Intervention de Joëlle Mélin

Séance en hémicycle du jeudi 20 octobre 2022 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoëlle Mélin :

Être senior en politique offre le privilège d'observer les évolutions du temps long. C'est ainsi qu'en quarante-cinq ans, j'ai pu voir comment tous les gouvernements ont consciencieusement organisé la casse de toutes les branches du système social français. En matière de santé, la messe était dite dès mai 1980 quand les médecins ont signé la première convention de maîtrise concertée des dépenses, qui stipulait que les parties signataires se fixaient chaque année des objectifs de dépenses d'honoraires et de prescriptions compatibles avec les recettes disponibles de l'assurance maladie.

Quarante-deux ans après, le résultat est là, logique et catastrophique : Urssaf Caisse nationale – le nouveau nom de l'Acoss – gère dettes et déficit, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) reste un tonneau des Danaïdes, le très opaque Ondam fragilise tous les secteurs, l'hôpital est à genoux et le manque de soignants touche 87 % du territoire. Depuis avril 1990, les honoraires des soignants, libéraux comme salariés, ont cessé d'être réévalués régulièrement ; un numerus clausus inepte a tout verrouillé ; en parallèle, les remboursements aux malades n'ont fait que baisser : trente-deux ans après, nous subissons une pénurie de soignants, laquelle provoque une authentique pénurie de soins, inconcevable quand on se souvient du niveau qui fut le nôtre. Il est temps de tout remettre à plat et de se demander ce qui ne va pas. À moins que – question fondamentale ! vous ne souhaitiez achever au plus tôt la financiarisation de notre système de santé.

Autre privilège, j'ai pu examiner pendant huit ans, au sein de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, les dispositions à visée marchande qui s'imposent en France au fil des PLFSS successifs, et contre lesquelles je n'ai cessé de lutter. Celles-ci consacrent la mainmise des grands groupes, des fonds de pension et des actionnaires inconnus – ou défavorablement connus, comme BlackRock – sur les différents organismes français. Cette mainmise est déjà très forte sur les cliniques privées, les Ehpad, les chaînes de pharmacies, les laboratoires d'analyses, les groupements de radiologues, les conventionnements des maisons de santé et les sous-traitances de services d'hôpitaux publics.

Avec votre PLFSS pour 2023, vous allez plus loin et ouvrez une nouvelle brèche avec le statut donné aux sociétés de téléconsultations, à la double fonction technique et médicale. J'y vois trois risques majeurs : le vol massif de données de santé, l'extraterritorialité liée à la technologie américaine et la fin de l'intervention des soignants dans le but de limiter les dépenses grâce aux équipements d'intelligence artificielle prédictifs et curatifs.

L'étape d'après, déjà avancée, c'est l'application contrainte des très nombreux textes européens en matière de santé, comme le règlement du programme de l'Union européenne (UE) pour la santé (EU4Health) et l'approche « santé dans toutes les politiques ». Cette dernière présente la particularité inestimable de faire glisser la notion de santé publique du plan sémantique au plan législatif en plaçant la politique de prévention – qui est évidemment indispensable – entre les mains de tous, des individus aux décideurs et, surtout, aux influenceurs ; de tous sauf des soignants, comme cela nous a été confirmé. Le mot « santé » est peu à peu remplacé par les termes « santé publique » ; l'objectif est atteint : justifier la disparition de l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui dispose que la santé est une prérogative régalienne, contrairement à la santé publique qui est du ressort communautaire.

Sont pareillement attaquées les entreprises, principales sources des recettes du système, auxquelles vous imposez une nouvelle charge de trésorerie avec la subrogation des indemnités journalières. Vous faites également subir aux buralistes un cumul de l'inflation des deux dernières années. Attaquée également la retraite complémentaire, avec le très risqué transfert aux Urssaf des cotisations Agirc-Arrco. Attaquée encore la branche famille avec le transfert de la charge des indemnités journalières de maternité, alors que le congé maternité a d'abord une raison médicale, à la différence du congé paternité.

