Intervention de Jacqueline Gourault

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2017 à 15h00
Résidence de l'enfant en cas de séparation des parents — Présentation

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'état, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je voudrais au préalable vous prier d'excuser Mme Belloubet, garde des sceaux, qui ne peut être présente aujourd'hui au banc du Gouvernement en raison du déplacement qu'elle effectue en Nouvelle-Calédonie avec le Premier ministre en vue des échéances importantes de 2018.

Dans un avis de 2014, le Défenseur des droits indiquait, sur la question importante de la résidence des enfants, qu' « un équilibre devait être trouvé entre la non-automaticité de la résidence alternée, dans l'intérêt de l'enfant, et l'exercice effectif de l'autorité parentale conjointe. De ce point de vue, l'affirmation d'une double résidence par principe, qui ne signifie en aucun cas le principe d'une résidence alternée paritaire, peut être perçue comme une évolution positive, en permettant de considérer chaque parent comme un parent à part entière. »

Le texte qui vous est soumis entend proposer cette évolution, que l'on peut qualifier de « positive ». C'est une initiative du groupe MODEM, et plus particulièrement de M. Philippe Latombe, qui a souhaité porter cette question devant la représentation nationale. Un travail de fond a été mené par la commission des lois, comme cela vient d'être exposé. Le rapporteur Vincent Bru n'a ménagé ni son temps ni ses efforts, épaulé en cela, en particulier, par Caroline Abadie qui a présenté et fait adopter des amendements qui ont permis de clarifier la rédaction de cette proposition de loi. Je souhaite ici les en remercier.

Le Gouvernement a porté un regard attentif et ouvert sur cette démarche, en s'assurant que soient respectés quelques principes et levées d'éventuelles ambiguïtés. De fait, en ces matières sensibles, qui concernent des millions de Français, où l'intérêt des enfants est en jeu, il faut faire preuve de clarté et de précision juridique.

Le titre initial a pu laisser entendre qu'il s'agissait d'ériger en principe la garde alternée. Les travaux de la commission des lois ont démontré que ce titre ne correspondait ni au contenu de ce texte ni à l'intention de ses auteurs. En tout état de cause, le Gouvernement a été très clair avec tous ses interlocuteurs sur ce point : il ne peut s'agir ici de généraliser la garde alternée, de la rendre obligatoire ou même de l'ériger en modèle positif. En effet, ce n'est ni souhaitable ni réaliste. Ce n'est pas souhaitable, car l'intérêt de l'enfant, qui doit être notre obsession dans ces dossiers, peut très souvent conduire à écarter la solution de la garde alternée, surtout quand les enfants sont très jeunes. Ce n'est pas réaliste non plus, car, dans la majeure partie des cas, les parents eux-mêmes ne le souhaitent pas.

L'objet de la proposition de loi n'est donc pas d'instaurer la garde alternée comme principe. Elle entend simplement prévoir qu'un enfant dont les parents sont séparés aura désormais deux résidences. Cela ne veut pas dire qu'il partagera son temps à parts égales entre les domiciles de ses deux parents. Encore une fois, ce texte ne consacre pas la résidence alternée parfaitement paritaire, mais la double résidence de l'enfant dont les parents sont séparés.

Je le répète, la résidence alternée paritaire ne peut être un modèle. Dans certains cas, elle est adaptée ; dans d'autres, elle ne l'est pas, notamment quand l'éloignement géographique est très important ou quand il existe un contexte de violences au sein de la famille. Or il s'agit avant tout de respecter l'intérêt de l'enfant. C'est la priorité absolue réaffirmée avec force par le Gouvernement.

Le texte issu de la commission des lois n'impose donc, à juste titre, aucun modèle, puisque chaque situation familiale est différente. Il laisse le choix aux parents, qui peuvent définir par eux-mêmes l'organisation la plus adaptée à leur enfant. En cas d'accord, s'ils veulent que cet accord ait la même force qu'une décision de justice, ils se soumettront au contrôle du juge auquel ils demanderont d'homologuer leur convention. Et ce contrôle judiciaire, encore, garantira que l'intérêt de l'enfant est préservé, comme cela est déjà prévu à l'article 373-2-8 du code civil. Ainsi, le juge homologue la convention, sauf s'il constate qu'elle ne préserve pas suffisamment l'intérêt de l'enfant ou que le consentement des parents n'a pas été donné librement.

