Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 6 juin 2013 à 9h30
Neutralité religieuse dans les entreprises et les associations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

Sur tous les bancs de cet hémicycle, nous poursuivons le même objectif : le respect de la neutralité religieuse. Il n'est nul besoin de revenir aux mannes du radicalisme pour l'expliquer, même si je pourrais être tentée de le faire. Nous poursuivons tous cet objectif, car nous sommes républicains et représentants de la nation française qui s'est bâtie autour de la laïcité et de l'humanisme rationnel.

Nous poursuivons tous cet objectif, mais nous divergeons quant aux moyens d'y parvenir. C'est bien naturel : c'est l'art du politique, finalement, que d'être une herméneutique des moyens plutôt qu'une généalogie des valeurs. C'est ce qui nous distingue, députés de la majorité et députés de l'opposition. Nous voulons tous une société plus libre, plus égalitaire et plus fraternelle, nous oeuvrons tous pour que nos concitoyens vivent mieux, nous travaillons tous à une société mieux ordonnée, mais nous ne sommes pas d'accord sur les moyens d'y parvenir.

En cela, le texte qui nous est soumis ce matin, à l'initiative du groupe UMP, est très politique. J'ai même la nette impression qu'il n'est que politique. Si vous souhaitiez, par ce débat, démontrer qu'il existe un parti intransigeant qui se bat contre un parti opportuniste, vous échouerez. Je ne tomberai pas dans le piège symétrique, ce qui pourtant ne serait pas si difficile car les arguments sont, en définitive, réversibles.

Cette proposition de loi vise à prévoir explicitement dans le code du travail l'autorisation pour les employeurs de restreindre les libertés individuelles pour réglementer le port de signes et les pratiques religieuses sur le lieu de travail. L'article 1er tend à poser le principe de telles restrictions par l'ajout d'une phrase – problématique – à l'article L. 1121-1 du code du travail, et le second insère les mêmes dispositions dans son article L. 1321-3, relatif au règlement intérieur des entreprises. Cette homothétie n'apparaît pas correcte du point de vue de la science juridique, car l'un des deux articles du code est un article de principe et le second n'en est qu'une application.

Ainsi, et je rejoins les observations faites par Colette Capdevielle en commission des lois, se pose la question de la constitutionnalité de cette proposition de loi : les dispositions ainsi introduites dans l'article de principe du code par l'article 1er ne comportent pas de critères précis et le Conseil constitutionnel ne manquerait pas de les censurer, considérant que l'atteinte aux droits et libertés individuelles est disproportionnée par rapport à l'objectif recherché. Elle a évoqué d'autres objections dirimantes touchant à l'inconventionnalité du texte, sur lesquelles je ne reviendrai pas.

Guy Geoffroy, quant à lui, a tenté d'expliquer l'objet de cette proposition de loi en commission. Il s'agirait non pas d'étendre artificiellement le champ de la laïcité à la sphère privée, mais d'intégrer à la sphère publique le secteur qui se trouve dans un délicat entre-deux : pas totalement privé, mais pas véritablement public non plus. On ne saurait être plus clair… Pour ma part, je préfère le terme « d'espaces intermédiaires » utilisé par Marie-Françoise Bechtel : j'y reviendrai tout à l'heure.

Ces explications emberlificotées ne nous renseignent guère. Il s'agirait de « sécuriser le dispositif actuel », fruit d'un accord, dans l'immense majorité des cas, entre employeurs et employés sur les conditions de travail de ces derniers. Traduction : ce texte entend enserrer le juge amené à trancher les éventuels conflits dans des limites étroites.

Qui trop embrasse mal étreint : les députés du groupe RRDP préfèrent, quant à eux, se concentrer sur les « espaces intermédiaires » identifiés comme posant un problème vis-à-vis de la neutralité religieuse des personnes y travaillant, et non sur les structures privées en général, ce qui pose les problèmes juridiques que j'ai évoqués.

Les structures privées en charge de la petite enfance sont indiscutablement des « espaces intermédiaires » où le respect du principe de laïcité doit être assuré. Introduire une obligation de neutralité dans les dispositifs législatifs relatifs à la qualification professionnelle et à l'agrément des personnes habilitées à accueillir de jeunes enfants, afin d'assurer le caractère laïque des structures collectives – crèches, haltes-garderies, jardins d'enfants – et à domicile – crèche familiale, assistantes maternelles – est assurément de bonne législation.

C'est l'objet de la proposition de loi déposée par notre collègue sénatrice Françoise Laborde et les membres du groupe RDSE, proposition de loi dont les députés membres du groupe RRDP ont repris le texte en déposant une proposition identique.

Dans l'arrêt « Baby Loup », comme l'a rappelé Marie-Françoise Bechtel en commission, c'est l'interdiction générale et absolue présente dans le règlement intérieur de la crèche qui fondait la décision d'empêcher une jeune femme voilée d'y accueillir des enfants qui a été censurée par la Cour de cassation, et non la décision de licencier la jeune femme. La présente proposition de loi tente assez maladroitement de répondre à la question posée par cette affaire car, sous couvert d'en empêcher la réitération dans le champ privé d'une manière générale, elle présente le risque, dans le meilleur des cas, de ne servir à rien car elle est mal orientée.

Nous pensons en effet qu'au lieu de toucher à l'édifice du code du travail et au droit s'appliquant aux travailleurs qui en relèvent – traditionnellement très protecteur des salariés en France – il vaut mieux modifier les textes de loi circonstanciés en fonction des secteurs où se pose un problème de neutralité religieuse. Pour le secteur de la petite enfance dont je viens de parler, il s'agit bien entendu du code de la santé publique et du code de l'action sociale.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, ce texte ne trouve aucune grâce à nos yeux. Le groupe RRDP ne le votera pas.

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