de la République particulièrement substantiel, de plus de 50 pages. Ce rapport constitue un remarquable outil pour éclairer sur les intentions du Gouvernement lors de l'élaboration de l'ordonnance et forme, depuis l'entrée en vigueur de ce texte, un guide précieux pour l'ensemble des praticiens.

Si du temps et des compétences auront été nécessaires, il aura aussi fallu de la volonté politique pour aboutir au texte qui vous est soumis. Cette volonté s'est exprimée en 2015, lorsque le Gouvernement a été autorisé, en particulier grâce à la confiance de votre assemblée, à mener cette réforme par ordonnance, non sans s'être auparavant assuré qu'aucun obstacle constitutionnel ne s'y opposait. Un soin tout particulier a d'ailleurs été apporté à la rédaction de l'article d'habilitation, afin que le Parlement connaisse précisément la portée et les grandes lignes de la réforme.

Enfin, un soupçon de patience aura été nécessaire. Près de douze années se sont écoulées entre le lancement des travaux à l'occasion des cérémonies du bicentenaire du code civil et la publication de l'ordonnance du 10 février 2016. Comme je viens de le rappeler, ces douze années ont été particulièrement riches de contributions académiques, de réflexions, d'échanges nourris avec les acteurs économiques et les professionnels du droit.

L'ordonnance, qui est entrée en vigueur le 1er octobre 2016, ne constitue donc pas une révolution. Elle est le fruit d'un travail incessant de collaboration avec les praticiens, qui ont tous eu, à chaque étape de l'élaboration du texte, l'oreille attentive du Gouvernement et de la Chancellerie.

C'est également un dialogue fructueux qui s'est noué depuis le début du processus de ratification, d'abord avec le Sénat, puis, avec votre commission des lois, pour corriger quelques malfaçons et améliorer certaines dispositions.

Sur certaines des modifications adoptées et approuvées par votre commission des lois, le Sénat a contribué à clarifier le texte de l'ordonnance, sans en modifier ni le sens ni l'esprit.

Sur d'autres points néanmoins, auxquels le Gouvernement s'est opposé, le Sénat a effectué des choix de fond qui remettaient en cause certains équilibres de la réforme. Votre commission des lois est revenue sur ces modifications. Je veux à cet égard rendre hommage à la volonté appuyée et affirmée du rapporteur, Sacha Houlié, de restituer à l'ordonnance son plein équilibre.

Nous nous retrouverons, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, j'en suis persuadée, autour de l'idée selon laquelle le renforcement de l'attractivité du droit ne doit pas conduire à sacrifier toute ambition humaniste. L'efficacité économique du droit des contrats n'est en effet pas inconciliable avec la protection des plus faibles. L'ordonnance visait précisément à concilier cette exigence d'attractivité économique et cet impératif de justice contractuelle, trop souvent et à tort opposés. De l'avis des praticiens et commentateurs, l'ordonnance avait atteint cet équilibre.

Le texte qui vous est aujourd'hui soumis, à la suite des amendements adoptés en commission des lois, le rétablit pleinement et je ne peux que m'en réjouir. Il est fidèle aux objectifs fixés par la loi d'habilitation : satisfaire à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, tout en rendant le droit plus efficace et plus attractif, sans sacrifier l'intérêt des parties les plus faibles. Le texte qui vous est aujourd'hui soumis s'oriente ainsi autour de deux objectifs principaux.

L'ordonnance consiste avant tout, et c'est le premier objectif, en une oeuvre de codification de la jurisprudence. Une jurisprudence, remarquable et abondante, s'était développée depuis deux siècles pour combler les silences du code civil ou adapter un texte devenu trop ancien aux exigences de notre société contemporaine et de son économie plus mondialisée. Par essence fluctuantes, et donc source d'insécurité juridique, ces solutions jurisprudentielles, largement admises, ont été inscrites dans le code civil par le texte de l'ordonnance, ce qui leur donne plus de prévisibilité et de certitude.

L'accessibilité du droit civil a également été renforcée par l'adoption d'un plan du code civil plus clair, par un vocabulaire rénové et par des formulations plus simples, le tout sans sacrifier à la tradition très française de concision du code civil, indispensable à sa pérennité. Si le style du code de 1804, admirable par son élégance et sa sobriété, fait référence, le vocabulaire d'aujourd'hui n'est pas celui du XIXe siècle et le droit des contrats ne pouvait rester totalement étranger à cette évolution.

Le second objectif du texte tend au renforcement de l'efficacité et de l'attractivité du droit français. Le droit des contrats, désormais revitalisé, contribuera à restaurer la capacité de la France à faire figure de modèle en la matière et permettra aux parties aux contrats internationaux de s'en saisir pleinement.

Dans cette perspective, au-delà de l'abandon formel de la notion de cause, incomprise de nos partenaires européens notamment, l'ordonnance consacre dans la loi certains mécanismes issus de la pratique, tels que la cession de contrat ou la cession de dette, et simplifie d'autres dispositifs afin d'en rendre l'utilisation plus aisée.