De même, ce texte ne porte aucune atteinte à l'office actuel du juge en cas de désaccord entre les parents. Pour fixer les modalités concrètes d'organisation du temps de présence de l'enfant auprès de chacun de ses parents, le juge déterminera la fréquence et la durée du temps passé chez chacun des parents, en considération de l'intérêt de l'enfant, eu égard, comme aujourd'hui, aux informations dont il disposera sur la capacité de chaque parent à prendre en charge l'enfant sur le plan matériel et éducatif, et à respecter les droits de l'autre parent.

L'intérêt du texte est alors essentiellement symbolique, mais, en la matière, les symboles ne sont pas négligeables. Il tient dans une formule : L'enfant a deux parents avant la séparation ; il a deux parents après cette séparation. Le texte qui vous est aujourd'hui soumis est donc un texte d'équilibre et d'égalité, qui rappelle simplement ce principe.

Il est proposé ainsi de supprimer toute référence à une « résidence principale » de l'enfant chez l'un des parents avec un « droit de visite et d'hébergement » chez l'autre. Ces termes sont fortement critiqués. Il importe d'éviter qu'un parent, au détour de l'organisation de la vie de l'enfant déterminée par le juge, soit perçu comme gagnant ou perdant.

L'enfant aura donc une double résidence, fixée au domicile de chacun de ses parents, afin de traduire l'égalité entre eux. L'alternance des temps de résidence, et non le partage paritaire, sera le principe. Le parent disposant de moins de temps avec son enfant ne verra pas son rapport à son enfant réduit à un « hébergement » ou à une « visite », comme c'est le cas aujourd'hui.

Concrètement, l'enfant aura, par exemple, deux adresses inscrites sur ses pièces d'identité.

Ce principe de double résidence sera écarté en cas de circonstances exceptionnelles, comme des violences, des problèmes psychiatriques ou tout autre élément de nature à empêcher que l'enfant soit confié plus de quelques heures en journée à l'un de ses parents. Les violences constituent un point d'attention auquel le Gouvernement est spécialement sensible. Il ne saurait être question de revenir en la matière sur des acquis juridiques, qui protègent les femmes qui ont subi des violences de la part de leur conjoint et qui peuvent encore, après la séparation, faire l'objet de pressions inacceptables.

Dans un tel cas, par exception au principe affirmé par le texte dans son premier alinéa, le juge fixera la résidence de l'enfant au domicile de l'un de ses parents. Dans cette seule hypothèse, il fixera le « droit de visite », sans hébergement donc, de l'autre parent.

Ce droit de visite pourra être exercé au domicile du parent qui en bénéficie, si la situation le permet, ou, si nécessaire, notamment s'il y a un risque pour la sécurité de l'enfant, dans un espace de rencontre.

Le Gouvernement était à ce titre particulièrement attentif à ce que les dispositions relatives à ce que l'on appelle communément « le passage de bras » ne soient pas supprimées par cette proposition de loi. En effet, ces mesures d'accompagnement protégé, déjà prévues par le code civil, assurent un dispositif sécurisant pour tous.

Le Gouvernement a également été attentif à ce qu'il ne soit pas opéré de distinction entre les couples mariés et les couples non mariés. L'article 1er de la proposition de loi modifie un article du code civil, qui traite de façon indifférenciée de l'intervention du juge aux affaires familiales en matière d'autorité parentale, indépendamment du statut matrimonial des parents.

Ainsi, comme aujourd'hui, l'intérêt de l'enfant demeurera donc le seul critère de fixation des modalités de la responsabilité parentale.

Des points demeurent à parfaire. Le Gouvernement proposera des coordinations dans le code de la Sécurité sociale s'agissant de la désignation de l'allocataire pour l'attribution des allocations familiales, afin de neutraliser les effets de l'instauration de cette double résidence.

Un travail doit encore être mené avec la direction générale des finances publiques pour faire de même sur le plan fiscal, s'agissant de la détermination du quotient familial applicable au foyer fiscal. Une première approche est proposée par des amendements, mais il faut, de ce point de vue, creuser un peu plus encore pour éviter tout « effet de bord » et, là encore, proposer toute coordination pour sécuriser et neutraliser le dispositif. Le Gouvernement y veillera, mais cela suppose encore d'affiner les dispositifs juridiques de coordination nécessaires.

Le débat va donc se poursuivre, mais je considère d'ores et déjà que cette proposition de loi accompagne les évolutions de la société, sans bouleverser l'économie générale du droit de la famille. Je sais cette considération partagée par la ministre de la justice, qui n'a pu être présente aujourd'hui, mais dont l'action est guidée par le souci constant d'une législation permettant aux parents d'appréhender pleinement la portée de leurs droits et devoirs, a fortiori en cas de séparation du couple, auquel cas l'intérêt de l'enfant doit être tout particulièrement préservé.

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