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Intervention de Bruno Fuchs

Séance en hémicycle du mardi 21 novembre 2023 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative aux partenariats renouvelés entre la france et les pays africains

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Fuchs :

Enfin, nous devons en finir avec le double standard. En effet, notre position a fini par devenir illisible. Pour clore définitivement le chapitre de la Françafrique, nous devons réinterroger notre doctrine issue du discours prononcé par le président François Mitterrand en 1990 à La Baule.

Résumons : après les indépendances, le général de Gaulle a établi une doctrine claire selon laquelle la France garantirait la sécurité des pays africains et leur apporterait son aide en échange de leur loyauté et de leurs votes à l'ONU. Dans son discours de La Baule, François Mitterrand y a ajouté une condition : que cette collaboration ne se poursuive que si les pays concernés enclenchent des processus démocratiques. Ce n'est pas tant la doctrine, plutôt vertueuse, qui est source de confusion mais son application car, dans les faits, les gouvernements successifs se sont révélés incapables de l'appliquer de manière cohérente et rigoureuse, ce qui a suscité des doutes et des suspicions sur les véritables objectifs de la France et sur l'existence d'un agenda caché.

On pourrait se convaincre qu'il est inutile de dramatiser car ce désenchantement ne s'exprime pas partout – il n'a pas cours en Afrique non francophone, par exemple, où notre image reste bonne – mais nous pensons au contraire que nous devons agir d'urgence pour éviter le risque de contagion dans tout le continent et la perte durable d'influence de la France.

Nous devons donc afficher clairement nos intentions pour ce qui concerne le soutien aux pays dont les régimes ne sont pas démocratiques et rester cohérents dans toutes les situations. Je préconise en la matière d'adopter une juste distance démocratique et politique, comme le suggère Achille Mbembe : la France préserve ses valeurs avec force mais n'intervient plus dans les affaires intérieures des pays du continent africain. En revanche, elle peut proposer de relever des défis en commun ou de mener des projets ensemble, soit de manière bilatérale, soit à l'échelle du continent. Elle devra communiquer clairement autour de ses objectifs et de ses intérêts en Afrique. Enfin, elle devra s'engager à obtenir des résultats et à présenter une vision opérationnelle à ses partenaires.

Une fois cette doctrine clairement énoncée, nous devrons nous donner les moyens de mobiliser tous nos leviers. Il conviendra de reconnaître fortement les diasporas, encore en proie au doute, mais aussi de réarmer notre diplomatie en constituant au Quai d'Orsay une filière dédiée à l'Afrique, de repenser l'aide au développement pour qu'elle profite plus directement aux populations et serve notre stratégie d'influence. Nous devrons convaincre tous nos partenaires européens de nous suivre dans cette voie comme nous avons su le faire lorsqu'il s'est agi de prendre des décisions concernant la crise du covid-19 ou la guerre en Ukraine.

Vous l'aurez compris, il n'est pas trop tard pour réenchanter nos partenariats avec les pays africains. C'est au contraire le bon moment puisque nous avons identifié les blocages et trouvé le moyen d'y mettre fin. Comme on dit en Afrique, c'est au bout de la vieille corde qu'on tisse la nouvelle.

Tout est donc encore possible, à condition de tisser vite et de changer rapidement de logiciel. L'enjeu dépasse largement la simple perte d'influence : il tient à notre avenir et à l'idéal de société dans lequel nous voulons vivre. Notre modèle d'État de droit, de libertés publiques, de vision multilatérale et universaliste est en danger. Face aux intégrismes religieux, aux impérialismes politiques, aux nationalismes autoritaires, aux libéralismes sans foi, aux populismes, le réenchantement de nos relations avec nos partenaires africains est tout simplement la condition de notre avenir et de celui de nos enfants.

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