Intervention de Nicolas Sansu

Réunion du mercredi 10 avril 2024 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Sansu :

Après la censure par le Conseil constitutionnel d'un dispositif similaire, le groupe Renaissance nous propose un nouveau texte ; un autre, quasi identique, a été adopté au Sénat au mois de février, avec le soutien du Gouvernement.

Le choix d'une proposition de loi pour adopter une disposition attendue du Gouvernement permet de s'affranchir d'une étude d'impact qui aurait pourtant été très utile sur ce sujet sensible. C'est une vilaine habitude que vous avez prise là.

Nous sommes défavorables à ce régime de confidentialité des consultations des juristes d'entreprise : ceux-ci ne jouissent pas, à l'égard de l'employeur, de la même indépendance que les avocats – pour ces derniers, c'est même une exigence. Le lobbying n'est pas le fait des avocats, ou du CNB, mais bien des grandes entreprises. Le juriste d'entreprise, par son statut même, ne peut pas s'écarter de la stratégie commerciale de son employeur ; les avocats sont, eux, soumis à des règles déontologiques strictes, et contrôlés par un ordre professionnel. Ils prêtent serment et sont indépendants de leurs clients, contrairement aux juristes d'entreprise, qui sont subordonnés à leur employeur.

En l'état, votre proposition de loi est du reste contraire au droit de l'Union européenne, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne en 2010.

L'argument selon lequel notre droit souffrirait d'un manque de compétitivité pour l'installation des directions juridiques de grandes entreprises ne s'appuie sur aucune donnée – je redis que nous ne disposons pas d'étude d'impact.

Vous mettez aussi en avant un risque d'auto-incrimination, qui empêcherait les juristes de jouer leur rôle en matière de droit de la conformité et les obligerait à communiquer avec leur direction par l'intermédiaire d'un avocat. Mais, si une entreprise s'estime en défaut de conformité, elle peut recourir à un avocat.

Sur le principe même de confidentialité des juristes d'entreprise, il y a des risques d'abus et de dissimulation : ne s'agirait-il pas de soustraire ces documents aux autorités publiques, et ainsi d'entraver les enquêtes et les contrôles ? Vous excluez du champ de la confidentialité les matières pénale et fiscale, certes, mais les matières civile, commerciale et administrative représentent les trois quarts de l'activité des juridictions de notre pays.

En somme, vous créez sans le dire une nouvelle profession réglementée, accessible à toute personne titulaire « d'un master en droit ou d'un diplôme équivalent français ou étranger » – terminologie aussi floue que large.

Comme le Conseil national des barreaux, nous ne pouvons que redouter les futures entraves à l'accès des justiciables à la preuve ; la protection des lanceurs d'alerte et le droit à l'information des citoyens pourraient être remis en cause. Nous risquons aussi d'assister à un creusement des inégalités entre les entreprises, selon qu'elles auront, ou pas, les moyens d'embaucher un juriste d'entreprise. Il faudra enfin veiller à l'intégration de juristes dans les cabinets de conseil, que nous avons eu tant de mal à rendre un peu plus transparents.

Comme nos collègues sénateurs, nous voterons contre ce texte.

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