Intervention de Jacqueline Gourault

Séance en hémicycle du jeudi 30 novembre 2017 à 9h30
Compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations — Présentation

Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d'état, ministre de l'intérieur :

Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, madame la rapporteure de la commission des lois, la proposition de loi dont nous discutons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité d'un travail législatif qui a considérablement occupé le Parlement ces dernières années : celui de la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités.

Ce chantier a, pour ainsi dire, occupé le Parlement de manière quasi continue pendant la précédente législature. Il a accompagné les mutations très profondes de l'organisation, des ressources et des missions des collectivités locales : mutations institutionnelles, évidemment, chacun le sait, avec la création des grandes régions, la naissance de métropoles, l'émergence de communes nouvelles, l'affirmation de collectivités à statut particulier telles que la métropole de Lyon, la Ville de Paris ou la collectivité de Corse et, bien sûr, la rationalisation de la carte intercommunale mais, également, mutations des compétences exercées par les différents niveaux de collectivités.

La simplification de la répartition des compétences est allée de pair avec la révision de nos architectures institutionnelles. Pas un territoire n'a été exempt de ces évolutions. Tous ont été et sont encore concernés par cette question de la distribution des compétences entre les différents niveaux de collectivités.

La présente proposition de loi concerne l'une de ces évolutions, qui a conduit à attribuer au bloc communal une nouvelle compétence : celle de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations.

La logique de la GEMAPI est forte et solidaire mais sa mise en oeuvre a rencontré quelques difficultés, d'où votre réflexion parlementaire. La création de la compétence GEMAPI par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles du 27 janvier 2014 – dite loi MAPTAM – dévolue par cette même loi aux intercommunalités à fiscalité propre à compter du 1er janvier 2018 était une réponse à un constat simple.

La gestion des cours d'eaux et celle du risque d'inondations sont intimement liées. Si l'on ne gère pas les zones d'extension naturelle des crues, qu'on laisse la végétation porter atteinte aux ouvrages de protection contre les inondations et les dégrader, que l'on ne traite pas les embâcles et débris, les risques de crues et l'intensité de leurs effets sont évidemment accrus.

Par ailleurs, comme chacun sait, les cours d'eaux, comme les crues, s'ordonnancent et se développent à une échelle qui leur est propre, celle des bassins versants. Telle est la raison pour laquelle le législateur a souhaité réunir dans une même compétence ces deux aspects.

En outre, comme je l'ai dit, les risques d'inondation ne connaissent pas de frontières, pas plus que les effets d'une dégradation des milieux aquatiques : ils ont un impact sur tous les territoires riverains des fleuves et cours d'eau, ceux situés en aval étant souvent plus exposés que ceux à l'amont.

Les activités humaines, qui sont de plus en plus organisées à des échelles de coopération larges – celles des schémas de cohérence territoriale, des plans locaux ou intercommunaux d'urbanisme – , sont à la fois celles qui tirent, souvent depuis longtemps, le meilleur parti des cours d'eaux mais, aussi, celles qui sont malheureusement trop souvent le plus concernées par les risques d'inondation.

Voilà pourquoi cette compétence doit revenir aux collectivités qui, plus que l'État, sont les personnes publiques dont le rôle est d'organiser la distribution des activités humaines et économiques sur le territoire pour favoriser leur développement.

C'est aussi pour cette raison que le législateur – je rappelle que c'est par voie d'amendements que la GEMAPI a été introduite dans la loi MAPTAM – a choisi d'organiser la solidarité territoriale en ces domaines et de confier à la maille intercommunale le soin d'exercer cette compétence – car il est évidemment question, en matière de GEMAPI, de solidarité entre les territoires.

La logique de la GEMAPI est donc une logique forte, une logique de solidarité. Mais sa mise en oeuvre s'est heurtée à quelques difficultés. Nos fleuves, rivières et ruisseaux ne sont pas toujours tous entretenus comme il le faudrait. Là où les riverains n'assurent pas toujours les obligations qui sont les leurs, là où les communes étaient trop faibles, ou trop fragiles pour prendre soin des cours d'eaux, il a pu être possible, il est encore possible, que tout soit à inventer. Surtout, la gestion des digues est assurément une compétence dispersée et pas toujours bien exercée. Ici, des digues appartiennent à des associations de propriétaires qui n'assurent pas bien leurs obligations d'entretien. Ailleurs, la propriété d'ouvrages anciens n'est pas bien définie et on ne sait pas très bien à qui ceux-ci appartiennent. Là-bas, les collectivités n'ont pas su s'entendre et s'organiser pour mettre en place un système d'endiguement approprié. En d'autres endroits, l'État n'a pas toujours été un propriétaire prévoyant et diligent.