Il y a urgence à mettre un terme à cette évolution. Il est temps de conduire plusieurs actions. La première, de fond, structurelle, consiste à imposer au gestionnaire – c'est-à-dire à vous – la même rigueur que celle que vous exigez de tous les acteurs ; elle passe par l'instauration d'une comptabilité sincère, fondée sur les recommandations de la Cour des comptes – les mêmes depuis vingt-sept ans –, lesquelles mettraient à mal la moindre des entreprises privées.

Il faut en finir avec les politiques d'austérité ; cesser de se contenter de gérer les dettes – dont celle de l'Acoss – et les déficits, abandonnés aux mains de banques chinoises ou américaines ; arrêter de recourir à des ressources non permanentes, qui s'élèvent quand même, excusez du peu, à près de 10 % du montant du budget de la sécurité sociale.

Il nous faut achever la séparation des branches et mettre un terme à la porosité entre le budget de la sécurité sociale et celui de l'État, ce dernier abondant déjà les recettes du premier de plus de 50 %, ce qui masque le déficit chronique – entre 10 et 20 milliards d'euros par an – dont on se débarrasse dans la Cades. Cette porosité atteint aussi une partie des budgets des conseils départementaux, dont un tiers est géré par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

Il nous faut recouvrer – c'est possible ! – 10 % du budget global, soit 50 milliards d'euros, en limitant les niches sociales à leur juste indication, en cernant au mieux le très précieux dispositif des affections de longue durée (ALD) qui concerne 70 % du budget, en recouvrant évidemment les sommes très élevées correspondant aux fraudes aux cotisations et aux prestations et, surtout, en s'assurant que les créances de recours contre tiers soient présentées à temps.

Nous avons également besoin d'actions immédiates et nous aurons – peut-être ? – le temps de préciser notre position lors de l'examen de chaque article. Nous annonçons d'ores et déjà que nous nous opposerons à la validation des comptes en raison de l'absence de certification pour l'année 2021 ; au dispositif, même amendé, de référencement des médicaments matures et génériques ; à la décote des actes de radiologie et de radiothérapie avec la remise en cause des forfaits techniques, produits d'une innovation française déjà mise à mal, et à la nouvelle baisse des tarifs des biologistes, qui ont porté à bout de bras votre politique erratique de dépistage du covid et qui, même lorsqu'ils acceptent de rétrocéder une partie des bénéfices tirés de leur activité lors de la pandémie, sont rappelés à l'ordre alors que leur respect du plan triennal a fait économiser 5 milliards d'euros au système.

Nous nous opposons également à l'ajout d'une quatrième année d'internat de médecine générale, qui, au motif de dispenser une formation qui aurait dû l'être bien plus tôt, risque d'asservir une année de plus des étudiants épuisés, le tout pour 1 600 euros mensuels. Cette mesure est une mauvaise réponse au problème des déserts médicaux.

Nous demanderons que soient orientées toutes les prestations familiales, comme le complément de libre choix du mode de garde (CMG) et la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), vers les familles qui élèvent leurs enfants pour l'avenir de notre pays, et non vers celles qui profitent de notre système social en méprisant notre pays. Nous voulons supprimer la mise sous condition de ressources des allocations familiales, parce que la politique familiale est beaucoup plus qu'une politique sociale : elle doit servir à accueillir les enfants, non à compenser les inégalités de revenus.

Sur l'autonomie, nous réclamerons la levée de la barrière des 60 ans, qui instaure une injustice liée à l'âge quand la perte fonctionnelle devrait être le seul critère retenu pour percevoir une aide ; nous faciliterons également toutes les formes d'habitat pour les personnes en situation de handicap et nous ferons évoluer l'amendement Creton.

S'agissant de la prévention – terme ajouté à votre titre ministériel, cher confrère Braun –, il sera intéressant de rappeler que prendre sa retraite quand le corps le réclame est un gage de prévention contre les maladies chroniques, qu'il est inepte de faire travailler deux années de plus, mille six cent sept heures par an, deux classes d'âge de grands-parents épuisés et piégés dans le travail ,…

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