Ainsi en est-il des formalités nécessaires à l'opposabilité de la cession de créance, assouplies en réponse aux besoins nés de la pratique.

Dans le souci de limiter le contentieux, l'ordonnance développe par ailleurs les remèdes unilatéraux à la disposition du créancier dans le cas d'une obligation inexécutée, pour lui permettre de réagir rapidement en cas d'inexécution. Ces remèdes lui permettent, sans avoir à attendre l'issue d'un procès, d'éviter une perte de temps et d'argent, qui peut être préjudiciable à la poursuite de son activité économique.

Des solutions innovantes, à l'image des actions interrogatoires, sont proposées à celui qui s'apprête à conclure un contrat ou à celui qui l'a déjà conclu, pour qu'il puisse mettre fin à une situation d'incertitude juridique, telle qu'un risque de nullité, en mettant en demeure un tiers ou son cocontractant de prendre position sur cette situation dans un certain délai.

Renforcer l'attractivité de notre droit n'impliquait pas pour autant de renoncer à nos valeurs. Le texte propose à cet égard des instruments garants de la justice contractuelle, protecteurs de la partie faible, tout en étant efficaces et adaptés aux exigences de l'économie de marché. Le Sénat a choisi d'en réduire la portée. Il vous est aujourd'hui proposé de rétablir ces instruments dans leur plénitude.

Au-delà de la consécration générale du principe de bonne foi, l'ordonnance sanctionne ainsi l'exploitation abusive d'une situation de dépendance par un contractant, que le Sénat a voulu réduire à la seule situation de dépendance économique.

Cette restriction, à laquelle le Gouvernement s'était opposée, priverait notre droit d'un mécanisme permettant de sanctionner les abus commis à l'encontre d'un contractant, qui se trouve en situation de dépendance psychologique à l'égard de son cocontractant. La commission des lois a choisi de restituer à cette disposition sa pleine utilité. Le Gouvernement en est satisfait.

L'ordonnance introduit par ailleurs la sanction des clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans les contrats d'adhésion, comme cela existe déjà dans les contrats de consommation, par exemple. Ce choix n'a pas été remis en cause par le Sénat.

Un débat est cependant ouvert sur la définition du contrat d'adhésion, qui a été modifiée par le Sénat, puis par votre commission des lois. Ces modifications successives révèlent en fait la difficulté de l'exercice. La navette parlementaire permettra d'affiner la définition et de rapprocher les points de vue sur cet aspect important de l'ordonnance.

Enfin, est introduite la révision du contrat pour imprévision, qui permet l'adaptation du contrat dont l'exécution est rendue excessivement difficile pour l'une des parties par un changement de circonstances indépendant de la volonté des parties. Le Sénat a modifié le texte d'une manière qui ôte au dispositif son utilité. Votre commission des lois a restitué à la mesure sa pleine efficacité, ce qui est, du point de vue du Gouvernement, également très positif.

L'ordonnance, qui a intégré notre régime juridique depuis le 1er octobre 2016 et a nécessité un très grand effort d'adaptation de la part des praticiens, est aujourd'hui soumise à votre assemblée pour ratification. Si son entrée en vigueur est encore trop récente – puisqu'elle date d'à peine un an – pour en apprécier, en pratique, l'incidence sur le contentieux, un équilibre satisfaisant semble cependant aujourd'hui atteint entre une nécessaire modernisation et le maintien des grands principes fondateurs de notre droit des contrats. Cet équilibre a été parfaitement identifié par la commission des lois. Je vous inviterai donc à le confirmer par votre vote.

Cette ratification s'impose en raison de l'importance substantielle de l'ordonnance, qui porte sur plus de 300 articles du code civil, socle de nos échanges économiques. Elle comporte surtout un enjeu primordial du point de vue de la sécurité juridique, puisque l'ordonnance s'applique aux contrats conclus depuis maintenant plus d'un an.

Le Sénat a fait preuve de responsabilité en n'apportant au texte de l'ordonnance que de rares modifications au regard de son ampleur et en permettant, par les débats qui s'y sont déroulés, de résoudre d'éventuelles difficultés d'interprétation. Ainsi, des lignes d'interprétation claires ont pu être dégagées s'agissant de questionnements récurrents tels que le caractère impératif ou supplétif des textes de l'ordonnance ou l'articulation entre le droit commun et les droits spéciaux. Je ne doute pas que les débats qui vont maintenant s'ouvrir avec votre assemblée contribueront à confirmer ces éclairages et à résoudre les quelques difficultés d'interprétation qui subsisteraient encore.

Pour conclure, je veux témoigner ici ma confiance en votre esprit de responsabilité et de clairvoyance. Votre commission des lois, suivant M. le rapporteur, a eu à coeur de rétablir pleinement l'esprit de la réforme, tout en confirmant certaines des modifications apportées par le Sénat. Je ne peux que vous inviter à suivre ce chemin et à adopter le texte dont vous allez maintenant débattre.

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