Enfin, concentré qu'il était sur son oeuvre de rationalisation et de simplification des compétences des collectivités locales, le législateur de 2014 n'a sans doute pas suffisamment pris le temps d'examiner ce qui pouvait déjà exister dans les territoires, avant même que la compétence GEMAPI ne voie le jour dans les conditions que j'ai rappelées. Parce qu'il est en effet des territoires où des initiatives s'étaient structurées, parfois depuis longtemps, pour assurer l'entretien mutualisé de cours d'eaux. Parce qu'en effet, dans des territoires très exposés à de violents risques d'inondations – je pense par exemple aux épisodes cévenols dans le Sud-Est – , des collectivités avaient pris des initiatives pour éviter que l'inertie ne cause, chaque année ou presque, des morts. Parce qu'enfin, à la suite des crises majeures de submersion marine, certaines collectivités s'étaient engagées dans des travaux ambitieux et au long cours, pour mieux protéger habitations et activités humaines. Or l'uniformité prévue par la loi MAPTAM avait pour effet de ne plus permettre ce type d'initiatives, d'obliger même à les déconstruire dès lors qu'étaient concernées des collectivités autres que communales. C'était, chacun le sait et le mesure, une véritable source de difficultés pour ces territoires.

Tout au long de l'automne et de l'été, les différents membres du Gouvernement qui ont consulté les collectivités, ceux qui se sont déplacés dans les territoires, ont constaté ces difficultés et ont entendu les élus. Nous avons donc souhaité revisiter la compétence GEMAPI à l'aune de la philosophie de la conférence nationale des territoires. Cette philosophie est simple, le Premier ministre l'a parfaitement exprimée en ouvrant les discussions lors de la première réunion de la conférence nationale des territoires au Sénat, le 17 juillet dernier : « En termes de compétences, nous voulons à la fois permettre aux libertés locales de s'exprimer tout en conservant l'idée d'une stabilité globale du dispositif. »

En effet, il n'est pas question de remettre complètement en chantier les équilibres qui viennent d'être trouvés. Nous avons bien compris et nous avons bien entendu la demande forte de stabilité qui émane des élus dans le domaine de la répartition des compétences. Cette demande, le Gouvernement la fait sienne. Le Président de la République vient de le confirmer, la semaine dernière, devant les maires de France réunis en congrès. Je peux donc vous indiquer que le Gouvernement ne reviendra pas sur les grandes caractéristiques de la GEMAPI. Nous mettrons cette réforme en oeuvre. Nous assumons cette part d'héritage. Car vouloir des collectivités fortes, comme ce Gouvernement le souhaite, c'est leur permettre de s'installer dans leurs compétences. Les intercommunalités exerceront donc, à compter du 1er janvier 2018, la compétence GEMAPI qu'elles pourront, si elles le souhaitent, transférer à des syndicats d'un genre particulier, les établissements publics territoriaux de bassin, EPTB, et les établissements publics d'aménagement et de gestion des eaux, EPAGE. Elles bénéficieront par ailleurs d'une nouvelle ressource fiscale qui leur permettra d'exercer cette compétence.

Mais cette stabilité doit être assortie de conditions de mise en oeuvre de la loi qui permettent aux libertés locales de s'exprimer pleinement. Il apparaît en effet, dans ce domaine de la GEMAPI, que la loi conduit à certaines difficultés car les règles qu'elle définit s'accommodent mal de la réalité et de la très grande diversité de nos territoires. Ce qui fonctionne dans le Sud-Ouest, par exemple, s'applique mal à des zones où la géographie des cours d'eaux est faite de très grands fleuves ou, à l'inverse, d'un écheveau complexe de canaux et de petits cours d'eau, comme dans le Marais Poitevin.

De même, le risque d'inondation n'a pas la même portée ni la même signification partout. Dans certains territoires, c'est un risque bien connu, qui se réalise chaque année ou presque, et un risque malheureusement parfois mortel. Cela a évidemment conduit les collectivités à s'organiser et à prendre des initiatives sans attendre l'intervention du législateur. Le Gouvernement souhaite donc tenir compte des consensus locaux, de ce qui fonctionne bien – parfois depuis plusieurs siècles – dans les terres de marais, de canaux ou de grands fleuves, ou dans les territoires littoraux exposés au risque de submersion.

Attentif aux territoires et à l'écoute de ses élus, le Gouvernement a d'emblée signifié qu'il était ouvert aux initiatives de parlementaires qui entendraient améliorer la loi sur la question de la compétence GEMAPI. Comme nous nous y sommes engagés, le Gouvernement accueille donc favorablement vos propositions pour permettre aux départements de continuer à porter les stratégies et les politiques qu'ils ont mises au point et pour éviter que l'émergence de la compétence GEMAPI ne vienne déstructurer le tissu existant d'instances intervenant dans cette matière, en Charente-Maritime, dans les Alpes-Maritimes ou dans d'autres départements.

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