Intervention de Thomas Mesnier

Réunion du jeudi 15 juillet 2021 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques et la proposition de loi portant diverses dispositions relatives au haut conseil des finances publiques et à l'information du parlement sur les finances publiques ainsi que la proposition de loi organique et la proposition de loi relatives aux lois de financement de la sécurité sociale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThomas Mesnier, rapporteur :

Je suis particulièrement heureux de présenter deux propositions de loi qui résultent d'un travail de plusieurs mois et d'une réflexion collective de plusieurs années au sein de nombreuses instances de la protection sociale.

La loi organique que je présente constitue le troisième temps de la jeune histoire des lois de financement.

Celles-ci sont d'abord les enfants de la crise des finances publiques de la première moitié des années 1990 : la conjugaison d'une politique résolue d'abaissement des cotisations sociales sur l'emploi et d'une certaine anarchie dans la couverture des dépenses de santé a montré combien le Parlement devait se saisir des finances sociales. Alors qu'il était naturellement le récipiendaire chaque année, depuis 1959, des projets de loi de finances, près de 2 000 milliards de francs de dépenses échappaient annuellement à son contrôle, donc, au consentement des Français.

La loi constitutionnelle de 1996 a mis un terme à cette vision hémiplégique du Parlement en créant les lois de financement de la sécurité sociale sous la forme quelque peu austère d'une approbation des comptes de la sécurité sociale et d'un domaine facultatif réduit à sa portion congrue.

Dix ans de pratique ont conduit le législateur organique à remettre son ouvrage sur le métier pour densifier la jeune loi de financement. C'est à la révision de 2005 que nous devons les principaux traits que nous lui connaissons, que ce soit son découpage en quatre parties chronologiques et thématiques, son domaine facultatif largement étendu aux établissements publics financés ou finançant les régimes obligatoires de base, ou encore son monopole sur les mesures permettant de déroger aux règles de compensation des exonérations de contributions et de cotisations sociales.

Les annexes aux PLFSS que nous connaissons ont été peu à peu étoffées au cours des révisions que j'ai mentionnées, mais aussi, plus près de nous, par la loi relative à la dette sociale et à l'autonomie. Nous avons alors créé une nouvelle annexe relative à l'effort national en faveur du soutien à l'autonomie – preuve, s'il le fallait, que les lois de financement sont un objet plastique et vivant, adapté aux évolutions de notre protection sociale.

Seize ans après la dernière grande rénovation, l'heure est toutefois venue d'un troisième âge des lois de financement : celui de la maturité. C'est ce que soulignent les nombreux travaux récents de la Cour des comptes, en 2020, comme du Haut Conseil au financement de la protection sociale, présidé par l'estimé Dominique Libault, en 2019.

Notre expérience de législateurs, de membres de la commission des affaires sociales et, pour ma part, de rapporteur général, permet de souligner les forces de cet exercice annuel mais aussi d'en reconnaître les limites.

Concernant les forces, tout d'abord.

L'évolution parallèle du cadre organique des lois de finances et des lois de financement illustre à quel point la nécessité de deux textes financiers est désormais acquise tant dans nos usages que dans la lettre constitutionnelle. La loi de financement adhère aux spécificités de la protection sociale comme aucun autre texte.

En premier lieu, elle donne la parole aux partenaires sociaux, saisis aujourd'hui sur le projet de loi par le biais des caisses de sécurité sociale. Si certains ont parfois la nostalgie d'un « âge d'or » du paritarisme – souvent rêvé –, j'insisterai au contraire sur la spécificité de cette association, qui pourrait même être approfondie.

En deuxième lieu, la loi de financement conserve un caractère évaluatif qui se traduit par la fixation d'objectifs de dépenses plutôt que de plafonds limitatifs ; c'est là la traduction d'un principe d'égalité d'accès aux droits sociaux qu'aucun plafonnement ne saurait juridiquement entraver.

En troisième et dernier lieu, elle fait état de recettes qui lui sont propres et qui sont clairement affectées à des dépenses, ce qui participe je crois au consentement au prélèvement social.

L'assainissement des relations financières entre l'État et la sécurité sociale a permis de limiter les recettes partagées mais les lois de financement demeurent le lieu naturel de discussion de l'évolution des cotisations et contributions de sécurité sociale, qui représentent encore plus de la moitié des ressources des régimes de base de la sécurité sociale.

J'identifie trois faiblesses principales.

La première relève du périmètre de ces lois, de l'espace de discussion qui nous est laissé chaque automne. Nous discuterons de l'extension du champ à l'assurance chômage et aux retraites complémentaires mais je souhaite que, d'ici à la séance publique, nous parvenions à consolider une proposition permettant de donner une information exhaustive au Parlement.

Dans la lignée de la révision de 2005 et de l'extension du domaine facultatif, j'estime que les dettes des établissements publics de santé et médico-sociaux ont toute leur place en loi de financement en raison de leurs liens évidents avec la protection sociale et de leurs relations étroites avec l'assurance maladie, premier financeur de ces établissements. Je note que ces derniers font déjà partie des administrations de sécurité sociale au sens de la comptabilité nationale.

