Intervention de Joachim Son-Forget

Séance en hémicycle du jeudi 8 avril 2021 à 21h00
Droit à une fin de vie libre et choisie — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoachim Son-Forget :

M. Véran n'est plus là. C'est dommage, car nous partageons une profession commune – ou, tout du moins, un intérêt commun pour la médecine du cerveau. Il se trouve que j'ai travaillé pendant de nombreuses années sur un sujet dont on ne parle pas ici, celui de la perception du sujet juste avant sa mort et des expériences dites extracorporelles et de mort imminente décrites par certaines personnes qui reviennent d'un arrêt cardiaque ou d'un coma. Nous sommes face à un phénomène intrigant. Nous n'avons pas les réponses, mais nous avons quelques idées. Il n'est pas exclu que ce qui se passe à l'intérieur de l'être lors des derniers instants soit tout à fait hermétique à la compréhension d'un témoin, qu'il s'agisse d'un soignant ou d'un proche. Il est possible que la personne ne souffre pas autant qu'on le croit.

En tant que soignant, j'ai malheureusement vu partir plus d'un patient. Cela se passe souvent avec résignation, peut-être, mais probablement aussi avec acceptation, dans un calme relatif. Certaines personnes parlent d'un tunnel de lumière, voient leur vie défiler, revoient des proches ou ressentent une sorte d'extase religieuse. Celle-ci perdure parfois lorsqu'elles reviennent de cet état dans lequel on les croyait perdues. Il est tout à fait possible que la machine humaine soit tellement bien faite qu'elle nous offre quelques moments de grâce avant les derniers instants, de façon naturelle. Peut-être une mort provoquée, notamment par des injections de barbituriques, pourrait-elle déclencher dans les derniers instants des moments de détresse et de confusion intenses, d'hallucination et de mal-être. Si par malheur la distorsion survenant dans la conscience en cet instant était importante et si elle se prolongeait de façon illusoire, il se pourrait que, tout en croyant bien faire et soulager la douleur, on aggrave en réalité la situation de la personne qui pensait abréger ses souffrances en choisissant une mort provoquée. Celle-ci n'aurait rien dans ce cas d'une mort naturelle.

Présentant plusieurs amendements, je vais consacrer deux minutes à la défense de chacun d'entre eux – mais ne vous inquiétez pas, chers collègues, ils seront moins nombreux dans la suite du texte.

De nombreux interlocuteurs de bords politiques différents m'ont dit ne pas comprendre mon point de vue contre cette proposition de loi, mettant en avant le fait qu'ils avaient vécu les derniers instants et la mort d'un proche, accompagnée parfois d'une douleur morale au long cours, et que celle-ci était insupportable. Chacun d'entre nous a son vécu ; nous avons tous connu des moments tragiques dans notre entourage. Il est vrai que la douleur est insupportable. Mais le fait de considérer cette douleur comme insupportable est sans doute parfois une réaction égoïste, sachant que nous ne sommes pas dans un pays du tiers-monde et que, même en dehors d'un cadre de soins palliatifs, les soignants font tout ce qu'ils peuvent pour atténuer la douleur. Il fut un temps où la douleur et le ressenti subjectif du patient étaient ignorés. Ces années sont révolues ; on utilise désormais des échelles de la douleur, permettant au patient de dire à quel point il souffre et au soignant de s'adapter à son degré de perception de la douleur. Personne dans notre pays n'ignore la douleur de l'autre.

Par ailleurs, la douleur a aussi des vertus. Elle est un signal d'alarme physiologique qui permet d'éviter le danger. Elle a aussi tendance à se dissiper avec le temps car, je le répète, la machine est tellement bien faite que lorsqu'une personne souffre, elle déclenche la sécrétion d'endorphines et le corps se régule pour atténuer la douleur. Ce sont des états de fait. Certes, nous entrons dans le détail. Mais il subsiste, au sujet de ce point de détail qu'est le moment d'où l'on ne revient habituellement pas et dont les personnes ne peuvent témoigner s'agissant de leur ressenti précis, de nombreuses inconnues.

C'est également l'inconnu qui caractérise les cas de locked-in syndrome. Sans doute vous souvenez-vous de l'ancien rédacteur en chef du magazine Elle, auteur de l'ouvrage Le Scaphandre et le Papillon : il a laissé un témoignage touchant et incroyable de son expérience de ce syndrome dans lequel le sujet est conscient mais ne peut rien exprimer, ni par le mouvement ni par la parole. Le cas de Stephen Hawking est également connu. On a tendance à penser que les personnes touchées par ce syndrome sont très malheureuses. Pourtant, une étude publiée il y a quelques années par le grand neurologue Steven Laureys montrait que les personnes atteintes de ce syndrome, qui se manifeste malheureusement après certains types d'accidents vasculaires cérébraux – AVC – , étaient majoritairement heureuses et parvenaient à communiquer par des mouvements des yeux.

Aussi me semblerait-il dangereux de considérer à la hâte, de façon prématurée, que quelqu'un ne mérite plus de vivre et de croire qu'il souhaite en finir alors que ce n'est pas du tout le cas. Une communauté de soignants a besoin de ce bénéfice du doute. Je pense aux extraits du serment d'Hippocrate que ma collègue a rappelés tout à l'heure, mais aussi à celui-ci : « primum non nocere », d'abord ne pas nuire. Je pense être l'un des rares au sein de cette assemblée à avoir réellement travaillé sur la perception et la conscience de la personne avant la mort.

1 commentaire :

Le 03/06/2021 à 09:38, CANARD a dit :

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Bonjour,

"Il est tout à fait possible que la machine humaine soit tellement bien faite qu'elle nous offre quelques moments de grâce avant les derniers instants, de façon naturelle. Peut-être une mort provoquée, notamment par des injections de barbituriques, pourrait-elle déclencher dans les derniers instants des moments de détresse et de confusion intenses, d'hallucination et de mal-être. "

Permettez-moi de réagir à ces propos que je trouve plutôt mal appropriés pour une personne en fin de vie avec un diagnostic d'état végétatif lié à des lésions cérébrales graves aboutissant à l'absence de conscience avérée. Je subis actuellement en tant que mère l'agonie de mon fils âgé de 23 ans, victime d'un accident de voiture ayant gravement détruit son cerveau, à l'exception des fonctions vitales. Sa volonté de mourir dignement, clairement exprimée si un tel cas se présentait à lui, a conduit à une sédation profonde et continue. Avez-vous été directement concerné par la perte d'un enfant en excellente condition physique dont l'agonie dure des semaines alors que l'objectif final est bien la mort. Considérez-vous que récupérer un squelette en fin de sédation répond à sa volonté de mourir dignement ? Il me semble que vous devriez vous rapprocher des gens qui subissent l'incapacité du gouvernement à avancer sur ce sujet et qui vivent une torture inconcevable et inacceptable dans un pays où les droits de l'homme sont censés exister. Il n'est pas prématuré de statuer sur ce type de cas dans la mesure où la volonté du patient est claire, la médecine ne peut rien pour le remettre sur pieds et l'objectif final est l'attente d'une délivrance rapide.

Il faudrait être directement concerné et avoir vécu cette torture visuelle et affective de la dégradation d'un organisme en fin de vie pour les proches et le personnel médical pour comprendre.

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