Intervention de Matthias Fekl

Séance en hémicycle du 13 mai 2015 à 15h00
Délais de paiement interentreprises pour le grand export — Présentation

Matthias Fekl, secrétaire d’état chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger :

Monsieur le président, madame la rapporteure et auteure de la proposition de loi, mesdames et messieurs les députés, l’Assemblée nationale entame aujourd’hui l’examen en première lecture d’une proposition de loi visant à instaurer une dérogation aux délais de paiement interentreprises pour les activités de « grand export ».

La loi de modernisation de l’économie de 2008 a plafonné les délais de paiement interentreprises à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. En instaurant ces délais, cette loi visait à protéger les PME, qui se font trop souvent imposer des délais de paiement supérieurs à soixante jours, notamment par les grandes entreprises, les plaçant parfois dans des situations extrêmement difficiles. Le plafonnement répondait à une demande très forte des PME, auxquelles vous connaissez mon attachement particulier. Des difficultés, des abus et des complications en résultaient bien souvent.

Après vous, madame la rapporteure, je tiens à souligner qu’il n’est en aucun cas question de remettre en cause la protection dont bénéficient aujourd’hui les PME. L’équilibre ainsi construit par la loi de modernisation de l’économie sur ce point doit être maintenu. Il s’agit en revanche de permettre à nos entreprises de faire face à la concurrence qui s’exerce dans un cadre européen et international.

Quel est le problème aujourd’hui ? La directive européenne sur les délais de paiement autorise les sociétés de négoce et leurs fournisseurs à négocier, par voie contractuelle, des délais de paiement supérieurs à soixante jours, dès lors que ces délais ne constituent pas un abus manifeste à l’égard du créancier. Au regard du droit communautaire, cette situation pénalise les sociétés françaises de négoce, qui vendent des produits hors de l’Union européenne.

Ces sociétés ont en effet des clients qui ne sont pas assujettis aux mêmes obligations et négocient des délais de paiement à quatre-vingt-dix, cent vingt, voire cent quatre-vingts jours, pour tenir compte notamment de temps de transport supérieurs à soixante jours. En matière d’export, cela arrive fréquemment.

Les sociétés françaises de négoce doivent alors financer la période entre la date à laquelle elles payent leurs fournisseurs français et la date à laquelle elles sont payées par leurs clients domiciliés hors de l’Union européenne.

Quel est l’enjeu ? Ce sont aujourd’hui 17 000 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire de négoce représentant 37 milliards d’euros d’exportation qui sont concernées.

Or ces sociétés sont le bras armé commercial de beaucoup de PME françaises, qui n’ont souvent pas les ressources humaines, financières et juridiques pour se développer seules à l’international.

Il s’agit donc de faire en sorte que les sociétés de négoce ne délocalisent pas leur activité et continuent à se fournir auprès d’entreprises françaises. En effet, il existe des risques sérieux de voir les sociétés françaises de négoce délocaliser leur activité ou se fournir auprès d’autres entreprises européennes qui peuvent leur octroyer des délais de paiement supérieurs à soixante jours en application de la directive européenne.

C’est un enjeu essentiel tant pour les sociétés de négoce que, par ricochet, pour les petites et moyennes entreprises qui risquent de se voir progressivement détrôner et remplacer par d’autres PME au sein de l’Union européenne en tant que fournisseur au cas où des sociétés françaises de négoce décidaient de délocaliser leurs activités. Cela serait très préjudiciable à la fois pour notre économie et pour l’exportation des petites et moyennes entreprises.

La proposition de loi présentée par la députée Chantal Guittet prévoit l’introduction en France de la même souplesse que celle qui existe dans les autres pays européens.

L’objectif est de donner la possibilité aux fournisseurs français de négocier des délais de paiement supérieurs à soixante jours avec les sociétés de négoce. Aujourd’hui, ils n’ont en effet pas d’autre choix que de proposer quarante-cinq ou soixante jours, ce qui les conduit à perdre des contrats. Pour lever cette difficulté, il est nécessaire d’introduire une dérogation à un régime qui, encore une fois, doit rester très protecteur et qui, sur le plan des principes, ne saurait être remis en cause.

C’est pourquoi la dérogation proposée par Mme Guittet est strictement encadrée et limitée pour éviter tout abus de la part des sociétés de négoce, et ce par une série de quatre dispositions.

Premièrement, les marchandises doivent être expédiées hors de l’Union européenne. De plus, les marchandises exportées doivent être « livrées en l’état », c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas subir de transformation entre l’achat en France et l’exportation. Il s’agit d’éviter que l’allongement du délai de paiement ne se répercute sur l’ensemble de la chaîne de fabrication, ce que l’on appelle parfois l’effet domino.

Le fournisseur français est alors libre de choisir s’il accepte les conditions de paiement supérieures à quarante-cinq ou soixante jours qui lui sont proposées par la société de négoce ou s’il souhaite ne pas conclure le contrat.

Ensuite, afin d’éviter des abus de position dominante, les sociétés de négoce rentrant dans la catégorie des « grandes entreprises », soit plus de 5 000 salariés ou plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, ne pourront pas bénéficier de cette dérogation, qui leur permettrait d’imposer leurs conditions de paiement aux fournisseurs français. Sur ce point, il ne faut pas être naïf. Il ne s’agit pas d’inventer un dispositif qui serait parfait sur le papier, mais qui dans la réalité serait détourné. Et c’est le sens de cette disposition.

Enfin, le dépassement du délai de soixante jours ne pourrait avoir lieu que dans un cadre contractuel dont le non-respect et les abus seraient sanctionnés si le dépassement n’est pas justifié par des délais de paiement à l’export supérieurs aux délais de paiement imposés en France, plafonnés à 75 000 euros et 375 000 euros selon qu’il s’agit de personne physique ou de personne morale.

En lien avec le ministère chargé du commerce extérieur et le ministère chargé de l’économie, vous avez, madame la députée, par ailleurs souhaité renforcer le cadre dans lequel s’inscrit cette proposition de loi, en plafonnant cette dérogation :

À soixante jours quand le fournisseur de la société de négoce est un grand groupe ou une entreprise de taille intermédiaire. Par conséquent, le délai de paiement maximum est alors de cent vingt jours, soit soixante jours liés au droit commun et soixante jours liés à la dérogation ;

À trente jours quand le fournisseur de la société de négoce est une PME. Par conséquent, le délai de paiement maximum est alors de quatre-vingt-dix jours, soit soixante jours liés au droit commun et trente jours liés à la dérogation. Je ne crois pas trahir votre pensée, madame la députée.

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