La seconde, c'est le temps, celui qui nous est donné pour légiférer et contrôler l'exécution de ce que nous votons. En 2019 et en 2020, nous avons disposé de deux jours, en commission des affaires sociales, entre la date du dépôt du projet de loi et l'expiration du délai de dépôt des amendements. Ces conditions sont de plus en plus inacceptables compte tenu de l'ampleur croissante des textes dont nous discutons. Je vous propose donc d'anticiper ce dépôt pour qu'il rejoigne celui des projets de loi de finances. Cette semaine supplémentaire, qui devrait nous permettre d'exercer notre droit d'amendement dans des conditions compatibles avec son emploi intelligent, a évidemment des conséquences, notamment pour les caisses de sécurité sociale saisies de l'avant-projet de loi. La modification du calendrier est l'occasion de permettre aux partenaires sociaux d'approfondir les avis qu'ils rendront puisqu'ils disposeront désormais de quinze jours pour les remettre au Parlement plutôt qu'au Gouvernement. Cette respiration démocratique permettra de bâtir des ponts entre démocratie représentative et démocratie sociale. J'espère trouver sur tous les sujets, et en particulier sur celui-ci, un soutien très large de tous les parlementaires, notamment de ceux qui mesurent les conditions dans lesquelles nous examinons ce type de texte aujourd'hui.

Le temps du législateur, c'est aussi celui du contrôle de l'exécution. Sous l'égide notamment de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (MECSS), nous avons développé depuis deux ans le Printemps social de l'évaluation sur le modèle de celui qui a été proposé en commission des finances. Pour parfaire le cycle budgétaire social, je vous propose donc la création d'une loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale, qui sera discutée au mois de juin et constituera un aboutissement législatif de ce processus de contrôle. Elle reprendra les traits de la première partie actuelle des lois de financement, qui souffre d'une méconnaissance certaine et d'un vote souvent trop rapide ; elle sera également accompagnée d'annexes aujourd'hui jointes aux PLFSS mais difficiles à consulter dans les délais aussi contraints que ceux que nous connaissons.

La troisième faiblesse, enfin, est celle du sens. Les lois de financement ont gagné en diversité à mesure que le domaine partagé s'étendait, ce à quoi je souscris. De nombreuses mesures emblématiques de l'action de cette majorité, qu'il s'agisse de l'allégement des charges sur les bas salaires, du congé paternité ou de la vaccination obligatoire pour les enfants, ont ainsi été inscrites en lois de financement. Celles-ci constituent toutefois aussi un « rendez-vous » annuel des finances sociales et doivent permettre au législateur de jouer son rôle de vigie.

C'est pourquoi, en premier lieu, je souhaite que seules les lois de financement puissent pérenniser des exonérations de cotisations sociales créées dans d'autres véhicules législatifs. Il sera bien sûr toujours loisible de créer de telles exonérations dans des projets ou des propositions de loi thématiques mais il conviendra d'intervenir en loi de financement pour les confirmer. Notre rôle consiste en effet aussi à nous assurer de la pertinence de ces outils, qui deviennent parfois des solutions de facilité. C'est dans le même ordre d'idées que j'ai proposé une évaluation triennale renforcée des exonérations existantes afin que nos débats sur ces sujets puissent s'appuyer sur des données solides, actualisées et analytiques.

C'est également dans la perspective de permettre aux lois de financement de jouer pleinement leur rôle concernant les finances sociales que j'ai souhaité alléger les obligations qui pesaient sur les lois de financement rectificatives, notamment en ce qui concerne les annexes. Il est en effet anormal, pour prendre un exemple récent, que la crise de 2020 se soit traduite par l'examen de trois projets de loi de finances rectificative, dont le troisième comprenait des mesures d'exonérations massives de cotisations sociales, sans que la commission des affaires sociales ait examiné un seul texte.

Enfin, ma démarche s'inscrit volontairement dans un cadre plus large de rénovation de nos finances publiques, souci que je partage avec le rapporteur général et le président de la commission des finances. Une nouvelle articulation entre la programmation pluriannuelle des finances publiques et les lois financières, issue notamment des réflexions menées par la commission sur l'avenir des finances publiques présidée par M. Jean Arthuis, permet de passer d'une logique à courte vue à la prise en compte du long terme. Nous connaissions certes cela depuis longtemps en commission des affaires sociales puisque, depuis 2005, nous votons une annexe décrivant les comptes des régimes obligatoires de base pour les quatre années à venir. Toutefois, cette logique sera élargie et approfondie grâce au nouvel article liminaire aux lois de financement et à l'intégration dans cette annexe B d'un comparatif des écarts entre les trajectoires de dépenses fixées en loi de programmation et celles que traduiront les lois de financement de l'année.

Je rappelle, pour conclure, qu'André Fanton, rapporteur de la loi organique de 1996, avait estimé que le premier mérite de la révision constitutionnelle était d'« en finir avec le silence du Parlement ». Je formule le vœu qu'avec les propositions de loi que je soumets à votre attention, le Parlement parlera de la sécurité sociale, notre patrimoine commun, avec une voix plus forte encore !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.